Carburants d’aviation non fossiles : les compagnies aériennes dénoncent un essoufflement

Transport
10/12/2025
5 min

L’Association internationale du transport aérien (IATA) a lancé le 9 décembre un cri d’alarme : la production de carburants d’aviation durables (SAF) stagne, malgré les ambitions affichées par les États et les engagements climatiques du secteur.

Par la rédaction avec AFP

Alors que l’aviation représente 2,5 à 3 % des émissions mondiales de CO₂, les 193 pays de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) ont fixé en 2022 un objectif radical : atteindre la neutralité carbone en 2050. Pour y parvenir, IATA compte à 65 % sur les carburants non fossiles, issus de biomasse, d’huiles usagées ou de procédés de synthèse utilisant de l’hydrogène « vert ». Or ces carburants restent rares, chers et sujets à une concurrence énergétique accrue.

Une croissance « en trompe-l’œil« 

Selon les estimations communiquées mardi, la production mondiale de SAF atteindrait 1,9 million de tonnes en 2025, contre un million l’année précédente. Un quasi-doublement qui masque toutefois un retournement inquiétant selon l’IATA : en 2026, la progression devrait ralentir fortement, pour ne s’établir qu’à 2,4 millions de tonnes. Rapporté aux quelque 300 millions de tonnes de kérosène consommées chaque année, le SAF demeure une goutte d’eau, représentant 0,8 % du carburant d’aviation en 2026, contre 0,6 % en 2025. « Cette dynamique est insuffisante pour tenir nos engagements », a reconnu Willie Walsh, directeur général de l’IATA. « Nous avons agi de bonne foi, mais il devient impossible d’atteindre les objectifs d’incorporation fixés par les gouvernements. » En avril, le bureau français du e-fuel estimait que le volume de production d’e-kérosène sur le continent européen représentait 3,3 millions de tep et que l’application de la réglementation ReFuelEU Aviation pourrait aboutir à une demande du même ordre de grandeur à horizon 2035. Plus de 130 projets d’envergure sont aujourd’hui à l’étude dans 28 pays, chacun dépassant 50 000 tonnes équivalent pétrole par an (tep), l’équivalent de 325 000 trajets de passagers Paris-New York en avion, indiquait également l’observatoire.

Les compagnies dénoncent des règles « mal conçues »

Au cœur des tensions, les obligations réglementaires imposées par plusieurs régions du monde, notamment l’Union européenne, qui impose depuis 2025 un taux minimal de 2 % de SAF, destiné à grimper à 6 % en 2030. Des règles jugées contre-productives par l’industrie. « Ces mandats ont surtout fait s’envoler les prix sans encourager les investissements », estime M. Walsh. La IATA accuse directement certaines entreprises énergétiques d’avoir gonflé leurs marges, entraînant un prix du SAF « jusqu’à cinq fois supérieur » à celui du kérosène fossile, et « deux fois supérieur » au prix théorique des carburants durables sur les marchés internationaux. La situation est selon l’IATA « encore plus critique » pour les carburants de synthèse produits à partir de CO₂ et d’hydrogène vert – les e-fuels –, affichant un coût « douze fois plus élevé » que celui du kérosène traditionnel. Sans soutien financier massif, leur déploiement paraît illusoire. À ces tensions structurelles s’ajoute un phénomène nouveau selon l’IATA, « la concurrence entre secteurs pour l’accès aux énergies renouvelables », exacerbée par l’essor de l’intelligence artificielle. La multiplication des centres de données, très gourmands en électricité, fait grimper la demande mondiale en énergie renouvelable et renchérit les investissements nécessaires à la production de SAF. Selon les analyses économiques présentées par l’IATA, cette compétition fragilise les chaînes d’approvisionnement, ralentit l’émergence des filières industrielles et pourrait retarder de plusieurs années la trajectoire mondiale de décarbonation du secteur aérien.

Une industrie pourtant florissante

Le paradoxe est frappant : si la transition énergétique piétine, le trafic aérien ne cesse de croître. Pour 2026, IATA prévoit une hausse de 4,9 % du trafic passagers, portée par l’Asie-Pacifique (+7,3 %), et un rebond durable du fret aérien, stimulé par le commerce de biens liés à l’IA et par le dynamisme du e-commerce. Le secteur devrait générer plus de 1 000 milliards de dollars de revenus en 2025, un record historique. Les compagnies affichent des bénéfices nets attendus de 41 milliards de dollars en 2026, soit une marge de 3,9 %, faible mais stable dans une industrie traditionnellement à bas rendement. Ces performances contrastent avec l’immobilisme de la transition énergétique. « Les solutions de décarbonation n’arrivent pas assez vite sur le marché », regrette IATA, qui juge « inefficaces » les politiques publiques actuelles, marquées par un manque d’harmonisation internationale et une multiplication de dispositifs régionaux jugés coûteux et peu lisibles.

La stagnation du SAF est un « test politique majeur pour les États » estime l’IATA.  Les compagnies réclament une révision des mandats européens, des incitations plus fortes à destination des producteurs, ainsi qu’une véritable coordination internationale, afin d’éviter une fragmentation des normes et un renchérissement du coût de la transition. « Sans politiques de soutien à la production, nous n’atteindrons pas les objectifs climatiques », martèle l’IATA, rappelant que la neutralité carbone en 2050 dépend largement de la capacité des États à orienter rapidement les investissements industriels.

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