Anticiper une France à + 4 °C en 2100

En France, la chaleur a tué plus de 3.700 personnes, dont les trois quarts âgées de 75 ans et plus, pendant l'été 2024, le huitième été le plus chaud depuis 1900, a indiqué le 12 mars , Santé publique France. ©Shutterstock

Publié le 12/03/2025

7 min

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Comment adapter la France à un réchauffement pouvant atteindre 4 degrés ? Le gouvernement a lancé le 10 mars son troisième plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC), mettant l’accent sur la mise en œuvre d’une cinquantaine de mesures au niveau local d’ores et déjà jugées insuffisantes par certains experts du climat. « La territorialisation de ce plan sera donc ma priorité pour l’année 2025 » a déclaré lors de sa présentation la ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher.

Par la rédaction, avec AFP

 

Records de chaleur, inondations, érosion côtière : dans une France déjà plus chaude de 1,7 degré depuis 1900, les conséquences du dérèglement climatique ne « sont plus une exception » mais « notre nouvelle norme » et une « réalité tragique », a déclaré la ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, en dévoilant les contours de ce PNACC 3. « 2024, c’est à la fois l’une des cinq années les plus chaudes depuis le début des mesures en 1900, l’une des 10 années les plus pluvieuses à l’échelle nationale et l’une des moins ensoleillées depuis 30 ans » a poursuivi la ministre, lançant : « Le dérèglement climatique ce n’est pas, comme voudraient nous le faire croire certains populistes, une vue de l’esprit. »

Vivre à + 4 degrés

« Si l’effort d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre est mondial, l’effort d’adaptation au changement climatique est national et local » rappelle le gouvernement en préambule de son plan. Adapter la France au changement climatique est une « nécessité absolue » souligne dans son rapport annuel publié en mars la Cour des comptes qui estime que l’enjeu de l’adaptation doit être davantage pris en compte dans les politiques publiques. Qu’il s’agisse de la politique des logements, de la gestion des infrastructures énergétiques, de la forêt, de la prévention et des risques de catastrophe naturelle, de l’urbanisme ou encore de la stratégie énergétique de l’armée, l’institution invite à davantage de cohérence et de moyens financiers, alors même que le gouvernement cherche à réduire le déficit public. « L’adaptation et la transition juste restent peu prises en compte » alerte l’organisme. Avec le réchauffement climatique, les besoins d’adaptation vont s’accroître. Il est urgent « d’anticiper » notent les scientifiques car « plus tardivement seront prises les décisions, plus coûteuses elles seront pour les Français ». Pour le Haut Conseil pour le climat l’exposition et les vulnérabilités disproportionnées de certaines catégories de la population et de certaines activités face au changement climatique risquent de s’aggraver si « leurs besoins spécifiques d’adaptation ne sont pas pris en compte ». Il évoque notamment l’aménagement des villes totalement incompatibles aujourd’hui avec les vagues de chaleur fréquentes et de longue durée.  

Anticiper les vulnérabilités à venir

Ce plan, attendu depuis fin 2023, compte 52 mesures destinées à protéger davantage les populations, mieux anticiper les risques, assurer la résilience des territoires et adapter les activités humaines face à des conditions climatiques extrêmes. Il se base sur une trajectoire de réchauffement de référence en France à  + 2,7 °C en 2050 et + 4 °C en 2100. « Sans action corrective, le coût des sinistres climatiques pourrait doubler au cours des 30 prochaines années. Et cela aura évidemment un impact sur les assurances, sans parler du risque pour nos concitoyens de ne plus pouvoir s’assurer dans les décennies qui viennent. Ce coût additionnel est évalué à plus de 140 milliards d’euros. » Après lecture d’une analyse I4CE sur la base de données de Santé publique France, les impacts sanitaires des vagues de chaleur « seront massifs » a indiqué la ministre, évoquant des impacts entre 22 et 37 milliards d’euros cumulés pour la seule période 2015-2020 en France métropolitaine.

Territorialiser l’adaptation

L’accent est particulièrement mis sur les territoires et secteurs les plus menacés comme les littoraux, les montagnes, les forêts et l’agriculture. Parmi les mesures, le renforcement des protections pour les travailleurs exposés aux canicules, différentes études pour mieux adapter transports et exploitations agricoles, des feuilles de route pour adapter chaque secteur économique, une évolution des règles de rénovation des logements ou encore une protection des principaux sites culturels français (Tour Eiffel, Mont Saint-Michel…).  Un travail va également débuter dans le but de donner une valeur juridique à la trajectoire de référence de l’adaptation au changement climatique (TRACC), un document de référence pour les acteurs publics. Cent intercommunalités seront accompagnées en 2025 dans le cadre d’une mission adaptation. Ronan Dantec, vice-président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable au Sénat, a salué cette « dimension territoriale ». « Pour la première fois on a une trajectoire très claire, c’était absolument essentiel pour les acteurs locaux. » L’accent a aussi été mis sur le financement des mesures, l’une des principales critiques énoncées avant la consultation publique lancée en octobre.

Des moyens à la hauteur des enjeux ?

Outre le rehaussement, déjà annoncé, du fonds Barnier, créé en 1995 pour aider collectivités, petites entreprises et particuliers à financer les travaux nécessaires pour réduire leur vulnérabilité aux catastrophes naturelles, Agnès Pannier-Runacher a aussi annoncé une « mobilisation inédite du fonds vert à hauteur de 260 millions d’euros ». Près d’un milliard d’euros des crédits des agences de l’eau seront orientés vers l’adaptation et une enveloppe de 30 millions sera consacrée à la prévention des gonflements des sols à dominante argileux. Une nouvelle mission pour mobiliser davantage les acteurs privés, et notamment les banques, dans la prévention des risques sera lancée « au premier semestre 2026 ». « Il est essentiel que l’adaptation soit dotée de moyens à la hauteur des enjeux », a souligné la ministre, assurant avoir augmenté les enveloppes « à hauteur de 40 %« . Mais pour I4CE, institut de recherche spécialisé dans l’économie du climat, cela reste « quand même à nuancer« . « La hausse du fonds Barnier pourrait rapidement se révéler insuffisante et la réorientation du fonds vert vers l’adaptation est surtout l’effet d’une diminution des moyens alloués aux autres priorités, les crédits dédiés à l’adaptation se maintiennent mais n’augmentent pas« , juge Guillaume Dolques, expert adaptation chez I4CE. Pour lui, ce plan « n’est qu’une première étape » et n’aura « de sens que si certains arbitrages sont faits et que l’on se donne les moyens des ambitions« . Ronan Dantec reconnaît aussi que dans le contexte budgétaire tendu, il va « probablement manquer de l’argent« , mais reste malgré tout « très satisfait de ce PNACC » avec lequel, dit-il, « on a vraiment franchi des paliers importants » sur le chantier de l’adaptation, longtemps insuffisamment pris en compte.

L’ONG Oxfam juge ce plan « inopérant, car dépourvu de gouvernance adaptée et de moyens budgétaires pour sa mise en oeuvre« . Il constitue « une nouvelle occasion manquée de protéger la population« , l’organisation regrettant notamment que les besoins des plus vulnérables (personnes âgées, enfants …) ne soient pas suffisamment pris en compte.  « L’inaction coûtera bien plus cher que l’adaptation« , souligne l’ONG. Un constat partagé par Agnès Pannier-Runacher: « 1 euro investi dans l’adaptation, c’est 8 euros évités pour réparer les dommages« , a-t-elle souligné.