« La transition énergétique est le principal levier socio-économique sur nos territoires »

Publié le 08/10/2020

9 min

Publié le 08/10/2020

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Depuis 1984, le Cler, réseau pour la transition énergétique, promeut et développe sur nos territoires des projets concrets liés à la transition énergétique. Cette association, qui fédère un réseau de plus de 300 structures professionnelles en France, est notamment à l’origine de l’initiative « Territoires à énergie positive » (Tepos). À l’heure où l’appropriation des enjeux énergétiques à une échelle territoriale s’avère une nécessité, Gaz d’aujourd’hui a demandé à Yannick Régnier, responsable de projets Territoires, de nous expliquer les atouts de cette transition énergétique territoriale et pourquoi les territoires ruraux en sont les fers de lance.

Propos recueillis par Laura Icart

 

Le réseau Tepos, animé par le Cler et qui vise à favoriser la sobriété énergétique, développer la performance énergétique et encourager la production locale d’énergies renouvelables, a été initié il y 10 ans. Où en est-on aujourd’hui ?

En 2010, nous souhaitions créer un espace d’échanges transverse dédié aux territoires ruraux sur leurs stratégies énergétiques, à une époque où les plans climat [rendus obligatoires la même année pour les collectivités de plus de 50 000 habitants par la loi Grenelle II, NDLR] commençaient à se mettre en œuvre dans les villes, les agglomérations et les métropoles. Le réseau Tepos a vu le jour en 2011 à l’initiative de territoires ruraux et d’acteurs qui avaient les mêmes préoccupations et les mêmes leviers d’action, persuadés du rôle majeur qu’ils avaient à jouer pour une transition énergétique locale. L’idée des Tepos est de mener les actions locales les plus concrètes possibles, où tous les acteurs associatifs et politiques, société civile, entrepreneurs, agriculteurs et citoyens peuvent être parties prenantes pour aller vers plus de sobriété énergétique, plus de solidarité et une véritable planification énergétique territoriale avec comme objectif 100 % d’énergies renouvelables locales. Une démarche qui s’inscrit en complémentarité des dispositifs existants [PCAET, CTE, Cit’ergie, NDLR], renforçant l’idée que la maille territoriale est le meilleur échelon pour construire une approche énergétique en cohérence avec les spécificités des territoires et les nombreux enjeux (économiques, sociaux, démocratiques et environnementaux) auxquels ils doivent répondre et qui leur sont propres. La transition énergétique est le principal levier socio-économique de nos territoires, tout à la fois créatrice de valeurs et moteur de développement. C’est une conviction et une vision politique partagée par tous les territoires qui s’engagent dans le réseau. Des territoires pionniers qui sont nos meilleurs ambassadeurs dans la diffusion de bonnes pratiques en France et en Europe. Le réseau Tepos compte aujourd’hui 130 membres, 90 territoires [ils étaient 12 à sa création en 2011, NDLR] dont la commune de Loos-en-Gohelle (Pas-de-Calais), par exemple, qui a créé 350 emplois autour des éco-activités en 10 ans, ou encore la coopérative agricole des Fermes de Figeac dont les projets énergétiques ont impliqué près de 1 000 investisseurs locaux et qui participe activement à l’attractivité de son bassin de vie.

Quelles sont les actions menées par le Cler pour accompagner ces collectivités ?

Le Cler permet aux élus et aux techniciens de monter en compétences en les accompagnant dans leurs actions locales de transition énergétique grâce à la mise à disposition d’outils méthodologiques et à l’organisation de nombreux échanges. Ceux-ci constituent d’ailleurs une bonne partie de notre travail : instaurer le dialogue via des groupes de travail, des visio-conférences, des échanges réguliers avec les services de l’État, les collectivités et les citoyens, dont le point d’orgue est l’organisation de nos Rencontres nationales annuelles [les 10e Rencontres nationales « énergie et territoires ruraux : vers des territoires à énergie positive » ont eu lieu fin septembre sur la commune du Mené (Morbihan), NDLR]. Nous avons mis en place sur notre activité d’accompagnement des collectivités locales un relais de dispositifs méthodologiques ou de production d’outils méthodologiques. Nous avons par exemple développé un outil qui s’appelle « destination Tepos », une méthode ludique et intuitive de sensibilisation et d’appropriation des enjeux de la transition énergétique par les collectivités locales et acteurs locaux pour construire le scénario énergétique de leur territoire. C’est un dispositif que nous proposons depuis trois ans, accompagné d’une formation via un réseau d’utilisateurs (bureaux d’études, collectivités, associations spécialisées…) et qui a été mis en œuvre sur plus d’une centaine de territoires. Actuellement, nous travaillons sur la question de l’articulation des démarches territoriales de transition existantes. Comme chaque gouvernement rajoute sa démarche depuis 10 ans, elles ne sont pas toujours bien identifiées et pensées en complémentarité. Ce que nous souhaitons c’est montrer de manière très concrète aux territoires et aux collectivités que s’engager dans la transition énergétique a autant d’intérêt économique qu’environnemental. C’est encore plus vrai si cette transition est menée en mobilisant les ressources et les acteurs locaux.

Quelles articulations avec les grands acteurs publics en charge de la transition énergétique et écologique ?

Nous travaillons avec tous les acteurs, qu’ils soient publics ou privés, dans un esprit de concertation et de dialogue. Notre activité est financée par nos membres [les adhésions représentent 10 % du budget du Cler, NDLR] mais aussi par des structures publiques telle que l’Ademe, la Banque des territoires ou l’Agence de la cohésion des territoires. Si nous utilisons nos propres outils, nous travaillons en complémentarité avec ces structures en tissant également des liens opérationnels avec leurs offres. Notre boussole étant toujours d’aider les territoires à se saisir des enjeux de la transition écologique et énergétique et de faciliter au maximum leur accès aux dispositifs et le cas échéant aux financements qui leur sont associés. À ce titre, nous saluons la logique qui a conduit à la création de l’Agence de la cohésion des territoires [mise en place le 1er janvier 2020, NDLR] et son ambition de venir en appui aux territoires et de répondre concrètement à leurs besoins. Faciliter la compréhension et simplifier l’accès aux dispositifs en limitant autant que possible les appels à projets est une nécessité pour des collectivités rurales qui manquent bien souvent de moyens humains et qui se trouvent face à un imbroglio administratif. Il faut le reconnaître, la complexité de certains dispositifs ne les encourage pas jusque-là à entamer des démarches pour obtenir des aides, auxquelles elles ont pourtant droit. Cette nouvelle porte d’entrée est un signal positif envoyé aux territoires ruraux. Nous attendons maintenant de voir la mise en œuvre opérationnelle, comme avec le programme « petites villes de demain » [qui vise à améliorer les conditions de vie des habitants des petites communes de moins de 20 000 habitants exerçant des fonctions de centralité sur leur bassin de vie et montrant des signes de vulnérabilité. Au programme : 1 000 communes accompagnées et une enveloppe de 3 milliards d’euros allouée entre 2020 et 2026, NDLR]. La simplification de la contractualisation entre l’État et les collectivités est attendue. Nous souhaitons que les contrats de relance et de transition écologique à venir soutiennent les projets de territoire en construction après les élections et qu’ils accélèrent la territorialisation de la transition énergétique. Restera encore un enjeu majeur à traiter : l’ingénierie d’animation dans les territoires est insuffisante. L’État et les régions doivent aider à la financer. Il faut investir dans l’humain.

Le Cler a publié récemment un rapport intitulé « La transition énergétique territoriale, créatrice de valeur(s) et moteur de développement » dont vous êtes l’auteur. Quels en sont les principaux enseignements ?  

Ce rapport est le fruit de deux ans de travail qui recense près de 10 années d’expériences via le réseau Tepos. Il démontre que la transition énergétique est une chance et un puissant levier pour le développement local et la cohésion des territoires. Les retombées fiscales générées, à elles seules, permettent en effet à la collectivité́ de consolider sa capacité d’agir de manière autonome et dans la durée sur l’énergie. La manière dont la communauté́ de communes du Thouarsais et le parc des Grands Causses, par exemple, ont combiné volonté́ politique, approche stratégique, actions concrètes, mais aussi recours aux aides publiques (État, région…), au fil de leur histoire énergétique sur les 15 dernières années, en fait des modèles probants et généralisables pour la conduite d’une politique territoriale de transition énergétique en milieu rural. La réussite des projets liés à la transition énergétique nécessite avant tout de mener une politique locale de l’énergie en développant des projets propices au développement et à l’attractivité de son territoire en s’appuyant sur les acteurs locaux. L’appropriation locale des projets et leur adaptabilité aux spécificités du territoire sont les principaux facteurs qui détermineront la réussite d’un projet. Car les projets d’énergies renouvelables ne sont pas seulement un élément central d’un système énergétique décentralisé́ touchant les intérêts économiques des investisseurs et exploitants (entreprises, filières). Ils revêtent également une importance cruciale sur les plans de la politique et de l’économie territoriales pour les collectivités, les citoyens et les entreprises locales. La valeur locale créée par un projet local d’énergie renouvelable est huit fois supérieure à celle d’un projet extérieur, effets multiplicateurs locaux compris [comme pour l’éolien, NDLR]. Pour 1 euro investi localement en fonds propres dans un projet, 2,5 euros profitent au tissu économique local. En d’autres termes, plus nous rendons concrets les bénéfices que peuvent tirer chaque acteur du territoire d’un projet d’énergie renouvelable, plus nous facilitons son acceptabilité et sa mise en œuvre. Chaque territoire doit retrouver la maîtrise de sa facture énergétique pour créer sa propre boucle d’énergie vertueuse.

Crédit : Cler.