Le Haut Conseil pour le climat veut « intégrer le plan de relance dans les limites du climat »

Publié le 08/07/2020

8 min

Publié le 08/07/2020

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Le Haut Conseil pour le climat a publié le 8 juillet son rapport neutralité carbone 2020 « Redresser le cap, relancer la transition » qui dresse un bilan de l’année écoulée en termes d’émissions de gaz à effet de serre (GES) et évalue les politiques publiques climatiques. Si « des progrès dans la gouvernance sont notables, peu d’avancées structurelles quant au rythme de baisse des émissions  » relève le rapport du HCC, qui souligne même « une faible redevabilité du gouvernement sur les politiques climatiques » alors même que nous n’avons jamais autant parlé de climat et de transition dans notre société.

Par Laura Icart

C’est dans un contexte particulier, en plein remaniement ministériel, que le HCC présente ce 8 juillet son deuxième rapport annuel. Les 13 scientifiques (climatologues, économistes, sociologues, géographes…) membres de cet organisme indépendant créé en novembre 2018 par Emmanuel Macron et présidé par la climatologue Corinne Le Quéré, estiment que les « actions engagées par la France dans la lutte contre le changement climatique ne sont pas à la hauteur des enjeux ».

Un constat en forme de bis repetita, par rapport au premier rapport publié en juin 2019, qui pointait déjà « l’insuffisance » des actions entreprises par le gouvernement. Or il y a urgence pour les experts du HCC, qui note que 2019 fut l’année la plus chaude jamais enregistrée en Europe et que « l’enjeu n’est pas [désormais] d’intégrer le climat au cadre du plan de reprise, mais d’insérer le plan de reprise dans les limites du climat ».

Des progrès dans la gouvernance mais peu d’actions structurantes dans les faits

Si les politiques climatiques ont vu leur gouvernance renforcée, notamment à travers la mise en œuvre prochaine du budget vert (actuellement discuté en projet de loi de finances), via les budgets carbone pour chaque ministère et les feuilles de route inscrits dans la loi énergie-climat, l’évaluation des lois en regard du climat « a peu progressé » malgré les discours d’intention, indique le rapport. Pourtant, il est essentiel pour Corinne Le Quéré de « redresser le cap et relancer la transition bas carbone », comme elle le confiait il a quelques jours lors d’un briefing avec la presse. « L’urgence climatique appelle à accélérer considérablement les mesures mises en place » et à « faire des choix ambitieux dans le cadre du plan de reprise ». Elle estime par ailleurs que« le pilotage de la stratégie nationale bas carbone manque de fermeté et de transversalité ».

Une réduction des émissions qui doit être multipliée par trois en cinq ans

La réduction des émissions de gaz à effet de serre est insuffisante pour respecter les budgets carbone futurs souligne le rapport, puisqu’avec un recul de 0,9 % en 2019, passant de 445 millions de tonnes équivalent CO2 en 2018 à 441 MtCO2eq, selon les chiffres préliminaires du Centre technique d’études de la pollution atmosphérique (Citepa), la France devra tripler ses efforts de réduction de GES d’ici cinq ans pour atteindre la trajectoire de – 3 % fixée dès 2025. Comme les années précédentes, le transport reste le secteur le plus émetteur de GES (30 %), suivi de l’agriculture, le bâtiment et l’industrie (entre 18 et 20 % chacun). « Tous ces secteurs ont dépassé les allocations qui leur été allouées dans le précédent budget carbone [2015-2018] », souligne Corinne Le Quéré, qui relève que « le rythme de baisse est trop faible et les transformations structurelles ne sont engagées dans aucun secteur ». « Les retards accumulés du transport et du bâtiment sont ceux qui pèsent le plus dans les déficits carbone des années passées » note également le rapport du HCC. Conséquence de la crise sanitaire : les émissions de notre pays vont certes baisser en 2020 mais le HCC prévient déjà que « cette baisse sera marginale ».

La volonté gouvernementale à l’épreuve du plan de relance

Pour le HCC, il y a une évidence : les plans de sortie de crise doivent non seulement « intégrer les enjeux du climat afin d’accélérer la mutation inéluctable de l’économie face au changement climatique » mais également se servir de cette occasion pour « entamer des changements structurels profonds ». « Ce plan de reprise sera la mesure réelle de l’attention porté au climat par le gouvernement » souligne la climatologue qui indique que les premières mesures annoncées pour le secteur automobile et aériens « ne vont pas dans le bon sens avec des dispositions peu contraignantes et sans mesures d’évaluation ». Si la recommandation la plus importante de ce rapport est, selon le HCC, « de bannir tout soutien aux secteurs carbonés du plan de reprise », le groupe d’experts publie une série de mesures structurantes compatibles avec les objectifs climat.

La rénovation énergétique coche toute les cases

Pour favoriser la reprise économique tout en mettant les enjeux climatiques au cœur de la relance, le HCC prône la mise en place rapide de mesures dites « efficaces » en termes de déploiement, de réduction des émissions, vectrices d’emplois et aux bénéfices plus larges en termes de santé et de bien-être, ciblant principalement des secteurs comme celui du bâtiment, où les enjeux autour de la rénovation énergétique, maintes fois mise en avant depuis des mois, sont aussi un axe majeur du plan. Rénovation énergétique « bénéfique à tous les niveaux » souligne Corinne Le Quéré, dans un secteur à forte densité de main-d’œuvre. Un secteur que l’État doit accompagner en priorité en développant un marché de la rénovation globale. Les investissements dans les transports publics et les infrastructures de mobilité douce apparaissent également comme essentiels aux yeux des experts du HCC pour décarboner un secteur dont les émissions n’ont pas baissé depuis 30 ans, avec la nécessité d’investir dans le transport ferroviaire.

Industrie, agriculture, EnR : une marge de progression importante

Du côté de l’industrie et de la construction, des secteurs où les émissions de GES affichent une baisse constante depuis plusieurs décennies, le HCC recommande d’améliorer l’efficacité énergétique et l’électrification, de développer le recyclage des déchets et des matériaux et de soutenir la R&D de procédés industriels bas-carbone. Il incite également le gouvernement à dresser des feuilles route avec des objectifs contraignants pour chaque filière. Le secteur agricole, qui n’est pas « structurellement engagé vers la trajectoire bas carbone » note le rapport, doit se préparer à l’évolution de la politique agricole commune (PAC) et mettre en place des actions pour valoriser le stockage de carbone dans les sols, inciter au développement d’une stratégie pour les protéines végétales ou encore favoriser l’émergence de pratiques agroécologiques. Des mesures qui offrent selon le HCC de nombreux co-bénéfices pour la biodiversité, la lutte contre la déforestation importée, la nutrition et la santé, l’emploi ou encore l’indépendance énergétique de notre pays. Enfin, accélérer le développement des EnR demeure une priorité en France. Si la part des énergies renouvelables (EnR) dans la consommation finale brute d’énergie, évaluée à 17,2 %  en 2019, progresse, elle reste cependant insuffisante. À noter que le biogaz apparaît comme une solution efficiente et disponible avec des « effets majeurs et significatifs » mesurables à court terme selon le HCC. Corinne Le Quéré est catégorique : « Les investissements doivent être pensés de manière transversale et non secteur par secteur », pour un plan de relance global.

Les régions, relais incontournables pour les politiques climatiques

« Le climat doit devenir un cadre référence de l’action publique au niveau des régions », souligne Corinne Le Quéré, insistant sur « leur rôle de chef de file » pour impulser et coordonner sur le terrain les politiques climatiques. Cependant, la climatologue souligne la nécessité « d’adapter ces politiques au niveau local afin de tenir compte de la spécificité des territoires ». Un constat évoqué dans ce rapport qui intègre une analyse détaillée des émissions de GES par région et où l’on peut se rendre compte de la disparité régionale des émissions. Une disparité faible pour le secteur des transports où les émissions sont globalement élevées partout mais particulièrement importante pour les émissions liées à l’agriculture ou l’industrie, alors que celles du bâtiment sont relativement homogènes du nord au sud de l’Hexagone.

La présidente du HCC, dont les membres ont déjà été auditionnés par Bruno Le Maire dans le cadre du plan de relance, a indiqué que le ministre de l’Économie « s’était engagé à [leur] soumettre, pour avis, le plan avant sa publication », prévue à la rentrée.