« Faire vivre une méthanisation agricole vertueuse et ambitieuse sur nos territoires »

Publié le 01/09/2021

9 min

Publié le 01/09/2021

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Jean-Luc Fugit, député (LREM) de la 11e circonscription du Rhône et auteur du rapport « L'agriculture face au défi de la production d'énergie » pour le compte de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) dont il est également le vice-président et Jean-François Delaitre, président de l’Association des agriculteurs méthaniseurs de France (AAMF) évoquent ensemble la place de la méthanisation et leurs visions pour le développement d’une méthanisation vertueuse attachée à trouver sa place dans le paysage énergétique français. Rencontre. Propos recueillis par Laura Icart   En juillet 2020, vous avez remis aux ministres de l’Agriculture et de la Transition écologique votre rapport consacré à la production d’énergie dans le secteur agricole. Vous jugiez d’ailleurs le développement de la méthanisation comme prioritaire. Pourquoi ? Jean-Luc Fugit : L’agriculture joue un rôle pivot dans la production d’énergie et c’est particulièrement vrai en ce qui concerne la méthanisation où plus de 90 % du gisement se trouve dans le monde agricole. C’est une filière qui participe pleinement à la transition écologique. En amenant nos agriculteurs à une évolution de leurs pratiques agronomiques davantage tournées vers l’agroécologie, en participant à une économie circulaire qui contribue au dynamisme de nos territoires ruraux et en permettant à notre pays de verdir son mix énergétique à travers la production de gaz vert, elle mérite le soutien gouvernemental qui lui été accordé et je suis satisfait que les propositions rédigées dans mon rapport aient fait écho auprès des ministres concernés. La professionnalisation de la filière et les nouvelles mesures réglementaires visant à encadrer davantage ses pratiques vont dans le bon sens selon moi, même si j’ai conscience que parfois, comme pour les nouvelles dispositions prises dans le cadre de la réforme du régime des ICPE [trois arrêtés sont parus au JO le 17 juin venant modifier la nomenclature des installations classées 2781, NDLR] puissent inquiéter mais encore une fois, je ne doute pas de la capacité des services de l’État et de la filière à dialoguer ensemble pour trouver les solutions les plus constructives pour tous et agir au cas par cas quand cela est nécessaire. La méthanisation est principalement d’origine agricole en France. Pour beaucoup d’agriculteurs elle est une voie de diversification en cohérence avec le système de production alimentaire ? Jean-François Delaitre : Si nous sommes avant tout des agriculteurs qui assumons la fonction première de nourrir les Français, je vois dans la méthanisation un moyen de construire une exploitation plus résiliente avec des nouvelles pratiques me permettant de faire respirer et de mieux nourrir mes sols mais aussi une diversification économique intéressante pour pérenniser mon exploitation. C’est aussi un choix de citoyen engagé dans toutes les transitions : climatiques, agricoles, énergétiques et alimentaires. À l’AAMF, nous portons cette volonté d’innovation, poussés par les multiples transitions que nous vivons, en construisant des modèles de méthanisation pensées en amont avec toutes les ressources et le potentiel d’un territoire. Vous avez récemment dit que la méthanisation devait être pensée et utilisée comme un outil au service de l’aménagement du territoire. C’est-à-dire ? J.-L. Fugit : Cette filière, parce qu’elle répond à plusieurs enjeux transversaux (production d’énergie renouvelable, gestion des déchets, réduction des gaz à effet de serre, production de matière de fertilisant), offre une solution avec à la clé une multitude de débouchés intéressants dans nos territoires. En tant que président du Conseil national de l’air, le biogaz utilisé pour décarboner la mobilité lourde me semble particulièrement approprié pour améliorer la qualité de l’air que nous respirons. Ce que je trouve intéressant également, c’est qu’elle créé une vraie passerelle entre les territoires ruraux et urbains, notamment sur cette question de la valorisation des biodéchets qui permet de créer cette boucle locale de l’assiette aux champs. Depuis un an la filière de la méthanisation est sujette à de nombreuses évolutions légistiques ou réglementaires avec des impacts parfois importants pour les porteurs de projets. Comment vivez-vous cette période ? J.-F. Delaitre : C’est une période d’incertitudes pour toute la filière. Si le gouvernement affiche volontiers son soutien à la filière, nous avons parfois l’impression d’être pris au dépourvu et peu entendus lors de la publication de textes réglementaires, alors même que nous participons à toutes les réunions et groupes de travail qui traitent de la méthanisation agricole. Le périmètre de la méthanisation agricole, à cheval entre deux ministères [celui de la Transition écologique et celui de l’Agriculture et de l’alimentation, NDLR], ne facilite pas toujours la prise de décision et peut laisser la filière dans un certain flou. Je pense notamment au décret sur les cultures intermédiaires à vocation énergétique (Cive) que nous attendons depuis plusieurs mois et qui est essentiel pour le devenir de nombreux projets. En revanche, si l’AAMF est parfaitement d’accord avec la nécessité d’avoir plus de contrôle et une traçabilité irréprochable, nous avons ce devoir d’exemplarité, nous souhaitons aussi avoir les moyens d’y répondre sans être trop contraints par une certaine lourdeur administrative. Exiger trop de moyens plutôt que des résultats, c’est au final pénalisant pour des projets agricoles qui pourtant portent la méthanisation en France depuis plus de 10 ans. Pourquoi soutenir l’innovation est essentiel dans une filière comme la méthanisation ? J.-L. Fugit : Parce que l’innovation amène le progrès et que cette filière comme l’ensemble des filières EnR doit toujours poursuivre une logique de progrès et d’efficacité. Accélérer son déploiement doit aller de pair avec la mise en place de modèles toujours plus vertueux combinant plusieurs technologies de pointe, comme le couplage méthanisation et méthanation. De manière générale, nous avons la chance en France d’avoir une recherche et un tissu industriel particulièrement pointus et innovants. Je ne doute pas qu’ils nous permettent dans les années à venir d’en faire une véritable filière d’excellence. L’AAMF et la filière demande régulièrement une meilleure reconnaissance des services rendus aux territoires par la méthanisation. Pourquoi est-ce essentiel de reconnaître ces externalités positives ? J.-F. Delaitre : Les projets de méthanisation que nous défendons à l’AAMF et pour lesquels nous avons d’ailleurs établi une charte de valeurs, intègrent tous un cycle vertueux. Nous souhaitons que les services directs et indirects rendus par le méthaniseur qui participe activement à l’économie circulaire et à la transition énergétique du territoire soient pris en compte. La méthanisation permet, par exemple non seulement de traiter les effluents d’élevage mais aussi de développer des solutions d’interculture qui sont essentiels pour prévenir des risques de lixiviation sur la période hivernale. De plus, nous sommes également convaincus que ce rapport bénéfices-risques favorable à la méthanisation quand elle adopte de bonnes pratiques peut s’avérer bénéfique pour sensibiliser les Français. C’est aussi un moyen de montrer le caractère vert et multi-services des projets que nous développons. Comment construit-on une meilleure acceptabilité des projets de méthanisation sur nos territoires ? J.-F. Delaitre : Il faut davantage communiquer, c’est une certitude. Nous menons nous-mêmes de nombreuses actions en ce sens, alliant pédagogie et sensibilisation auprès notamment du grand public [l’AAMF organise les 18 et 19 septembre des portes ouvertes dans les fermes, NDLR]. Mais parce qu’un projet de méthanisation est avant tout un projet de territoire, la communication et son portage doivent être menés par des acteurs plus neutres, notamment des élus locaux et la représentation nationale qui doivent à mon sens s’impliquer davantage sur ce sujet transversal. La méthanisation rend de nombreux services aux territoires, dont la production d’énergie, et elle est aussi source de solutions pour la réductions des GES et stockage du carbone. Il nous faut construire cette dynamique territoriale autour de projets d’économie circulaire qui créent de l’emploi, traitent les déchets, fournissent des fertilisants organiques et font rouler nos bus et nos cars. C’est aussi pour rendre tout cela plus visible et plus concret que l’AAMF travaille à ouvrir d’ici 2025 plus de 200 stations-service distribuant du biométhane (bioGNV) directement à la ferme ou via des projets co-construits avec des collectivités et des transporteurs. J.-L. Fugit : La question de l’acceptabilité est majeure. Elle n’est d’ailleurs pas propre à la filière méthanisation. Je reste convaincu que le dialogue et la pédagogie restent dans ce cas-là la meilleure manière d’avancer. Expliquer et être le plus transparent possible pour fédérer au maximum. Bien sûr, parce qu’elle touche à notre agriculture, à nos paysans, à nos sols, cette filière revêt un caractère particulier et peut être l’objet de certaines défiances et de beaucoup d’idées préconçues, et si le risque zéro n’existe pas et que des mauvaises pratiques existent, les acteurs de la méthanisation agricole me semblent engagés dans une démarche vertueuse et c’est à mon sens l’essentiel à retenir. Crédit : Malo Tricca et Annelise Lescure

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