L’Union européenne s’accorde sur un objectif de – 90 % d’émissions d’ici à 2040

Climat
11/12/2025
7 min

L’Union européenne a franchi, mardi soir, une nouvelle étape dans la mise en œuvre de son ambition climatique. Les négociateurs du Parlement européen et du Conseil sont parvenus à un accord politique provisoire sur la révision de la loi européenne sur le climat, fixant un nouvel objectif juridiquement contraignant : réduire de 90 % les émissions nettes de gaz à effet de serre (GES) d’ici à 2040, par rapport aux niveaux de 1990. Autre mesure notable : l’entrée en vigueur du nouveau marché carbone destiné aux carburants routiers et aux bâtiments (SEQE2) est reportée de 2027 à 2028. Ce décalage d’un an vise à donner davantage de visibilité aux secteurs concernés, dans un contexte où les prix de l’énergie demeurent volatils et où plusieurs États redoutaient un effet inflationniste sur les ménages.

Par la rédaction de Gaz d’aujourd’hui

Un mois après la COP 30 où l’UE avait affiché sa volonté de renforcer son rôle de puissance climatique, l’Europe fait donc un pas de plus en se fixant un jalon intermédiaire, situé entre l’objectif de – 55 % en 2030 et la neutralité climatique visée en 2050, qui doit guider la prochaine décennie de transition énergétique. « Nous avons un objectif ambitieux et un cadre suffisamment flexible pour rester compétitifs » assure la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen.

Une trajectoire contraignante, assortie de nouvelles flexibilités

L’accord introduit plusieurs marges de manœuvre destinées à rassurer les États membres face aux défis économiques et géopolitiques de la transition. Pour tenir compte des différences économiques et industrielles entre les États membres, le texte prévoit plusieurs mécanismes de flexibilité : l’utilisation possible de crédits carbone internationaux jusqu’à 5 % des émissions nettes à partir de 2036, l’intégration des puits de carbone domestiques dans le système d’échange de quotas (ETS) et une coordination intersectorielle destinée « à faciliter la transition sans compromettre la croissance », sans plus de détails. Les négociateurs ont également validé l’intégration des « suppressions de carbone » permanentes au sein du système d’échange de quotas d’émission (SEQE) afin de compenser les émissions résiduelles les plus difficiles à réduire. En parallèle, une flexibilité accrue est ouverte aux États : ceux-ci pourront, dans certains cas, compenser un déficit dans un secteur par des efforts supplémentaires dans un autre, sans remettre en cause la trajectoire globale. Depuis 1990, l’UE a déjà réduit ses émissions de 37 %, tout en augmentant son PIB de près de 70 %. Mais derrière ces chiffres, les fissures apparaissent. La transition doit être « pragmatique, juste et économiquement viable », insistent les colégislateurs. La compétitivité industrielle, l’innovation technologique et les coûts sociaux sont explicitement mentionnés comme critères d’évaluation.

Report de l’ETS 2 : une bouffée d’air pour l’inflation européenne, mais pour combien de temps ?

Le report d’un an de l’ETS 2, qui étend le marché européen des quotas d’émission de CO₂ aux secteurs des bâtiments, du transport routier et des petites industries, ne manque pas d’implications économiques majeures pour l’Union européenne. Initialement prévu pour entrer en vigueur en 2027, le système ne sera désormais appliqué qu’en 2028. Si cette décision a été saluée par certains pays de l’Est, pour qui le système représente une charge trop lourde au regard de leur dépendance aux énergies fossiles, elle pourrait avoir des répercussions importantes sur les prévisions économiques européennes, notamment en matière d’inflation. L’impact à court terme du report sur l’inflation semble relativement modéré, mais il n’en reste pas moins significatif dans le contexte de la transition énergétique européenne. Le marché du carbone, qui impose aux entreprises de compenser leurs émissions en achetant des quotas, a vu son prix flirter avec des niveaux élevés en 2025, entre 60 et 82 euros la tonne pour l’ETS 1 et un plafond de 55 euros prévu pour l’ETS 2 en 2025. Or, la Banque centrale européenne (BCE) avait anticipé une répercussion de l’ETS 2 sur l’inflation comprise entre 0 et 0,4 % pour 2027, avec des prévisions plus faibles pour 2028. Toutefois, selon une étude publiée par la Banque nationale tchèque, si les prix des quotas de l’ETS 2 atteignent 57 euros la tonne en 2027, l’inflation pourrait augmenter de 0,9 point du fait de la hausse des coûts des combustibles fossiles.

À plus long terme, l’impact de l’ETS 2 sur les prix pourrait être atténué par une baisse de la dépendance européenne aux énergies fossiles et une transition vers des sources d’énergie plus durables. Cependant, le report de son entrée en vigueur pourrait également réduire les pressions immédiates sur l’inflation, notamment dans les pays les plus vulnérables aux fluctuations des prix de l’énergie. C’est du moins l’avis de Juliette Cohen, stratège senior chez CPRAM qui souligne dans une analyse publiée fin novembre que l’extension du marché carbone aux secteurs des bâtiments et des transports pourrait entraîner des disparités importantes dans l’impact inflationniste à travers l’UE, en fonction des mix énergétiques nationaux. Les projections de la BCE pour 2027 anticipaient déjà une inflation de 1,9 % cette année-là, un niveau inférieur à l’objectif de 2 %. Le report pourrait accentuer ce phénomène, augmentant le risque que l’inflation européenne reste sous la cible en 2027, un sujet qui n’a pas manqué de susciter des inquiétudes parmi les responsables politiques européens.

Un message de stabilité pour le monde économique

L’accord prévoit une évaluation des progrès tous les deux ans. Cette révision tiendra compte des dernières avancées scientifiques, des innovations technologiques, mais aussi de l’état de la compétitivité européenne et de l’évolution des prix de l’énergie. La Commission pourra, si nécessaire, proposer une mise à jour de l’objectif de 2040 ou l’introduction de mesures complémentaires. Cette clause de réexamen vise à concilier ambition climatique et capacité réelle d’adaptation des économies européennes, dans une période marquée par de fortes incertitudes internationales. Avec cet accord, l’UE cherche également à envoyer un message de stabilité réglementaire aux entreprises et aux investisseurs engagés dans la transition bas carbone. L’objectif de – 90 % doit permettre, selon la Commission, de tracer une trajectoire prévisible pour l’industrie, l’énergie et les technologies propres. À l’international, Bruxelles entend maintenir son rôle de chef de file dans la mise en œuvre de l’accord de Paris, alors que plusieurs grandes puissances tardent à publier leurs propres objectifs intermédiaires.

Le compromis doit encore être approuvé par le Parlement européen et par les États membres avant d’entrer en vigueur. Une fois validé, il sera publié au Journal officiel de l’Union européenne. La loi climat européenne, adoptée en 2021, a déjà inscrit dans le droit l’objectif de neutralité carbone en 2050 et la réduction d’au moins 55 % des émissions d’ici à 2030. Avec ce nouvel objectif pour 2040, l’Union cherche à consolider un cadre stable pour la prochaine décennie, à la fois déterminante sur le plan climatique et décisive pour la compétitivité du continent.

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