Engie défend un mix plus équilibré entre les vecteurs électriques et gazeux

Le gaz sera "totalement décarboné d’ici 2050 et jouera un rôle clé" dans la transition énergétique souligne Engie qui estime qu'en France, le biométhane jouera un "rôle prépondérant et représentera 2/3 de la demande en 2050". (c)Pascal Leopold/CBMTB (c)Pascal Leopold

Publié le 13/06/2023

9 min

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Premier énergéticien européen à réaliser un scénario de décarbonation à l’échelle de l’Europe, Engie défend un mix plus équilibré entre les vecteurs électriques et gazeux. Et montre, chiffres à l’appui, que l’utilisation de gaz renouvelables et bas carbone permet d’optimiser le coût global de la transition énergétique. Par Stéphane Signoret   L’alliance de l’électron et des molécules : c’est sous ce leitmotiv que la PDG d’Engie, Catherine McGregor, a présenté son scénario de décarbonation de l’Europe ce 12 juin. Pour la première fois, un énergéticien réalise ce type de travail prospectif et le rend public. L’objectif est d’apporter de nouveaux arguments dans les débats – tant français qu’européens – pour montrer que la transition énergétique ne peut pas être 100 % électrique. Vu son activité au niveau mondial, Engie se sent légitime pour éclairer les choix à faire et revendique pour cela son pragmatisme. La modélisation de 15 pays européens* a été menée pour atteindre les objectifs du « Fit for 55 » en 2030 puis la neutralité carbone en 2050, tout en optimisant le coût global et la robustesse du système énergétique. La pluralité des vecteurs énergétiques s’allie au réalisme technologique : seules les solutions matures ou en cours de démonstrateur sont retenues, et les conditions de marché ou d’acceptabilité sont prises en compte, par exemple sur le captage et stockage de carbone (CSC). Électrification, décarbonation des gaz et flexibilité Le scénario d’Engie rappelle tout d’abord que rien ne se fait sans économies d’énergie. Une réduction de 34 % de la consommation d’ici 2050 est ainsi réalisée par des mesures de sobriété et surtout d’efficacité énergétique, alors que la population augmentera de 1,8 % et le PIB de 1,3 % par an. Contraint à ne plus utiliser d’énergies fossiles, le mix énergétique « optimisé » d’Engie donne une place prépondérante à l’électricité, suivie des molécules (principalement biométhane, hydrogène et méthane de synthèse) puis de la chaleur directe (voir graphe). Évolution du mix énergétique de 15 pays européens jusqu’en 2050 Source : Engie. Ce nouvel équilibre repose d’abord sur une très forte électrification des usages dans le bâtiment (pompes à chaleur), dans l’industrie, dans le transport terrestre léger et pour la production d’hydrogène. Pour les 15 pays étudiés, la consommation d’électricité augmente ainsi de 80 %, de 2 684 TWh en 2023 à 4 772 TWh en 2050. Pour la satisfaire, un déploiement massif des énergies renouvelables est nécessaire car elles assureront 90 % de l’approvisionnement en électricité en 2050. L’accélération nécessaire est vertigineuse : les productions éoliennes et solaires doivent à elles seules être multipliées par six en 25 ans. « Si l’installation de ces capacités renouvelables prenait un retard de cinq ans, nous avons évalué que les objectifs du "Fit for 55" ne seraient pas atteints, avec un surplus d’émissions de gaz à effet de serre de 3 Gt CO2eq, et le surcoût pour le système serait de 4 milliards d’euros par an » précise Pierre-Laurent Lucille, chef économiste d’Engie. Un nouveau modèle à prévoir Simultanément, la consommation de gaz est divisée par deux, pour atteindre un peu plus de 2 000 TWh en 2050 (voir graphe). Le défi est double pour les gaziers : trouver un nouveau modèle économique avec ce marché réduit de moitié et remplacer progressivement le « gaz naturel » fossile par du biométhane (plus de 730 TWh en 2050, soit une multiplication par plus de 4 par rapport à 2023), par du méthane de synthèse (643 TWh) et par un peu d’injection directe d’hydrogène (56 TWh). Engie prévoit également un petit reliquat de gaz naturel (74 TWh) et surtout un recours important à ce même gaz fossile avec CSC (544 TWh). Sur ce point, l’Europe du Nord sera plus concernée car plus proche des points où le CO2 pourra être stocké en mer du Nord. Évolution de la consommation de méthane de 15 pays européens jusqu’en 2050 Source : Engie Si la consommation de méthane diminue, celle d’hydrogène explose : elle est multipliée par 8 d’ici 2050, en dépassant 2 000 TWh. Le verdissement progressif de la production d’hydrogène se fait par l’électrolyse de l’eau, nécessitant 270 GW d’électrolyseurs. Elle permet notamment d’alimenter les secteurs du transport aérien et maritime en nouvelles molécules de synthèse et ainsi les décarboner. La moitié de l’hydrogène consommé en Europe serait produit sur son territoire ; l’autre moitié serait importée depuis des pays ayant des coûts de production moindres pour réaliser l’électrolyse de l’eau. La flexibilité : un enjeu crucial Un point majeur du scénario d’Engie est celui de la flexibilité. Souvent oubliée dans les discussions, elle est pourtant cruciale pour la robustesse d’un système électrique avec une majorité d’EnR variables. Là aussi, les besoins sont immenses, avec une multiplication par 4, soit une augmentation de 600 GW au niveau européen. Du côté des consommateurs, il s’agit d’utiliser les batteries des véhicules électriques, la modulation de la demande et les pompes à chaleur hybrides. En ce qui concerne la production, il faut mobiliser le stockage par batteries stationnaires, le pompage-turbinage hydroélectrique et les centrales thermiques utilisant des gaz décarbonés. Selon Engie, 105 GW de ces centrales seront nécessaires pour gérer les pointes de consommation d’électricité. Si elles n’étaient pas développées, il faudrait investir dans 700 GW supplémentaires d’EnR et 200 GW de batteries : le surcoût serait de l’ordre de 30 milliards d’euros par an ! Sous cet angle, l’option du thermique décarboné apparaît incontournable. Enfin, l’analyse serait incomplète sans un mot sur les infrastructures. Indispensables pour l’électricité afin de déployer les énergies renouvelables, les véhicules électriques et renforcer les échanges transfrontaliers, elles nécessitent un investissement massif de 39 milliards d’euros par an. Mais elles ne sont pas moins primordiales pour les gaz décarbonés afin d’assurer les besoins de pointe et de flexibilité : néanmoins, comme il est possible de capitaliser sur les réseaux et sites de stockage existants, les investissements sont moindres, de l’ordre de 6 milliards d’euros par an. La France, ce cas d'école L’Hexagone présente des particularités qui méritent le détour. Le maintien d’un important parc nucléaire, en phase avec le souhait gouvernemental de construire 14 nouveaux EPR, fait que la part de renouvelables dans la production d’électricité n’est que de 64 % en 2050 (voir graphe). Ce mélange de renouvelables et de nucléaire conduirait la France à être exportatrice nette d’électricité. Cependant, il n’est pas certain que la filière nucléaire puisse tenir ses ambitieux objectifs. Engie a donc simulé un stress test où le parc nucléaire existant aurait une moindre disponibilité et où seuls 10 nouveaux EPR seraient construits : pour atteindre les objectifs climatiques, il faudrait installer 60 GW supplémentaires d’éolien et de solaire (197 GW au lieu de 137 GW) dès 2035. Le surcoût serait de 2 milliards d’euros par an, mais Engie estime que l’assurance apportée par ce surplus d’EnR vaut le coup de la dépense, d’autant qu’elle engendrerait de moindres émissions de gaz à effet de serre (320 Mt CO2eq) et permettrait d’accélérer sur l’hydrogène et les e-molécules. Évolution de la production d’électricité en France Source : Engie. Dans le secteur du bâtiment en France, le scénario considère que la moitié des logements sont entièrement rénovés d’ici 2050, ce qui nécessite de multiplier par 5 le taux annuel de rénovation. Les moyens de chauffage évoluent pour se répartir de la manière suivante (en nombre de ménages équipés) : pompes à chaleur (35 %), chaudières à biométhane (15 %), réseaux de chaleur (14 %), convecteurs électriques (14 %), poêles à granulés (11 %) et pompes à chaleur hybrides (11 % soit environ 4 millions d’unités). Ces dernières, qui couplent une PAC avec une chaudière gaz d’appoint, permettront d’éviter de trop fortes pointes de consommation d’électricité l’hiver. « Nous avons évalué le service rendu au système par ces pompes à chaleur hybrides : 12 GW d’appel de puissance évités en 2050 et une économie de 2,7 milliards d’euros par an. Là aussi, nous espérons que l’argument économique va peser pour que l’État soutienne financièrement ce moyen de chauffage » analyse Nicolas Lefevre-Marton, directeur de la stratégie d’Engie. Enfin, on notera que l’accès aux ressources en biomasse est sécurisé sur le long terme. Elles sont largement suffisantes pour répondre aux besoins de méthanisation, de pyrogazéification, de bois-énergie et de biocarburants, puisqu’Engie a évalué que seuls 60 % du potentiel de biomasse en France seraient exploités en 2050. À l’horizon 2030, les efforts de décarbonation conduisent le scénario d’Engie au même niveau que les objectifs gouvernementaux, avec des émissions françaises réduites à environ 270 Mt CO2eq. L’allocation est juste légèrement différente : il y a plus d’efforts de décarbonation sur le transport et moins dans le bâtiment pour Engie. L’exercice de modélisation d’Engie ouvre donc de nouvelles perspectives, alors que l’État doit finaliser sa programmation pluriannuelle de l’énergie et engager sa future stratégie énergie-climat. Le gouvernement les examinera-t-il ?

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