« Il faut rester vigilant compte tenu de la volatilité du marché »

Publié le 16/10/2023

5 min

Publié le 16/10/2023

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Anne-Sophie Corbeau est chercheuse au Center on Global Energy Policy au sein de la School of International and Public Affairs de l’université de Columbia (États-Unis). Spécialiste des marchés du gaz naturel et de l’hydrogène, elle revient pour Gaz d’aujourd’hui sur la situation gazière cet hiver, le stockage, les approvisionnements, le gaz naturel liquéfié.

Propos recueillis par Laura Icart

 

Avec des stockages de gaz plein « à ras bord » en Europe, les Européens semblent assez sereins à l’approche de l’hiver. La situation est-elle vraiment différente l’année dernière ?

Les sites de stockage en Europe sont effectivement remplis [97 % au 13 octobre selon Gas infrastructure Europe, NDLR]. Ces niveaux sont historiquement hauts soulignait d’ailleurs récemment l’Agence internationale de l’énergie. Les injections dans les stockages gaziers sont restées soutenues durant le troisième trimestre et les Européens ont même injecté des volumes de gaz supplémentaires dans les stockages gaziers ukrainiens. Il est vrai que la situation est très différente de l’hiver précédent. Le principal changement, et il est de taille, c’est que nous avons terminé la saison hivernale précédente  [du 1er octobre au 31 mars, NDLR] avec des stocks beaucoup plus importants que les périodes précédentes [à 55,5 % en moyenne, NDLR]. Ensuite, l’hiver a été extrêmement doux et nous avons assisté à une baisse significative de la demande en gaz, notamment chez les industriels. Enfin, la normalisation au niveau du parc hydroélectrique et nucléaire en 2023 – notamment en France – joue forcément un rôle assurantiel majeur pour sécuriser le système énergétique dans sa globalité. Après, il convient de rester prudent car les marchés restent extrêmement volatils et que nous ne sommes pas à l’abri d’un hiver froid par exemple, qui aurait comme en 2010 ou en 2018 des conséquences importantes sur la consommation des ménages au niveau résidentiel. De plus, des tensions sur les approvisionnements en gaz naturel liquéfié (GNL) peuvent apparaître à tout moment pour des questions techniques, sociales, météorologiques ou économiques.

Pas de crainte pour cet hiver ?

Coté stockage comme coté approvisionnement, la situation est bonne. La demande en gaz devrait logiquement continuer à baisser de 2022 à 2023, portée par une plus grande efficacité énergétique, une électrification des usages et le développement des énergies renouvelables et une meilleure situation sur le nucléaire en France et l’hydroélectricité. Mais il n’en reste pas moins que la prudence reste de mise pour cet hiver mais surtout pour les suivants. D’autant plus que la période actuelle et ses nombreuses incertitudes (preuve en est les récentes découvertes de dommages sur un gazoduc reliant la Finlande à l’Estonie en mer Baltique, quasi un an après des dommages dû au sabotage du gazoduc Nord Stream) montrent qu’il est difficile de faire la moindre prédiction. Actuellement l’Europe dispose toujours d’un contrat de transit entre l’Ukraine et la Russie qui court jusque fin 2024 et devrait avoir reçu d’ici la fin de l’année environ 20  milliards de mètres cubes de gaz depuis la Russie via l’Ukraine et la Turquie, hors importations de GNL, qui bénéficie principalement aux pays de l’Est de l’Europe. Si ce contrat, qui fournit d’ailleurs des volumes bien en deçà de ceux initialement prévu  [40 milliards de mètre cubes par an, NDLR], s’arrête, cela aura des conséquences pour l’hiver 2024-2025. S’il n’y pas de crainte avérée pour cet hiver, même si des périodes de froid précoces ou intenses auront des impacts sur le marché, les Européens doivent au maximum préserver leurs stocks et faire en sorte de terminer la période hivernale avec des stockages pas trop bas pour aborder dans les meilleures conditions l’hiver 2024-25.

Justement, vous évoquez le marché du GNL. Quels sont les points de vigilance à avoir cet hiver ?

Comme je le disais, c’est un marché volatil qui réagit au moindre événement, à la moindre tension, car il est très tendu. J’ai tendance à toujours raisonner en appliquant la loi de Murphy et elle se vérifie souvent pour le marché du GNL où il y a au moins un ééènement par année qui déstabilise le marché avec plus ou moins d’impact. Nous avons pu l’observer fin août où le risque de grève en Australie a fait réagir les marchés en quelques heures, et nous savons d’ailleurs que la situation n’est pas encore normalisée aujourd’hui. Je suis toujours attentivement la saison des cyclones aux États-Unis qui peut comme en 2020 avoir de forts impacts sur la production et donc sur l’exportation de GNL, mais ce risque semble derrière nous. La situation géopolitique particulièrement préoccupante au Proche-Orient est aussi une source d’inquiétude. La fermeture du champ gazier de Tamar qui représente presque 50% de la production de gaz Israélienne en début de semaine dernière, sans avoir de visibilité sur une réouverture, pourrait avoir des conséquences sur les pays qui y sont rattachés, en l’occurrence l’Égypte et la Jordanie. Avec autant d’incertitudes, il faut rester vigilant, d’autant que l’appétence des marchés asiatiques pour le GNL, en repli depuis deux ans, pourrait revenir et qu’il n’y aura en 2024 qu’une augmentation limitée des nouvelles capacités de GNL.