« L’efficacité énergétique est un terme abstrait qui ne trouve pas sa place dans le quotidien d’un ménage »

Publié le 17/04/2019

4 min

Publié le 17/04/2019

Temps de lecture : 4 min 4 min

3 questions à…

Gaëtan Brisepierre, sociologue

Nouveaux modes de vie, adaptation aux enjeux climatiques et réalité du changement : les défis sociétaux de l’efficacité énergétique vus par un sociologue.

Propos recueillis par Laura Icart

 

Les Français entendent beaucoup parler de la notion d’efficacité énergétique, mais l’ont-ils vraiment intégrée ?

Il me semble que non. L’efficacité énergétique est un problème public, social et politique qui fait écho aux experts et aux pouvoirs publics. Le réchauffement climatique, les économies d’énergie, voilà des termes qui parlent aux Français car ils en entendent parler depuis quelques années. L’« efficacité énergétique » est un terme abstrait qui ne trouve pas sa place dans le quotidien d’un ménage. On a tendance à penser que, parce que nous incitons les Français à faire des économies d’énergie au travers d’écogestes ou de travaux par exemple, ils ont assimilé cette notion. Or ils font avant tout des travaux de rénovation énergétique pour améliorer leur confort. On le sait peu mais l’auto-rénovation, autrement dit la réalisation de travaux par soi-même, concerne plus d’un tiers des travaux de rénovation en France. Ce n’est pas seulement le résultat d’une logique financière, c’est aussi un développement de l’estime de soi associé à une vraie volonté de bien-être dans son habitat. Le choix énergétique peut aussi être un marqueur de différentiation sociale, comme par exemple la pose de panneaux solaires dans un lotissement uniforme.

Vous évoquez souvent le fait que la rénovation énergétique est avant tout un processus social. Pouvez-vous nous l’expliquer ?

Très souvent, les professionnels et les pouvoirs publics réduisent la rénovation énergétique à un simple arbitrage technico-économique, à l’image d’un audit énergétique auquel il faut se conformer. Ce n’est pourtant jamais aussi simple, car à l’instar de n’importe quelle technologie, la décision de rénover son logement est rarement un « passage à l’acte » mais plutôt la résultante d’un processus long et rarement individuel. Pour les copropriétés par exemple, il faut compter entre quatre à six ans pour mener des travaux de rénovation énergétique. Des années qui sont souvent le reflet d’une concertation collective, de personnes à convaincre, d’étapes de préparation à franchir. Cette temporalité, parce qu’elle va quelque part à l’encontre de l’urgence climatique, est quelque peu ignorée par les pouvoirs publics qui aimeraient accélérer la cadence. Ce qu’il faut comprendre, c’est que la difficulté n’est pas seulement, pour des copropriétaires, de prendre la décision technico-économique optimale, mais aussi de prendre celle qui apportera plus d’esthétisme, de fonctionnalité, de valeur à son habitat, ses parties communes, parce que c’est cela qui crée de l’adhésion.

Les enjeux d’efficacité énergétique sont aujourd’hui principalement pensés à l’échelle du bâtiment. Ne devons-nous pas dépasser ce prisme ?

Oui et non. Le bâtiment représente plus 25 % des émissions de gaz à effet de serre émises dans notre pays. Son impact important nous oblige donc à être particulièrement vigilant sur ces aspects de rénovation énergétique. Pour autant, on peut aussi craindre un effet rebond. Si l’objectif est la baisse de la consommation d’énergie, les mesures d’efficacité énergétique peuvent parfois conduire, malgré des travaux ou des choix d’équipements plus économes, à ne pas produire le résultat escompté, le fait à notre mode de vie et nos nouvelles habitudes de consommation. Aujourd’hui, si l’on remplace par exemple un ancien réfrigérateur par un plus performant, on ne va pas forcément jeter l’ancien et on va sans doute en acheter un plus gros. Dans une étude sur un lotissement de maisons passives que j’avais menée en 2012, il était intéressant de constater que malgré le choix d’un habitat économe, les habitants s’étaient par ailleurs tous équipés d’une piscine individuelle dont la consommation électrice est non négligeable. C’est donc aussi sur les habitudes qu’il faut agir et c’est en cela qu’il faut réfléchir plus loin qu’à l’échelle du bâtiment et favoriser l’émergence d’un écosystème plus territorialisé avec des acteurs divers qui vont de l’agent immobilier aux grandes enseignes de bricolage comme Leroy Merlin. Il faut également inciter les copropriétés à devenir vectrices d’un changement social avec des toitures végétalisées, des bornes de recharges électriques, des locaux à vélos, participant à l’économie circulaire au travers d’une Amap ou des tables de dons dans les parties communes. Là est le vrai changement de paradigme et la clé d’une ville plus durable.