La Cour des comptes inquiète de la capacité d’EDF à concilier ambitions et financements

Rapport
23/09/2025
6 min
EDF prévoit d'allouer 90 milliards d'euros à la maintenance et la prolongation du parc nucléaire existant, 115 milliards d'euros pour la construction de 14 EPR 2 (dont 75 pour les six premiers), 15 milliards d'euros pour le parc hydraulique ou encore plus de 100 milliards d'euros sur le réseau d'Enedis, gestionnaire du réseau de distribution d'électricité. ©Spech / Shutterstock.

EDF doit concilier ambitions industrielles colossales et équilibre financier fragile, dans un contexte économique complexe alerte la Cour des comptes dans un rapport dévoilé par Contexte.

Par la rédaction, avec AFP

La Cour des comptes en France s’inquiète des perspectives financières de l’énergéticien public EDF, appelant à « une répartition claire de l’effort financier » entre État, EDF et clients, dans un rapport adressé à la commission des finances de l’Assemblée nationale et consulté mardi par de nombreux médias. Le contraste est saisissant : d’un côté, EDF affiche des performances industrielles de premier plan, avec un parc nucléaire unique en Europe, des parts de marché dominantes en France et des investissements massifs à venir. De l’autre, sa situation financière reste tendue, son modèle économique confronté à des incertitudes croissantes, et sa stratégie internationale questionnée.

Un modèle économique historiquement centré sur la France

Avec un chiffre d’affaires et un Ebitda (indicateur financier américain qui correspond approximativement à un excédent brut d’exploitation) en tête du classement européen des électro-gaziers, EDF reste un poids lourd du secteur. Son positionnement reste toutefois atypique, marqué par une prédominance du nucléaire, une forte concentration de ses activités en France – plus des deux tiers de l’Ebitda – et une part relativement modeste de chiffre d’affaires régulé ou sécurisé par des contrats de long terme, comparativement à ses concurrents comme Enel ou RWE.

460 milliards d’euros entre 2025 et 2040

Dans ce rapport, l’institution chargée de contrôler le bon usage des deniers publics observe qu’EDF est « confronté à d’importantes incertitudes sur sa capacité de financement à long terme », alors qu’il fait face à des besoins d’investissement atteignant 460 milliards d’euros entre 2025 et 2040. Dans ce contexte, « le modèle de financement d’EDF devrait, pour préserver une trajectoire financière soutenable pour le groupe, être défini à partir d’une répartition claire de l’effort financier entre l’État, désormais actionnaire unique, EDF et les clients finaux », estiment les magistrats. Dans le détail, EDF prévoit d’allouer 90 milliards d’euros à la maintenance et la prolongation du parc nucléaire existant, 115 milliards d’euros pour la construction de 14 EPR 2 (dont 75 pour les six premiers), 15 milliards d’euros pour le parc hydraulique ou encore plus de 100 milliards d’euros sur le réseau d’Enedis, gestionnaire du réseau de distribution d’électricité. Dans le même temps, la rentabilité d’EDF va être davantage exposée « aux aléas d’évolution des prix de marché de l’électricité », avec la fin du système régulé dit « Arenh », prévue fin 2025. EDF entend remplacer ce système par des contrats de moyen et long terme avec les fournisseurs d’électricité et les entreprises, dont les industriels très énergivores. Problème : le groupe ne dispose pas, à ce stade, de ressources propres suffisantes pour autofinancer un tel programme sans alourdir encore une dette déjà élevée – 54,3 milliards d’euros fin 2024 – malgré les augmentations de capital passées, les cessions d’actifs et l’absence de dividendes versés en numéraire à l’État depuis près d’une décennie. Le ratio d’endettement reste, en 2024, encore contenu grâce aux prix élevés de l’électricité, mais cette situation ne saurait durer. À long terme, la viabilité du modèle de financement dépendra de plusieurs facteurs clés : prix de vente de l’électricité, performance opérationnelle du parc, politique de dividende et implication financière de l’État.

Une capacité financière conditionnée à la performance du nucléaire

La Cour des comptes note par ailleurs que la capacité d’EDF à investir va être conditionnée « par les performances opérationnelles du parc nucléaire et la réussite de la prolongation de sa durée de vie ». L’instance préconise alors de « fixer, préalablement à la décision finale d’investissement du programme des EPR2, les modalités de partage des risques entre l’État et EDF ». Le devis final d’EDF sur son programme EPR2 doit être connu à la fin de l’année. La Cour des comptes appelle également à préciser la politique de dividendes qui sera appliquée à EDF et préconise au groupe de « procéder à une revue stratégique des investissements, participations et filiales ». Des cessions, totales ou partielles, de participations et filiales constitueraient « un levier de financement du programme d’investissements du groupe » notamment « dans des scénarios de prix les plus défavorables », argumentent les magistrats de la Cour des comptes.

Un soutien étatique qui appelle des clarifications

L’État a annoncé, lors du dernier conseil de politique nucléaire, la mise en place d’un prêt bonifié pour financer au moins la moitié des coûts de construction des EPR2. Mais les modalités de partage des risques entre EDF et l’État, tout comme la politique de dividendes future, restent à préciser. « Il est impératif de clarifier la part de l’effort financier attendue d’EDF, de l’État et des clients finaux », note la Cour des comptes. La mise en place de contrats pour différence (CfD) sur les futurs EPR2 est prévue, mais leur efficacité dépendra étroitement des conditions tarifaires retenues. En parallèle, le nouveau projet d’entreprise d’EDF, dévoilé en 2024, insiste sur une meilleure maîtrise des investissements, notamment à l’international, et sur un suivi renforcé de la performance, orienté vers la maximisation du cash-flow.

Depuis son arrivée début mai, le PDG d’EDF Bernard Fontana a déclaré vouloir donner la priorité aux investissements et actifs (nucléaires, renouvelables, etc.) en France alors que le groupe doit répondre à un vaste programme de relance du nucléaire voulu par l’État français. Lors d’une audition le 30 avril 2025 devant les députés français, il avait notamment déclaré : « Pour que l’équation tienne, il faudra, selon moi, donner la priorité aux investissements en France et être attentif à la rentabilité et au partage des risques pour les engagements à l’international. Des cessions pourraient être envisagées, alors qu’EDF s’engage dans un programme historique d’investissements ».

Vous aimerez aussi