Une mission pour optimiser le soutien public aux énergies renouvelables électriques

Politiques énergétiques
03/12/2025
9 min

 

Le Premier ministre Sébastien Lecornu  a annoncé ce 3 décembre avoir confié à Jean-Bernard Lévy et Thierry Tuot une mission stratégique pour optimiser les soutiens publics aux énergies renouvelables électriques (éolien, solaire) et au stockage, afin d’assurer la soutenabilité financière de la transition, alors que la France est toujours en attente de sa programmation énergétique et fait face à un déficit record.

Par Laura Icart, avec AFP

Le gouvernement veut donc revoir le soutien public aux énergies renouvelables. Matignon a confirmé en fin d’après-midi une information parue dans Les Échos ce matin sur le lancement d’une mission sur l’optimisation des soutiens publics aux énergies renouvelables électriques et au stockage d’électricité. Objectif affiché : rendre ces aides plus efficaces, plus soutenables et surtout mieux adaptées aux besoins du réseau électrique, dans un contexte où chaque euro de dépense publique compte. Le Premier ministre a confié cette mission à deux figures reconnues du secteur : Jean-Bernard Lévy, ancien patron d’EDF et président du Conseil français de l’énergie, et Thierry Tuot, conseiller d’État et ancien directeur général de la CRE.

Un chantier majeur sur fond de contraintes budgétaires

Depuis plus de 10 ans, les énergies renouvelables bénéficient d’un appui financier massif de l’État, via des mécanismes comme l’obligation d’achat ou les contrats pour différence (CFD). Ces dispositifs ont permis d’accélérer l’installation des parcs solaires et éoliens dans tout le pays. Mais ils représentent aujourd’hui « un engagement financier considérable » indique Matignon et arrivent à un tournant : les technologies ont mûri, les coûts ont baissé et les conditions de marché ont évolué. Le gouvernement veut donc s’assurer que l’argent public est utilisé au mieux, « sans pour autant remettre en cause le volume global des aides ». La mission Lévy–Tuot devra déterminer comment optimiser ces soutiens. « Il s’agit d’améliorer les dispositifs, pas de réduire les ambitions », précise Matignon. Derrière cette mission, le gouvernement indique vouloir accélérer l’électrification de l’économie, réduire la dépendance aux énergies fossiles importées et garantir une électricité plus compétitive pour les ménages comme pour les entreprises. « L’idée, c’est de bâtir le meilleur mix énergétique possible : souverain, décarboné et au coût le plus bas », résume l’entourage du Premier ministre. Pas question, assurent-ils, d’y voir un signal politique ou idéologique : la mission s’inscrit dans une séquence technique plus large, où se côtoient la révision de la programmation énergétique (PPE), les scénarios de RTE, les appels d’offres ou encore les analyses sur les prix de l’électricité. Si certains s’en étonnent, le nucléaire ne fait pas partie du périmètre. Raison simple : « ses plans de financement reposent sur des modèles entièrement spécifiques », sans rapport avec ceux de l’éolien ou du photovoltaïque. « On ne finance pas une centrale nucléaire comme un parc solaire », rappelle Matignon. D’autres travaux sont déjà en cours sur le financement du nouveau nucléaire, mais dans des cadres distincts. La mission Lévy-Tuot traite uniquement des EnR électriques et du stockage, sur le territoire hexagonal. « Une façon de réorienter l’argent de la production vers la consommation ?» glisse à Gaz d’aujourd’hui un parlementaire qui ne déjeunera pas demain à la table du Premier ministre. « Je ne suis pas choqué par principe par le fait que l’Etat s’interroge sur ses dépenses » nous confie le député (LFI) du Val de Marne, Maxime Laisney , « mais, dans le climat actuel d’offensives trumpistes de la droite et de l’extrême-droite contre les renouvelables, et après les mauvais coups des gouvernements macronistes contre le PV, je suis évidemment inquiet. »

«  Une volonté de remettre les choses à plat« 

Aujourd’hui, les centrales solaires et éoliennes bénéficient pour la plupart de contrats avec l’État, garantissant un prix fixe au producteur, qui ont permis d’accompagner l’essor du secteur. Mais dans l’actuel contexte de demande électrique en berne, ce que devrait confirmer RTE la semaine prochaine, les centrales éoliennes et solaires peuvent générer des surplus d’électricité, parfois accompagnés de prix négatifs. Ce phénomène pèse sur les finances publiques car l’État doit payer au producteur la différence entre le prix sur le marché et le prix de référence. Ces mécanismes de soutien représentent « aujourd’hui un engagement financier majeur pour la puissance publique« , estimé à 8,2 milliards d’euros dans le projet de loi de finances 2026, souligne Matignon, qui juge leur évolution « indispensable« . « Après plusieurs années de montée en charge (…) il y a une volonté de remettre les choses à plat« , indique à l’AFP une source à Matignon. Les règles actuelles ne favorisent pas le développement de solutions de stockage, pourtant indispensables pour stabiliser le réseau face à l’intermittence du solaire et de l’éolien. La mission devra donc étudier comment les mécanismes de soutien pourraient encourager aussi bien le lissage de la production que le stockage d’électricité mais aussi l’injection au réseau lors des moments critiques. La mission devra notamment proposer des pistes « pour mettre en place davantage de flexibilité et de stockage » par batteries, afin de mieux intégrer les renouvelables par nature intermittente dans le réseau électrique et ne pas s’interdire de regarder chez nos voisins, notamment en Allemagne ou au Danemark qui ont déjà mis en place des modèles innovants de ce type. M. Lévy apportera sa compétence d’industriel, en tant qu’ancien patron du géant nucléaire EDF, dont il a aussi piloté la diversification dans les renouvelables, fait valoir Matignon. Thierry Tuot a lui été le premier directeur général de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) et « a donc accompagné la mise en place du système énergétique » d’aujourd’hui.

« Chaque euro de soutien public utilisé à bon escient »

Sur le principe, les syndicats des énergies renouvelables ne sont pas contre cet audit qui doit permettre d’en finir avec des situations de « rentes ». Mais l’absence du nucléaire dans cette étude interroge. « Le coût du nucléaire est celui qui par définition est le plus important« , souligne Daniel Bour, chez le syndicat Enerplan. Le président du Syndicat des énergies renouvelables (SER) Jules Nyssen a lui évoqué une « provocation« , ironisant sur le fait qu' »en matière de coûts« , le chantier du réacteur EPR de Flamanville, « conduit en grande partie » lorsque M. Lévy « était PDG d’EDF, est un bon exemple« . « Il est vrai que le choix de ce duo surprend et peut apparaître comme maladroit » nous confie un parlementaire au fait des questions énergétiques. En pleine montée des prix de l’énergie et à la veille d’investissements colossaux pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, « l’État cherche à s’assurer que chaque euro de soutien public est utilisé à bon escient » indique l’exécutif. Le gouvernement n’a toutefois pas l’intention d’attendre la fin de ces travaux pour mettre en place ses chantiers énergétiques. L’exécutif travaille sur des mesures pour faire baisser les prix de l’électricité et accélérer l’électrification des usages – comme le fait de remplacer les énergies fossiles par de l’électricité renouvelable ou nucléaire, qui est décarbonée.

« Il n’y a aucune conditionnalité entre la mission et la PPE »

« Avec l’appui du conseil général de l’économie, de la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) et en lien avec les administrations et filières concernées, la mission analysera les effets des mesures d’optimisation déjà engagées et formulera des recommandations opérationnelles pour les années à venir » indique le communiqué. Selon Matignon, cette mission « ne conditionne » en rien la publication ou pas de la prochaine PPE. « Les volumes de production et la trajectoire énergétique restent fixés indépendamment. » La mission Lévy–Tuot, elle, se concentre uniquement sur les modalités de soutien aux énergies renouvelables électriques et durera trois mois. Ses conclusions vraisemblablement attendues pour avril pourront entraîner des évolutions d’ordre règlementaires, législatives « si nécessaire », ou même négociées avec Bruxelles (aides d’État). Elles nourriront les travaux du gouvernement tout au long de l’année 2026. En parallèle, le gouvernement poursuit ses consultations avec les parlementaires pour publier la programmation pluriannuelle de l’énergie, la feuille de route énergétique qui accuse déjà deux ans de retard. Matignon promet une décision « courant décembre« .

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