La Cour des comptes juge « très compétitive » la prolongation du parc nucléaire par rapport à la construction de nouvelles capacités

Nucléaire
17/11/2025
7 min
Bartus Daniel / Shutterstock

La Cour des comptes a publié ce 17 novembre un rapport consacré à la maintenance du parc électronucléaire français. Les magistrats financiers estiment que la poursuite d’exploitation des réacteurs d’EDF jusqu’à 50 voire 60 ans constitue une stratégie « très compétitive » face à la construction de nouveaux réacteurs, malgré une inflation continue des coûts de maintenance et des difficultés opérationnelles persistantes.

Par la rédaction, avec AFP

Depuis 10 ans, les dépenses allouées aux opérations d’entretien « dépassent les six milliards d’euros par an et ont progressé de 28 % par rapport à la période 2006-2014 ». La Cour attribue cette hausse à la fois au vieillissement d’un parc dont l’âge moyen atteint 40 ans en 2025, au renforcement du cadre de sûreté après Fukushima et aux travaux nécessaires à la prolongation de la durée de vie des réacteurs. Dans le rapport, les magistrats soulignent que « la maintenance des centrales et la poursuite de leur exploitation jusqu’à 60 ans nécessitent la mobilisation de ressources financières considérables », mais insistent immédiatement : « Ces investissements paraissent rentables pour l’exploitant et constituent une option avantageuse pour le système électrique français. ».

Un coût de prolongation beaucoup « plus attractif » que l’EPR2

Le coût de prolongation du parc nucléaire existant entre 40 et 60 ans est évalué à 51 euros par mégawattheure aux conditions économiques de 2023. À titre de comparaison, le programme de six EPR2 envisagé par l’État affichait un coût de 79,90 euros par mégawattheure dans un rapport publié en janvier. Selon les magistrats de la rue Cambon, « le prolongement du parc apparaît très compétitif par rapport à la construction de nouvelles capacités de production », à condition toutefois que les niveaux de production futurs soient atteints et que les prix de vente de l’électricité ne se dégradent pas.

Une disponibilité en recul et des crises à répétition

En dépit de ces investissements croissants, la disponibilité du parc a chuté au cours de la dernière décennie. Alors qu’elle s’établissait à environ 80 % avant 2014, elle n’a été que de 74 % en moyenne entre 2014 et 2024. La Cour explique ce recul par l’allongement des arrêts de tranche, par la succession de crises industrielles et par l’apparition du phénomène de corrosion sous contrainte sur de nombreuses tuyauteries. L’année 2022 a constitué un point bas historique. Avec seulement 270 TWh produits, le parc a enregistré sa plus faible performance depuis 1988. La corrosion sous contrainte a entraîné une perte estimée à 90 térawattheures et un manque à gagner qui aurait représenté jusqu’à 8 % du chiffre d’affaires total du groupe entre 2020 et 2024. Les coûts directs des réparations s’élèvent à environ 1,3 milliard d’euros. Malgré tout, la Cour reconnaît la réactivité de l’exploitant. « EDF a su répondre rapidement et de manière proportionnée aux enjeux de sûreté et aux impératifs de continuité d’approvisionnement » écrit-elle, saluant en particulier le développement en quelques mois de nouvelles techniques de détection non destructives.

 

Start 2025


Pour restaurer la performance opérationnelle du parc, EDF s’appuie depuis 2019 sur le programme Start 2025 qui vise à raccourcir et mieux organiser les arrêts de tranche. La Cour reconnaît que ses « premiers résultats sont notables », mais rappelle que « nombre de ses actions sont encore en cours de déploiement » et que plusieurs de ses objectifs majeurs restent hors de portée en raison des crises industrielles. L’institution estime que ce chantier devra se prolonger au-delà de 2025 afin d’obtenir un redressement durable de la disponibilité des réacteurs.

Un grand carénage colossal à plus de 100 milliards d’euros

Le rapport insiste sur l’ampleur du grand carénage, le programme industriel lancé en 2014 pour moderniser les installations et permettre leur exploitation au-delà de 40 ans. Il représente 100,8 milliards d’euros d’investissements entre 2014 et 2035 et pourrait atteindre 131,9 milliards en incluant les charges d’exploitation complémentaires. La Cour prévient qu’un pilotage financier plus précis s’impose, faute de quoi les risques de dérapages budgétaires et calendaires demeurent élevés. « La situation actuelle ne permet pas de s’assurer de la maîtrise des coûts et des délais des principaux projets en cours » déplore-t-elle.

Cinq recommandations pour renforcer la sûreté et la performance

Au terme de son analyse, la Cour des comptes formule cinq recommandations majeures destinées à sécuriser l’avenir du parc nucléaire et à renforcer la maîtrise industrielle d’EDF. La première demande à EDF et à l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection de finaliser, d’ici 2027, la refonte du référentiel d’exploitation et la simplification des règles encadrant le fonctionnement des installations. La seconde les invite, avant 2026, à examiner les conséquences des nouvelles techniques de détection qui rendent visibles des imperfections jusque-là indétectables et à ajuster, si nécessaire, la réglementation ou les règles de sûreté. La troisième recommandation vise directement EDF, qui devra définir une suite opérationnelle au programme Start 2025 d’ici l’année prochaine. La quatrième exige de l’entreprise qu’elle identifie clairement quelles compétences et activités critiques doivent être réinternalisées pour renforcer la maîtrise industrielle. Enfin, la cinquième demande à EDF, avec l’Agence des participations de l’État et la direction générale de l’énergie et du climat, de préciser le suivi financier du grand carénage afin de mieux contrôler les projets, leurs délais et leurs coûts.

Pour la Cour des comptes, la prolongation des réacteurs jusqu’à 60 ans demeure un choix économiquement rationnel, pleinement compatible avec les nouveaux objectifs de souveraineté énergétique et de décarbonation du pays. « À condition que la production soit au rendez-vous, la prolongation apparaît comme la solution la plus avantageuse pour le système électrique français », concluent les magistrats. Une conclusion qui semble conforter la stratégie engagée par l’État, au moment où la construction de trois paires d’EPR2 doit entrer dans une phase décisive.

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