La filière cogénération « à bout de souffle » réclame son plan d’urgence

Depuis quelques années, la viabilité économique des sites de cogénération est mise à rude épreuve. L’AAMF et FGR réclament au gouvernement « un soutien vital ». ©AAMF

Publié le 28/03/2024

8 min

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Depuis bientôt deux ans, la filière de la cogénération alerte le gouvernement et les pouvoirs publics sur ses difficultés, avec une évolution tarifaire déconnectée de la réalité du terrain depuis le début de la crise énergétique. Dans sa délibération du 25 mars, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) met en lumière une augmentation significative de près de 33 % des coûts de production de la méthanisation en cogénération entre 2021 et 2023. Une situation alarmante pour l’Association des agriculteurs méthaniseurs de France (AAMF) et France gaz renouvelables (FGR) qui demandent au gouvernement « un soutien vital » pour la pérennisation de la filière cogénération en France.

Par Laura Icart

 

Comme pour le biométhane injecté, la production d’électricité à partir de biogaz fait pourtant partie des bons élèves de la dernière programmation pluriannuelle de l’énergie avec des objectifs qui ont été atteints. Cependant, sur le terrain, la situation est morose, voire critique dans certaines régions. Dans un contexte inflationniste, avec un tarif qui ne reflète plus les coûts, la filière se meurt peu à peu, avec des agriculteurs qui renoncent et peu de nouveaux projets à l’étude faute de rentabilité et de visibilité. En 2023, le dépôt de projet cogénération était quasi à l’arrêt. Et que dire du rythme de nouveaux raccordements qui a fortement décru en une dizaine d’années. Il est passé de 35 MW raccordés au réseau en 2012 à 9 MW en 2023 selon le baromètre annuel Observ’ER publié en janvier. Une situation « alarmante » pour l’AAMF et FGR qui demandent des mesures « concrètes et immédiates » pour soutenir les exploitations « confrontées à des difficultés extrêmes », à savoir la revalorisation de la prime sur les effluents d’élevage, l’augmentation de la capacité de production pour les sites dont la production est aujourd’hui limitée à 499 kWh et la possibilité de sortir de la cogénération sans pénalité pour tous les types de contrats, en attendant que les évolutions tarifaires proposées par la Commission de régulation de l’énergie soient mises en place.

Les coûts d’exploitation en forte hausse

En France,  plus d’un millier d’installations produisant de l’électricité à partir de biogaz sont raccordées au réseau pour une capacité installée évaluée à quasi à 600 MW et une production d’électricité qui s’est élevée  à 3 TWh en 2023. La cogénération biogaz représente un peu plus de la moitié des installations de méthanisation sur notre territoire (55 %) mais sa dynamique est fortement ralentie depuis le début de la crise énergétique. Et les chiffres avancés par la CRE dans sa délibération du 25 mars sont édifiants. Entre 2021 et 2023, les coûts d’exploitation des unités de méthanisation en cogénération ont bondi de 33 %, impactant « tous les aspects des coûts opérationnels, incluant la maintenance, la consommation électrique et les intrants ». Les investissements et particulièrement les coûts de construction ont également bondi de près de 30 %. « La consommation électrique a grimpé de manière spectaculaire de 92 % sur la période 2021-2023 ». Au total, la CRE conclut à « une hausse moyenne de 17 % du coût total d’exploitation ». Ces chiffres ont été établis via les données remontées par 34 exploitations agricoles adhérentes de l’Association des agriculteurs méthaniseurs de France qui se sont prêtées au jeu de la transparence, reflétant une diversité de situation avec toutes les typologies de contrats représentés, les BGM6 (arrêté tarifaire du 10 juillet 2006), les BG11 (arrêté tarifaire du 21 mai 2011) et les derniers les BG16 (arrêté tarifaire du 13 décembre 2016), les plus représentés aujourd’hui dans le secteur de la cogénération. Si, selon la nature du contrat, les agriculteurs cogénérateurs ne sont pas confrontés aux mêmes difficultés, tous font face à des difficultés de trésorerie dans un contexte fortement inflationniste.

Quasi les trois quarts des sites de cogénération en danger

« Depuis 18 mois, nous alertons sur l’insoutenabilité des contrats de cogénération actuels », souligne Jean-François Delaitre, président de l’AAMF, qui réclame la mise en place de plusieurs mesures d’urgence pour pouvoir dégager de la trésorerie pour les exploitations qui connaissent le plus de difficultés. Car les chiffres sont inquiétants, en pleine crise agricole. Selon l’étude économique Prodige menée par l’Ademe et les chambres d’agriculture à laquelle l’AAMF se réfère, « 300 sites connaissent depuis trois ans des taux de rentabilité tellement faibles que leur activité est en danger » dont 170 « ont un résultat négatif et sont menacés de fermeture », principale conséquence d’un tarif plus en adéquation avec les réalités du terrain. En Occitanie, « une dizaine de sites [cogénération agricole NDLR] sur la trentaine en service sont dans cette liste des 170 » confie à Gaz d’aujourd’hui Adeline Canac, secrétaire de l’AAMF et présidente de la branche régionale de l’association en Occitanie. L’action de la CRE porte sur la refonte du coefficient L pour « davantage refléter les coûts réels de production d’électricité » : le régulateur a proposé une révision des conditions tarifaires de tous les contrats de cogénération avec une nouvelle formule qui devrait permettre une progression du chiffre d’affaires de 0,5 à 4, 5 %. « Des mesures salutaires et indispensables face à un tarif intenable » nous indique Adeline Canac, qui vont permettre un rattrapage « pour les années difficiles ». Pour rappel, la formule de calcul de ce tarif d’achat du biométhane contient deux mécanismes d’indexation : le coefficient K qui est calculé au moment de la signature du contrat d’achat et qui permet d’ajuster la grille tarifaire aux coûts courants de production du biométhane et le coefficient L, qui s’applique à compter de la mise en service de l’installation et qui porte l’évolution du tarif d’achat pendant la durée d’exploitation de l’installation pour prendre en compte les variations des coûts de production, notamment liées à l’inflation. La CRE évoque également la mise en place d’un coefficient K pour les futurs contrats, sachant que ce coefficient K qui existe pour tous les contrats en injection n’existait plus depuis le dernier arrêté tarifaire du 13 décembre 2016 pour les sites en cogénération. « Une situation dont a on n’a pas mesuré la portée à l’époque mais qui nous revient en pleine figure aujourd’hui » souligne Adeline Canac. « Le coefficient K doit être réintégré sur tous les contrats en vigueur depuis l’arrêté tarifaire de décembre 2016 afin que tous les producteurs de biogaz soient logés à la même enseigne. »

Des mesures d’urgence « pragmatiques » et de « bon sens »

« Bien sûr que les propositions de la CRE vont dans le bon sens, offrant des perspectives intéressantes » note Jean-Marc Onno, vice-président de France gaz renouvelables et président de l’AAMF Bretagne, mais leurs mises en application pourraient prendre du temps. En effet, les modifications tarifaires doivent être notifiées à la Commission européenne « mais tu temps, il n’y en a pas ». L’AAMF évoque trois mesures à effet immédiat pour « atténuer la hausse des coûts de production ». La première consisterait à accorder une revalorisation supplémentaire de 1 centime de la prime sur les effluents pour les agriculteurs méthaniseurs valorisant plus de 60 % d’effluents d’élevage. Cette prime est aujourd’hui fixée à 5 centimes le kilo d’effluent pour ceux qui la touchent en totalité et proratisée pour les autres. Autre mesure envisagée consisterait à permettre aux sites dont la production est aujourd’hui limitée à 499 kWh et qui valorisent la chaleur de produire plus. « Certains sites se retrouvent dans le rouge alors qu’ils peuvent produire plus, c’est complètement contre-productif » souligne Adeline Canac. La dernière mesure est essentielle pour l’AAMF, même si l’association sait que sa mise en place nécessitera plus de temps : elle demande à ce que les agriculteurs puissent sortir de leur contrat de cogénération sans pénalités financières pour faciliter par exemple les conversions vers de l’injection, quand les difficultés sont trop importantes. « Les pénalités peuvent parfois atteindre le million d’euros » note Adeline Canac. « En Bretagne, plusieurs projets de conversion ne peuvent se faire du fait de cette pénalité » relève Jean-Marc Onno.

«  Nos demandes sont raisonnables » estime Adeline Canac. Consciente que l’économie française connaît des difficultés, la cogénération « soutient un modèle agricole vertueux avec des impacts directs sur nos territoires,  apportant sa pierre aux transitions énergétiques et agricole sen marche ! » Aujourd’hui en France, si la dynamique de la filière méthanisation est principalement portée par l’injection, avec plus de 650 sites en service et une puissance de plus de 12 TWh, la filière de la cogénération accompagne aussi la transition et la décarbonation des usages, tant dans sa capacité à répondre aux besoins de flexibilité électrique sur l’ensemble du territoire que dans celle à fournir une chaleur renouvelable et locale.