Dans les Mauges, la transition énergétique se conjugue au collectif

Territoires
02/10/2025
9 min
©Laura Icart

Dans les Mauges (Maine-et-Loire), au cœur d’un territoire à énergie positive, la transition énergétique prend une dimension territoriale assumée, portée par des projets locaux, des initiatives citoyennes et une logique de gouvernance locale revendiquée. Reportage.

Par Laura Icart

Sur ce vaste territoire rural de 120 000 habitants, composé de six communes nouvelles, on cultive une culture du collectif et du compromis, érigée en levier de transformation politique. Une démarche saluée cette semaine par le réseau national Cler, venu tenir ses rencontres des territoires à énergie positive (Tepos) sur les terres angevines. « Le sens du collectif, c’est l’ADN de notre territoire. Ici, on ne fait pas cavalier seul. Et c’est ensemble qu’on a décidé de relever les grands défis, notamment celui de la transition » nous confie Didier Huchon, président de Mauges communauté et maire de Sèvremoine. Dans les Mauges, grâce à une politique active mêlant éolien, photovoltaïque, biomasse et sobriété énergétique, 26 % de sa consommation d’énergie est déjà couverte par des sources renouvelables. L’objectif est d’atteindre 40 % d’ici 2030. Le tout sous l’impulsion d’une gouvernance originale et collective, où collectivités, entreprises et citoyens avancent main dans la main.

Une stratégie de territoire, « pas de vitrine« 

Cette volonté politique s’est rapidement traduite par la création d’une société d’économie mixte locale, Mauges énergies, détenue majoritairement par les acteurs du territoire (collectivités, citoyens, entreprises, agriculteurs). Elle pilote aujourd’hui des projets d’énergies renouvelables (éolien, solaire, biogaz) et réinvestit déjà ses premiers dividendes dans des projets de mobilité ou des appels à projets locaux. « Ce n’est pas juste produire plus d’énergie verte. C’est veiller à ce que les retombées économiques et sociales restent sur notre sol », ajoute Isabelle Gendron, vice-présidente de l’agglomération en charge de la transition. Mauges communauté s’est dotée dès 2020 d’un plan climat ambitieux, visant 40 % d’énergies renouvelables dans la consommation locale. Le territoire est aussi labellisé « Territoire engagé pour la transition écologique » (Tete) avec deux étoiles. En matière de consommation, la baisse est notable : de 13 % en 2010 à 26 % en 2023.

Des projets concrets

Maison de l’habitat, accompagnement des ménages en précarité via le programme Slim, soutien au covoiturage, solarisation des toitures publiques, valorisation agricole avec Carbomauges, station bio sur le réseau gazier, plateforme alimentaire pour la restauration collective… Ici, les projets sont nombreux, transversaux et ancrés localement. « Nous exploitons plusieurs parcs éoliens, une centrale photovoltaïque, une station de bioGNV et actuellement six ombrières sur cinq communes des Mauges, pour un investissement initial de 1,3 million d’euros » précise Thomas Gauthier, directeur de Mauges énergies. À plus long terme, ce sont plus de 10 millions d’euros qui seront mobilisés sur quatre ans pour étendre la solarisation du patrimoine local. Le développement ne s’arrête pas là : un parc éolien 100 % territorial est en préparation avec Enercoop, tout comme des projets de repolarisation visant à moderniser des installations existantes pour en doubler la puissance.


Des collectifs de citoyens font bouger les lignes


Créée en 2018 sous forme de collectif citoyen avant de devenir une association en 2021, l’Éclem (Énergie citoyenne Loire et Mauges) agit pour la transition énergétique à travers des projets concrets et une forte implication citoyenne. Portée par une dizaine de membres très actifs et soutenue par une trentaine d’adhérents, l’association développe des projets d’énergies renouvelables (photovoltaïque, éolien), d’éco-rénovation et de sensibilisation. « À l’échelle individuelle, on avait un peu l’impression d’avoir fait ce qui était à portée de main pour réduire notre empreinte écologique. On s’est dit que, finalement, en se regroupant, on pourrait faire des choses qu’on ne pourrait pas faire tout seul », explique Emmanuel Guiton, co-président de l’association. Aujourd’hui, l’Éclem est engagée dans trois projets réalisés et plusieurs en développement, souvent en partenariat avec la société coopérative CoWatt, outil juridique mutualisé permettant de porter collectivement des projets citoyens. Leur engagement s’inscrit dans une logique de gouvernance démocratique et locale, avec une volonté forte d’agir « chez nous, sans attendre que ça vienne d’en haut », souligne Luc Pelé, président de Mauges énergies.


Un parc photovoltaïque

À l’endroit même où, il y a 20 ans, s’amoncelaient les déchets d’un territoire rural, s’élèvent aujourd’hui des panneaux solaires, posés avec précaution sur un sol stabilisé, sans enfoncer de pieux, pour ne pas troubler ce terrain fragile. Le site, fermé en 2007, a nécessité cinq années pour être stabilisé, avant de devenir le berceau d’un projet collectif de production d’énergie renouvelable, associant collectivités, entreprises et citoyens. Ce projet solaire a vu le jour grâce à la collaboration entre plusieurs acteurs : le syndicat intercommunal Valor3E, les syndicats d’énergie locaux, la SEM Vendée Énergie, Alter Énergies et la coopérative citoyenne Éclem. Dès le départ, les porteurs du projet ont souhaité une gouvernance équitable. « Ce qu’on fait ensemble, on veut le faire à parts égales », résume un élu local. Résultat : 10 % du capital a été ouvert à la coopérative citoyenne. Une manière de s’assurer que les citoyens ne soient pas seulement spectateurs, mais bien co-acteurs. « Nous sommes arrivés tardivement, le projet était déjà ficelé, mais il était essentiel d’y être, pour apprendre, pour coopérer et pour bâtir une culture commune de la transition », nous confie Adèle Vallet, co-présidente d’Éclem. Mise en service en février 2022, la centrale solaire Smilé photov’Bourgneuf, implantée sur une surface de 5 hectares dont 2,5 ha sont couverts par 11 664 modules photovoltaïques, produit 5,6 GWh, soit l’équivalent de la consommation de 2 800 foyers (hors chauffage).

« Un vrai projet collectif », local et citoyen

À Beaupréau-en-Mauges, le parc éolien des Grands Fresnes a bénéficié d’une véritable appropriation citoyenne. Mis en service en juillet 2021, ce parc, composé de trois éoliennes culminant à 150 mètres de hauteur, produit chaque année près de 21 200 MWh, soit l’équivalent de la consommation électrique de 7 000 à 8 000 foyers. Mais au-delà de sa performance énergétique, c’est son modèle de gouvernance qui suscite l’intérêt. À l’origine, le projet était porté par une entreprise privée, David Énergies. Mais, inspirés par des initiatives voisines comme les parcs citoyens de la Jacterie et de l’Hyrôme, les habitants des Mauges ont décidé de s’en réapproprier la maîtrise. « On a créé notre groupe d’actionnaires avec 220 personnes. On a discuté avec le développeur pour être majoritaires », explique l’un des citoyens engagés dans le projet. Résultat : en mai 2019, 60 % du capital du parc est racheté par des acteurs locaux, regroupés au sein de la SAS Mauges Éole, qui fédère citoyens, la SEM Mauges énergies et Énergie partagée. « C’est un vrai projet collectif. Aujourd’hui, 85 % des 223 actionnaires habitent dans les Mauges », précise-t-il. Pour convaincre David Énergies de céder le contrôle, il aura fallu « plus d’un an et demi de discussions », portées par « le dialogue, l’appui des élus » et surtout la force d’un territoire marqué par « une culture de l’action collective ». Cette mobilisation se traduit également dans l’usage des bénéfices générés : ces derniers ne sont pas uniquement redistribués aux actionnaires mais réinjectés dans le tissu local. « On a financé un minibus électrique pour un club de sport, équipé une résidence senior en dispositifs d’efficacité énergétique, ou encore soutenu des projets pédagogiques dans les écoles », énumère un habitant. En moyenne, chaque citoyen investisseur a placé environ 10 000 euros dans l’aventure, sous forme de parts de 1 000 euros, sans garantie de rendement immédiat. « On leur a dit : vous investissez, mais on ne peut pas vous donner de chiffre précis », reconnaît le trésorier du collectif. Aujourd’hui, les dividendes sont versés avec prudence, selon les résultats annuels, mais avec un objectif clair : « être au-dessus du livret A ». Ce modèle, fruit d’un long cheminement entamé dès 2005 avec les premières zones de développement éolien (ZDE), s’inscrit dans une dynamique locale assumée, « un territoire productif, résilient et profondément engagé dans la transition énergétique citoyenne » résume Luc Pelé, président de Mauges énergies.

Dans les Mauges, l’ambition dépasse la simple production : il s’agit de bâtir un véritable écosystème énergétique local, en intégrant aussi les questions de stockage, de méthanisation et de coopération avec des agriculteurs. Face à l’arrivée rapide de nouvelles technologies, les collectivités souhaitent rester maîtresses de leur destin énergétique. « Laisser ça à d’autres sans contrôle, c’est franchement dommage pour le territoire », résume un acteur croisé dans les allées du Foirail de Chémillé où se tenait la 15e édition des rencontres nationales “Énergie et territoires ruraux, vers des territoires à énergie positive”, soulignant l’importance d’un pilotage local et citoyen des projets.

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