« Le développement des énergies renouvelables, de l’économie circulaire, des mobilités douces et de la rénovation énergétique se passe avant tout dans les territoires »

Publié le 20/10/2020

11 min

Publié le 20/10/2020

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Gaz d’aujourd’hui a demandé à Christophe Bouillon, président de l’Association des petites villes de France (APVF) qui fédère les villes de 2 500 à 25 000 habitants, d’évoquer le rôle majeur qu’elles occupent dans la transition énergétique et écologique et comment l’APVF les accompagne.

Propos recueillis par Laura Icart

 

Les collectivités territoriales et les petites villes sont appelées à jouer un rôle majeur dans la transition écologique. Comment l’APVF les accompagne ?

La transition écologique est par nature locale. Le développement des énergies renouvelables, de l’économie circulaire ou des mobilités douces et de la rénovation énergétique se passe avant tout dans les territoires. Les petites villes impulsent et accompagnent cette transition. L’APVF les accompagne dans cette mission de trois manières. Premièrement, par la défense des enjeux écologiques locaux auprès des décideurs nationaux et notamment la demande de plus de moyens techniques et financiers pour les territoires. Deuxièmement, par le conseil aux petites villes, notamment juridique, et l’accompagnement dans leur projet écologique. Enfin, par le décryptage des textes en cours et le partage d’expérience entre territoires, avec la réalisation de fiches de bonnes pratiques qui mettent en avant les initiatives des petites villes en matière de transition écologique.

Accélérer les transitions écologique et énergétique est un enjeu clé pour renforcer la résilience des territoires et fonder un nouveau modèle de développement plus vertueux et respectueux de l’environnement. Aujourd’hui, estimez-vous que la qualité des moyens alloués par l’État aux territoires soit suffisante pour répondre au défi climatique ?

Les collectivités locales ont vu ces dernières années leur rôle s’accroître en matière de transition écologique alors même que leurs moyens n’ont pas augmenté et ont même parfois baissé. Les collectivités, et plus particulièrement les petites villes, souffrent donc aujourd’hui d’un manque de moyens financiers mais aussi techniques pour relever le défi écologique. Les différents dispositifs annoncés par le gouvernement, comme les contrats de transition écologique, n’apportent aucun moyen financier supplémentaire aux petits territoires.

Quelles sont les priorités que vous fixeriez si vous deviez définir une politique d’aménagement du territoire durable ?

Un aménagement durable du territoire passera par trois étapes essentielles : la relance des petites lignes ferroviaires et des mobilités douces sur tout le territoire, qui permettront de décarboner nos mobilités tout en désenclavant nos territoires – dans certaines petites villes, il n’existe pas d’alternative durable à la voiture ; la lutte contre l’artificialisation des sols et l’érosion de la biodiversité. L’APVF a salué le moratoire sur l’installation de zones commerciales en périphérie, qu’elle réclamait de longue date et défend l’objectif de zéro artificialisation nette. Enfin, le développement de la complémentarité entre grandes aires urbaines et petites villes. L’APVF a rappelé à plusieurs reprises la nécessité de ne pas opposer ces deux types de territoire. Il faut favoriser le développement des synergies entre ces types de territoires, à l’instar des boucles locales d’énergies et des circuits courts.

Dans un rapport sorti récemment (« La transition énergétique territoriale créatrice de valeur(s) et moteur de développement »), le Cler, Réseau pour la transition énergétique, met en exergue la nécessité de façonner une véritable politique de transition énergétique à l’échelle locale. C’est aussi votre vision : la nécessité d’aller vers une plus grande décentralisation des politiques publiques ?

L’APVF va dévoiler prochainement sa contribution au projet de loi 3D qui contiendra un volet transition écologique. Dans cette contribution, l’APVF ne plaide pas pour une nouvelle répartition des rôles en matière de transition écologique mais bien pour des précisions et une affirmation du rôle de la commune dans la transition écologique. Elle plaide donc pour la décentralisation des moyens humains et financiers pour que les collectivités puissent exercer leur compétence écologique ; pour la réaffirmation du rôle de la commune et notamment des petites communes qui portent la transition écologique dans les territoires ; et pour une meilleure association des élus locaux à l’élaboration des politiques publiques locales. Il faut partir de ce qui existe dans les territoires pour élaborer la stratégie environnementale. Il faut « penser local pour agir global ». La programmation pluriannuelle de l’énergie doit s’appuyer sur les plans climat air énergie territoire (PCAET) et les schémas régionaux d’aménagement de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet) et non l’inverse.

Les contrats de transition écologique (77 ont été signés à cette date) semblent être une démarche partenariale intéressante entre l’État et les collectivités. Cependant, peu de petites villes y ont eu recours. Comment l’expliquez-vous ? Quels sont les freins et a contrario les leviers à actionner ?

Présente aux réunions de consultation organisées par le ministère, l’APVF a souligné à plusieurs reprises les limites à ce dispositif : d’une part, les CTE se limitent à de la mise en commun d’acteurs et à de l’apport d’ingénierie sans financement supplémentaire. Les TEPCV, ancêtres des CTE, venaient soutenir l’investissement et étaient très utiles pour les territoires. D’autre part, les CTE concernent essentiellement les grandes intercommunalités. Dans les 60 premiers, l’APVF a constaté que seuls une dizaine de territoires avaient moins de 25 000 habitants alors même qu’à l’origine ces contrats devaient venir accompagner les plus petites collectivités, moins dotées en ingénierie. Cela s’explique par la logique d’appel à projets qui élimine les petits territoires les moins dotés en moyens humains pour remplir les dossiers. Aussi, les CTE étaient censés accompagner des territoires qui n’avaient pas encore de projet écologique, à le construire. Or, dans bien des cas, on a l’impression que le projet de territoire est une condition pour être retenu. L’APVF a fait part de ce point au gouvernement et a réclamé un ciblage des futurs contrats de relance et de développement écologique sur les territoires les plus petits et les plus en difficulté. Pour lever également ces freins, il faut sortir de la logique d’appel à projets qui pénalise les collectivités les moins dotées en ingénierie et par là même celles qui ont le plus besoin d’être accompagnées.

De l’avis de beaucoup, la relance passera par les territoires. Concrètement, quelles sont aujourd’hui vos préconisations pour soutenir cette transition écologique auprès des élus dans des villes fragilisées économiquement par la crise de la Covid-19 ?

Dans sa contribution au « monde d’après », l’APVF a fait plusieurs propositions pour une relance verte et durable de nos territoires : tout d’abord, le renforcement des moyens techniques et financiers des collectivités, avec l’affectation d’une part des recettes de la fiscalité carbone aux territoires et le renforcement des moyens de l’Ademe pour soutenir l’ingénierie externe des collectivités. Le développement de l’ingénierie interne, notamment dans les petites villes, doit également être soutenu.  Également proposé : le développement d’une industrie verte au service de nos territoires. Les petites villes, à l’image de Liffré, Malaunay ou encore Loos-en-Gohelle, ont été lourdement touchées par la désindustrialisation. Elles ont néanmoins su trouver dans la transition écologique et les filières durables une source de dynamisme et d’attractivité. Ces filières « vertes » à forte valeur ajoutée pour les territoires, comme l’économie circulaire, les énergies renouvelables ou encore la rénovation énergétique, doivent être favorisées et accompagnées par l’État. Enfin, dernière proposition : le soutien aux mobilités bas carbone, comme le ferroviaire et les mobilités vertes fondées sur le biogaz et l’électrique.

Dans votre contribution au « monde d’après », vous demandez l’affectation d’une part des recettes de la fiscalité carbone aux collectivités territoriales. Pourquoi est-ce un enjeu majeur selon vous ?

Avec la mise en place des PCAET et des Sraddet et le développement des compétences écologiques des collectivités, ces dernières ont vu leur rôle dans la transition écologique renforcé sans pour autant avoir de moyens supplémentaires, on l’a dit. C’est pourquoi l’APVF plaide pour l’affectation des recettes de la fiscalité carbone directement aux territoires. Ces recettes ont deux intérêts : financer la transition écologique des territoires et donner du sens à cette fiscalité qui apparaît aujourd’hui insuffisamment ciblée et punitive. Les territoires portent aujourd’hui la transition écologique, mais jusqu’à quand ? Ils ne pourront pas y arriver indéfiniment sans un véritable accompagnement de l’État. C’est pourquoi l’APVF porte cette proposition.

Vous évoquez également le renforcement du fonds chaleur de l’Ademe et des dispositifs de soutien à la filière biogaz. Justement, parlons du développement de la filière biométhane sur nos territoires : comment selon vous faudrait-il mieux accompagner les porteurs de projets et les collectivités sur cette filière à forte valeur ajoutée ?

L’APVF a en effet appelé de ses vœux un renforcement du soutien à la filière biogaz et aux réseaux de chaleur. Ces énergies, en plus d’être durables, représentent un fort vivier d’emplois et de dynamismes pour nos territoires. Pour mieux accompagner les porteurs de projets en matière de biogaz notamment, il convient de renforcer l’ancrage territorial de l’Ademe ainsi que ses moyens pour accompagner les territoires dans ce type de projet, et de stabiliser et simplifier les règles en vigueur dans ce domaine sans pour autant remettre en cause le volet participatif des habitants qui est essentiel. Au-delà de ces évolutions, pour faciliter l’accompagnement des porteurs de projets, il convient de développer une fiscalité plus incitative pour encourager le développement de ces énergies à forte valeur ajoutée pour les territoires.

L’enjeu de la mobilité est un axe fort de la transition énergétique. Quelles sont vos préconisations en la matière pour développer des mobilités plus durables et plus inclusives (bioGNV, hydrogène, électricité, biocarburant…) ?

La décarbonation de nos déplacements est un sujet essentiel, notamment pour les habitants des petites villes qui n’ont pas d’alternative à la voiture. C’est pourquoi l’APVF défend un plus grand recours à la fiscalité pour soutenir ces filières mais aussi un renforcement du rôle de France Mobilités, qui est partenaire de l’APVF.

Autre enjeu majeur : la qualité de l’air. Près de 48 000 décès, directs et indirects, lui seraient imputables (9 % des décès en France en 2016). Estimez-vous aujourd’hui que les moyens techniques et financiers alloués aux politiques publiques, déclinés à l’échelle locale (Sraddet, Scot, PLU, PPA…) soient suffisants ?

Comme l’a répété à plusieurs reprises l’APVF, l’enjeu essentiel aujourd’hui est la question des moyens aussi bien techniques que financiers alloués aux territoires pour relever le défi écologique. Les territoires n’ont aujourd’hui pas les moyens pour y répondre seuls.

La précarité énergétique touche plus 5 millions de Français, dont beaucoup vivent dans les territoires périurbains et ruraux. Il y a quelques années, une étude de l’Observatoire du consommateur d’énergie stipulait que « les ménages qui habitent les petites villes ou les communes rurales ont une facture énergétique 23 % plus élevée que la moyenne des ménages ». Comment mener une vraie politique d’efficacité énergétique sur nos territoires et quelles sont les actions que vous préconisez ? 

La précarité énergétique est un sujet à la fois social et écologique qui touche plus particulièrement les petites villes. L’APVF en a fait son cheval de bataille depuis plusieurs années déjà. Les politiques successives ont une à une prouvé leur inefficacité. L’instabilité permanente des dispositifs a contribué à ces échecs successifs. Face à ce constat d’échec et à l’urgence sociale et écologique grandissante dans notre pays, l’APVF appelle à lancer une grande politique de rénovation de l’habitat public-privé. Cette grande politique implique la mise en place d’un service public de la performance énergétique de l’habitat dans tous les territoires avec des financements garantis, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, et la création d’un guichet unique d’aide et de financement. Aussi, les dispositifs en la matière doivent être stabilisés et simplifiés afin de les rendre plus lisibles pour les personnes privées mais aussi les collectivités. Enfin, le tiers financement, notamment bancaire, doit être développé afin de limiter au maximum le reste à charge pesant sur les ménages qui souhaitent réaliser des travaux de rénovation énergétique.

Crédit : APVF.