L’agriculteur est un entrepreneur du « green New Deal »

Publié le 21/02/2020

4 min

Publié le 21/02/2020

Temps de lecture : 4 min 4 min

Rémy Companyo, co-fondateur d’Ilek

L’agriculteur a bien mauvaise presse. Il est pauvre et il pollue la planète. Selon un récent rapport de l’Insee publié en 2019, 20 % des agriculteurs, dont un tiers d’éleveurs bovins, n’ont pu se dégager de salaire en 2017. Surtout, l’impact environnemental de ses activités attire, à tort ou à raison, la foudre des écologistes. À raison puisque l’élevage émet 14,5 % des gaz à effet de serre selon les conclusions de la FAO. Mais aussi à tort puisque nombre d’agriculteurs, forts de ces enjeux climatiques et soucieux de la diversification de leur profession, rendent grâce à la théorie de Jeremy Rifkin : en faisant effectivement le choix de la méthanisation, ils convertissent le problème climatique en opportunité économique nouvelle. Et c’est à ce titre que l’agriculteur devient aujourd’hui plus que jamais un entrepreneur du « green New Deal ».

Par Rémy Companyo, co-fondateur dIlek

 

Ilek est un fournisseur d’électricité verte et de gaz bio issus de producteurs d’énergie indépendants d’origine française, créé en 2015.

L’agriculteur : de l’exploitant à l’entrepreneur

L’agriculteur d’hier était un acteur en prise avec la société de consommation de masse. Tout consommateur des Trente Glorieuses désirait acheter son poulet à moins de 10 euros le kilo en hypermarché. Cette demande explosive a poussé le secteur vers des modèles agricoles et industriels de plus en plus productivistes. Mais ces derniers atteignent aujourd’hui leurs limites, pour deux raisons principales : la première, c’est qu’ils ont placé les agriculteurs dans des situations de précarité financière. La multiplication des intermédiaires dans la filière du lait et de la viande a réduit considérablement la marge des producteurs. Avec 35 centimes d’euro de revenu en moyenne par litre de lait et 380 euros les 1 000 litres, la plupart des producteurs laitiers ne parviennent pas à vivre de leurs activités. Seconde raison : l’impact climatique de l’agriculture extensive a eu des conséquences considérables. Rien qu’à elle, la filière bovine serait responsable de 60,4 % des émissions de gaz à effet de serre agricoles françaises. C’est pour toutes ces raisons que, plus que jamais en 2020, l’agriculture est sur le chemin de la transition. En ligne de mire, des modèles plus pérennes et responsables émergent : agriculture biologique, agriculture raisonnée, permaculture, etc. En parallèle, c’est  fort de ces enjeux nouveaux que l’agriculteur a changé de posture au fil des années. De l’image d’Epinal de l’exploitant sur un tracteur, le voilà devenu en quelques années un chef d’entreprise beaucoup plus multi-casquettes qui doit gérer ses coûts et ses profits, trouver des financements, défendre ses projets, faire du lobbying, etc.

La méthanisation est un levier du « green New Deal » agricole

La méthanisation se révèle justement un projet entrepreneurial efficace chez les éleveurs bovins. Elle permet de transformer la crise structurelle et climatique en opportunité majeure. Soit un « green New Deal » agricole si l’on emprunte les termes de Jeremy Rifkin. Pour rappel, la méthanisation consiste à produire du biogaz à partir des déjections bovines. Le processus a ses lettres de noblesse écologiques. Il valorise les déchets en produisant une énergie renouvelable et décarbonée. Il réduit les émissions de gaz à effet de serre : avec la méthanisation, ce sont 4 500 tonnes de CO2 qui sont économisées chaque année. Enfin, il diminue l’apport des engrais de synthèse. Surtout, la méthanisation améliore sensiblement les revenus des agriculteurs. Selon l’étude menée par l’Ademe « Agriculture et énergies renouvelables » en 2018, la méthanisation agricole aurait permis de dégager en France un chiffre d’affaires de 88 millions d’euros par an. Et les promesses ne s’arrêtent pas là puisque le gouvernement entend bien faire grimper la part des gaz issus de l’élevage à plus de 10 % d’ici 2030. À l’échelle locale, la méthanisation permet enfin de fonctionner en circuit court. Encore aujourd’hui, la France reste dépendante d’autres pays comme la Russie, la Grande-Bretagne ou encore l’Algérie pour sa consommation de gaz. Demain, on pourrait imaginer la réduction de cette dépendance énergétique au profit du rapprochement des territoires, et du producteur-consommateur.

L’agriculteur est aujourd’hui cet entrepreneur bien conscient de la nécessité du « produire mieux » pour la planète tout en s’assurant des revenus stables. La méthanisation est une des voies pour y parvenir et réconcilier économie et écologie. La démarche crée en tout cas du sens chez toute une génération de jeunes producteurs.