Les 27 s’accordent sur les contours du plan industriel pour le pacte vert

Les 27 États membres ont entériné, le 9 février, les contours du Green industrial plan lors d’un Conseil spécial à Bruxelles. ©Shutterstock

Publié le 13/02/2023

10 min

Publié le 13/02/2023

Temps de lecture : 10 min 10 min

Les 27 États membres ont entériné, le 9 février, les contours du plan industriel Green Deal lors d’un Conseil spécial à Bruxelles. Sur la table, une série de mesures censées notamment contrer l’Inflation Reduction Act américain, une enveloppe de 370 milliards de dollars dédiée à la clean tech sous forme de subventions et d’incitations fiscales. Une loi très « America First», trop aux yeux de l’UE. Par Louise Rozès Moscovenko   L’ensemble de ces mesures, plus détaillées et traduites sur le plan réglementaire, devraient être sur la table dès le mois prochain et réexaminées lors du prochain Conseil européen des 23 et 24 mars. La Commission européenne avait présenté son plan industriel pour le pacte vert le 1er février. « Les grandes économies intensifient les investissements dans les industries zéro émission, à juste titre », avait déclaré la présidente de la Commission Ursula von der Leyen lors d'une conférence de presse. « Ce que nous voulons, c'est que les règles du jeu soient les mêmes pour tous dans la compétition mondiale et dans le marché unique. » Selon un rapport publié par l'Agence internationale de l'énergie (AIE) en janvier, le marché mondial des principales technologies d'énergie propre représentera environ 650 milliards de dollars par an d'ici à 2030, soit plus de trois fois le niveau actuel. Une croissance telle que la demande dépasse parfois l’offre, précise l’agence. Les emplois liés pourraient aussi plus que doubler au cours de la même période. Pour ne pas rater le train, quatre axes ont été mis en avant par la Commission : un environnement réglementaire simplifié et prévisible, un accès plus rapide aux financements existants, l’accroissement des compétences et la facilitation d’un commerce équitable et ouvert. « Nous savons que dans les années à venir, la forme de l'économie zéro émission et sa localisation seront décidées », avait aussi relevé Mme von der Leyen.  Lobbying européen L’« Inflation Reduction Act » (IRA), signé en août dernier par le président Joe Biden, un programme de 370 milliards de dollars de subventions et d’incitations fiscales dédiées à l’industrie verte, a en effet secoué l’Union européenne. Fin novembre, lors de sa visite à Washington, Emmanuel Macron avait critiqué ce protectionnisme américain, partageant sa crainte que « l'Europe et la France deviennent une sorte de variable d'ajustement » entre les États-Unis et la Chine, dans la lutte que se livrent les deux premières puissances mondiales. En termes de batteries et de véhicules électriques, l’Union européenne tente depuis plusieurs années déjà de s’émanciper de l’empire du Milieu, avec le lancement fin 2017 de l’Alliance européenne des batteries. La France et l’Allemagne avait notamment annoncé un investissement de 5 à 6 milliards dans ce projet important d'intérêt européen commun (PIIEC). Une ambition que le plan industriel pour le pacte vert reprend, avec notamment l’annonce d’un « Critical Raw Materials Act », qui devrait garantir « l'accès (de l’UE) aux matières premières essentielles » via la diversification des sources et le recyclage, la réduction de « la dépendance de l'UE à l'égard d'approvisionnements très concentrés en provenance de pays tiers », la création « d’emplois de qualité » ainsi que « la croissance dans l'économie circulaire ». Des projets miniers sont de nouveau d’actualité en Europe, notamment en Finlande et des usines de batteries ont vu le jour en Europe, comme celle de Northvolt, en Suède. La crainte d’un revers industriel est toutefois fondée. À tel point que les ministres allemand et français de l’Économie se sont rendus conjointement à Washington le 7 février, en amont du Conseil européen. Une première. Robert Habeck et Bruno Le Maire ont notamment rencontré, parmi plusieurs membres de l’administration américaine, la secrétaire du Trésor Janet Yellen. Pour les deux hommes, le point clé sera la transparence et l’ouverture des États-Unis, pas les financements européens qui égalent ceux de l’IRA. « Quand vous regardez les fonds déjà sur la table, par exemple le fonds vert ou le fonds de relance, nous sommes déjà à près de 400 milliards d’euros disponibles pour l’industrie verte européenne », a expliqué le ministre français, suite à cette visite à Washington.   Des composants européens inclus dans l’IRA ? La France et l’Allemagne ont indiqué avoir obtenu des engagements de la part de l’administration Biden : la transparence totale au niveau des subventions et de crédits d’impôts « sans laquelle il ne peut y avoir de concurrence loyale » ; une communication constante, « en particulier sur les investissements stratégiques », dans le cadre de groupes de travail transatlantiques déjà en place et « la mise en œuvre de l’IRA incluant autant de composants européens que possible, par exemple les batteries, les véhicules électriques et les minerais critiques ». Un pan important de l’IRA est en effet dédié aux subventions pour l’achat de véhicules électriques. L’annonce des conditions finales desdites subventions a été décalée au mois de mars par le département du Trésor, un sursis temporaire pour l’UE qui craint que la puissante industrie automobile européenne soit exclue de ces aides à l’achat, ce qui serait un vrai coup dur. Toutefois, ce sera à la Commission européenne de veiller à l’inclusion de ces composants européens, a précisé M. Le Maire et la secrétaire du Trésor n’a pour l’heure donné aucune précision sur ce point. Le ministre de ml'Économie a également souhaité insister, faisant écho au « too late too little », une critique récurrente à l’encontre de l’UE, sur la « nécessité absolue pour l’Europe d’aller vite dans la définition et la mise en œuvre de ce plan (…). Nous avons une excellente base, maintenant il est temps de se décider et d’accélérer ».  Hasard du calendrier, deux jours après cette visite et alors que les discussions du Conseil se tenaient à Bruxelles, Madame Yellen se rendait dans l’usine de cellules de batterie Ultium Cells située au centre de l’État du Tennessee. Cette coentreprise entre l’américain General Motors et le coréen LG Energy Solutions devrait employer à terme près de 1 700 personnes. « Depuis que l’IRA a été promulgué il y a six mois, des dizaines d'entreprises du secteur de l'énergie propre ont annoncé des investissements de plusieurs milliards de dollars aux États-Unis », s’est-elle réjouie. Un risque pour le marché unique Mais au-delà de la concurrence internationale faisant rage, c’est au niveau de l’assouplissement des aides d’État et des outils mis en œuvre pour ne pas fragmenter le marché intérieur que le doute s’est installé. Dans ses conclusions, le Conseil européen invite ainsi la Commission à lui rendre régulièrement compte de l'incidence de ceux-ci sur le marché́ unique, tout autant que sur compétitivité mondiale de l’UE. La Commissaire européenne à la concurrence Margrethe Vestager avait proposé des nouvelles mesures d’assouplissement des aides d’État mi-janvier, temporaires mais prévues jusqu’en 2025, avec beaucoup de précautions. « La réalité dans l'UE aujourd'hui est que tous les pays n'ont pas la même capacité de dépenser. Cela signifie qu'une course aux subventions entre les États membres sera toujours intrinsèquement injuste, avait-elle rappelé à cette occasion. Même si ces politiques pouvaient soutenir quelques champions européens (et j'en doute), la voie pour y parvenir créerait un sérieux fossé entre les États membres. Cela menacerait l'intégrité de notre marché unique. » Une consultation a été lancée auprès des 27, dont les résullats sont attendus très prochainement. Depuis la création, au moment de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, de cet « encadrement temporaire de crise », plus de 673 milliards d'euros d'aides totales d'État ont été approuvées. Près de 53 % de ces aides ont été notifiées par l'Allemagne, par la France environ 24 % et par l’Italie près de 8 %. Le reste se divisant entre les 24 membres restants. Pour répondre à ce risque, les propositions de la Commission résident pour l’heure dans la flexibilisation de l’aide financière afin d’autoriser l’utilisation des fonds existants plus longtemps et de les utiliser mieux pour les États et les industries qui en ont besoin, et d’autres outils de solidarité sur le modèle de ceux utilisés pour la crise sanitaire. Reste à savoir si tous les États membres seront convaincus.  D’autres moyens de contrer l’IRA… qui ne font pas toujours l’unanimité Outre l’utilisation des fonds existants et l’assouplissement des aides d’État, la simplification de la clause d'alignement, déjà existante dans le droit européen, permettrait de pouvoir s’aligner sur une aide donnée par un État tiers, comme les États-Unis, rendue possible avec un postulat de transparence pour éviter l’écueil d’une simple mise en concurrence par les entreprises des différents régimes d'aide. L’Union européenne s’est également dit prête à recourir fermement aux instruments de défense commerciale, face à des pratiques de concurrence déloyale. « La Commission veillera à ce que les subventions étrangères ne sapent pas injustement la compétitivité de l'industrie européenne », peut-on également lire dans les conclusions du Conseil. Le règlement sur les subventions étrangères, entré en vigueur mi-janvier, permet en effet d’enquêter sur leur impact spécifique sur le marché intérieur. L'égalité d'accès des entreprises européennes aux marchés publics des pays tiers, via l'instrument international de passation de marché, a également été mis en avant par la Commission, tout comme le cadre de l'UE pour le filtrage des investissements étrangers directs et l'instrument de lutte contre la coercition de l'UE. La France a salué le plan de la Commission, qui selon elle était nécessaire pour pallier en urgence l’IRA et permettre à court terme d’envoyer un signal clair aux entreprises européennes afin de choisir de maintenir leur production au sein du bloc. Mais le gouvernement tient aussi à la création, à moyen terme, d’un fonds de souveraineté, dont l’utilisation - comment et dans quel secteur - ainsi que l’adhésion qu’il va générer sont encore très floues. L’idée d’une nouvelle dette commune ne fait en effet pas consensus. Certains pays, comme l’Allemagne, historiquement peu encline à la dette, ne veulent pas d’argent frais, les fonds existants apparaissant comme suffisants. D’autres encore pensent que la Banque européenne d’investissement devrait être l’instrument privilégié pour renforcer l’industrie. La création d’un fonds souverain a toutefois bien été repris dans les conclusions du Conseil. La Commission devra plancher et présenter son projet avant l'été́ 2023.

Cet article est réservé aux abonnés de Gaz d'aujourd'hui, abonnez-vous si vous souhaitez lire la totalité de cet article.

Je m'abonne