« Le système des CEE va être complétement bouleversé »

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Publié le 15/09/2023

10 min

Publié le 15/09/2023

Temps de lecture : 10 min 10 min

Florence Lievyn, responsable des affaires publiques de Sonergia, élue présidente du Groupement des professionnels des certificats d’économie d’énergie (GPCEE) en juin  revient sur la forte actualité que connaît le secteur des CEE, un outil majeur pour la rénovation énergétique dans notre pays. Propos recueillis par Laura Icart    Le GPCEE, késako ? C’est une association qui regroupe 16 entreprises parmi les 35 délégataires français. Son objectif principal est un enjeu de représentativité dans un paysage de la rénovation énergétique qui va être profondément remanié avec des enjeux importants : accélérer la décarbonation du bâtiment, la concertation sur la sixième période CEE mais aussi la loi énergie climat. Le GPCEE réaffirme le rôle essentiel des CEE pour contribuer à la baisse des consommations dans notre pays. La création d’un pilier dédié aux rénovations globales, dans lequel l’Anah pilotera Ma prime rénov’ (MPR) et les CEE génère de l’inquiétude ? Effectivement, un pan de notre activité pourrait disparaître. Aujourd’hui, 75 % des CEE qui sont produits ces dernières années sont issus du secteur des bâtiments. Les ambitions pour la rénovation globales sont élevées [200 000 rénovation globales pour 2024 et 900 000 en 2030, NDLR] et le gouvernement veut réorienter les aides en ce sens. Avec cette proposition, l’Anah aura le monopole sur la valorisation des certificats du marché. Et nous, les délégataires, en serons coupés puisque nous ne pourrons plus proposer d’offres de service sur ce segment à partir de 2024. Si cette réforme va à son terme, le système des CEE va être complètement bouleversé et il va falloir travailler sur de nouveaux modèles économiques. Pourquoi ce choix de confier l’intégralité des aides à l’Anah ? Le gouvernement évoque une simplification dans le parcours de rénovation globale en évitant de multiplier les procédures administratives qui quelque part peuvent casser la dynamique. En soit ce principe du guichet unique n’est pas une mauvaise idée. On pourrait même imaginer un système de « sécurité sociale » de la rénovation énergétique, où l’Anah serait la porte d’entrée et où les opérateurs s’apparenteraient aux mutuelles, mais concentrer tout l’effort de rénovation globale sur un seul acteur alors que la tâche est immense me paraît risqué. Aujourd’hui, c’est la rénovation globale pour les ménages, en 2025 on évoque la copropriété et même les gestes en 2026. Le gouvernement prévoit également de supprimer les aides aux gestes isolés pour les passoires thermiques dès l’année prochaine... Les aides publiques au travers de MPR en effet, les CEE pourront rester sur certains gestes, notamment pour le « coup de pouce chauffage » jusqu’au 31 décembre 2025. Nous avons fait les calculs et finalement cette décision revient à couper 12 millions de ménages du bénéfice des aides publiques aux gestes. Nous entendons l’incitation à aller plus loin que le geste et à rentrer dans la performance, mais nous restons convaincus que les deux ne sont pas antinomiques et qu’un soutien au geste peut également permettre de se mettre sur la voie de la performance sans casser le « gisement », comme le disent certains. « Dans les bâtiments tertiaires, la pérennisation des aides existantes (CEE et fonds chaleur) et la généralisation des contrats de performance énergétique nous semblent également aller dans le bon sens. » Les groupes de travail LPEC ont rendu le 12 septembre leurs travaux. Quelles sont les propositions que vous relevez ? Les mesures sont nombreuses mais nous pouvons nous arrêter sur l’actualisation des trajectoires de rénovation énergétique des bâtiments ainsi que le niveau d’économie d’énergie à réaliser annuellement, sur la base duquel les volumes de CEE à délivrer seront fixés. Concernant les CEE, il est envisagé l’exploitation des données de consommation au compteur pour prendre en compte les économies d’énergie réelles. En fonction des objectifs, les volumes financiers mobilisables via les CEE pourraient être renforcés. Nous sommes là dans la droite ligne de ce qui est proposé dans la concertation P6 ! Dans les bâtiments tertiaires, la pérennisation des aides existantes (CEE et fonds chaleur) et la généralisation des contrats de performance énergétique nous semblent également aller dans le bon sens. Justement, sur cette mesure qui a été présentée, « le passeport bâtiment » va-t-il réellement permettre d’éclairer davantage le citoyen dans son parcours de rénovation, selon vous ? Il faudrait voir plus concrètement ce qu’il y a derrière car le carnet d’information du logement, le CIL, est déjà en vigueur depuis un certain temps ! Obligatoire pour les constructions neuves, il l’est également dès lors qu’une rénovation profonde est conduite. Je ne crois donc pas qu’il soit nécessaire d’imaginer un nouvel outil mais plutôt de se questionner sur comment rendre opérationnel ceux qui existent déjà ! Mais sur le principe, cette idée de passeport est une bonne chose. Il faut impérativement qu’au gré des mutations immobilières ne soient pas perdues les interventions effectuées sur le logement et les caractéristiques techniques associées.   « C’est important d’avoir de la visibilité, d’autant plus que dans le secteur du bâtiment nous avons subi une baisse significative des travaux, particulièrement sur la filière isolation quasi à l’arrêt. » Vous avez participé à la consultation sur la cinquième période des CEE, quelles ont été vos préconisations ? Nous ne sommes pas défavorables au renforcement de l’obligation des CEE de 400 TWhc en 2025 mais sous conditions toutefois. Avec la révision de la directive efficacité énergétique et des ambitions réhaussées, il est pertinent d’anticiper. L’impact sera très important, on parle d’un doublement de la production annuelle de CEE [de 775 TWhc à  1 600 TWhc, NDLR]. Et c’est également très important en termes de financement puisque 1 TWhc est équivalent environ aujourd’hui à 8 millions d’euros. C’est important d’avoir de la visibilité, d’autant plus que dans le secteur du bâtiment nous avons subi une baisse significative des travaux, particulièrement sur la filière isolation quasi à l’arrêt. Aujourd’hui, le taux de transformation est faible, en moyenne un devis sur cinq donne lieu à des travaux. Plusieurs raisons sont évoquées : l’inflation, la baisse des primes CEE, l’absence de disponibilité des matériaux. Il est certain que les « coups de pouce isolation » n’ont pas amené que de la qualité mais je trouve vraiment dommageable d’avoir sacrifié la filière isolation. Il faut remettre des aides sur ce secteur, isoler le bâti et donc réduire les besoins. C'est le premier geste qui permet d’avoir des résultats. Quelles sont les évolutions attendues pour la sixième période ? La première est calendaire. L’idée du gouvernement serait de programmer les périodes de CEE sur celles de la programmation pluriannuelle de l’énergie [des périodes de cinq ans contre quatre actuellement, NDLR]. Pourquoi pas, mais il faut avoir l’assurance de garder un dynamisme sur le marché et plus la période est longue moins il y a de saine tension. Mettre une réconciliation administrative à mi-période (deux ou trois ans) est primordiale. Deuxième chose qui pourrait évoluer, le fait que le versement de la prime CEE passe d’une obligation de moyens à une obligation de résultats. Concrètement, cela signifie que la pertinence des CEE serait évaluée sur les économies réelles contre des réductions supposées mais c’est aussi par là-même une remise en question des fiches standardisées. Pourquoi pas. Mais difficile de voir les effets. Comment comptabiliser par exemple les énergies hors réseau ? L’idée est intéressante, il faut l’expérimenter, c’est ce que prévoit notamment l’appel à programme 2023 des CEE dans l’un de ses axes : la mesure des économies réelles.    « Le GPCEE souhaite que soit institué un statut de producteur qui confère une exigence de qualité, de contrôle et de traçabilité. » Vous évoquiez récemment la nécessité de créer un statut de producteur de CEE. Pourquoi est-ce important ? Il y a plusieurs acteurs sur le marché des CEE : les obligés, les délégataires, les éligibles et les mandataires [sous droit privé, NDLR] dont une partie ne sont pas porteurs du rôle actif et incitatif. Le GPCEE souhaite que soit institué un statut de producteur qui confère une exigence de qualité, de contrôle et de traçabilité. C’est important parce que le marché des CEE connaît une mutation importante et cela ne peut pas se faire au détriment de la qualité de la production des CEE. L’enjeu est de mettre en place cela pour la sixième période, voire avant si possible. Ce serait cohérent. Il y a une volonté manifeste de faire évoluer le mécanisme des CEE en sixième période, nous avons là une proposition sérieuse qui va dans le sens de l’intérêt général. Dans le cadre de la consultation sur la sixième période, il est évoqué le possible encadrement du marché secondaire. De quoi s’agit-il ?   Les CEE sont un marché financier avec des cours, des prix de clôture… mais ne doivent nullement être associé à une commodité comme une autre. Nous sommes quand même en train de parler de l’atteinte de nos objectifs de neutralité carbone pour 2050 grâce au recours à ce mécanisme ! Les flux transitant sur le marché sont corrélés à l’obligation et chaque année prennent de l’importance. Il est normal à ce stade de maturité et pour lever tout doute de pratiques non vertueuses d’aller vers un encadrement plus fort avec la mise en place de règles de marché. La CRE pourrait tout à fait tenir ce rôle. Quels sont les secteurs où l’usage des CEE est le plus dynamique ? L’industrie, avec environ 900 TWh produits sur la quatrième période, est un secteur particulièrement dynamique. Évidemment, le fait que les crédits obtenus dans le cadre de France 2030 et les CEE soient cumulables favorisent cette croissance qui s’explique aussi par un contexte géopolitique marqué par la crise pandémique et par les coûts de l’énergie. Deux autres secteurs sont plutôt dynamiques : celui des bâtiments tertiaires et les collectivités qui bénéficient d’aides ciblées. Le pilotage intelligent des bâtiments est par exemple un secteur hyper dynamique qui répond à une logique directe de sobriété et d’efficacité énergétique, qui plus est l’approche sectorielle adoptée par le gouvernement et matérialisée récemment par l’annonce du plan de rénovation énergétique des écoles. Dans le secteur des transports, c’est principalement des actions de report modal et les CEE sont quasi inexistants dans le secteur agricole.

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