La décarbonation de l’industrie en fer de lance

"A vous seuls, vous représentez plus 10% de l’ensemble de nos émissions globales. Votre contribution est clé pour réussir la transition écologique et pour préserver notre compétitivité" a déclaré la Première ministre alors que les représentants des 50 sites industriels les plus émetteurs de France ont signé le 22 novembre des contrats de transition écologique avec le gouvernement. © Laura Icart

Publié le 23/11/2023

9 min

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Ce mercredi 22 novembre, les 50 sites industriels les plus émetteurs de gaz à effet de serre de  France ont signé des contrats de transition écologique avec le gouvernement. Ils se sont engagés collectivement à réduire leurs émissions de 45 % d’ici à 2030 dans un secteur industriel qui connaît une profonde mutation et qui fera face à de multiples besoins, en ressources, en compétences, en technologies, pour assurer sa décarbonation.

Par Laura Icart

 

En novembre 2022, le président de la République avait fixé un cap aux représentants des 50 sites industriels les plus émetteurs de France totalisant à eux seul 60 % des émissions de l’industrie et 12 % des émissions nationales, en y ajoutant les six plus grandes raffineries opérant sur le territoire métropolitain : celui de diviser par deux en 10 ans les émissions de l’industrie française, avec une méthode, la co-contruction entre l’État et les entreprises d’un contrat fixant les objectifs de réduction et les moyens concrets pour y parvenir. Car derrière l’enjeu de la décarbonation de l’industrie, c’est aussi l’enjeu de la réindustrialisation qui s’écrit, et notamment celui de la révitalisation de certains territoires sinistrés par les délocalisations. « Depuis 2017, 300 usines ont rouvert » a souligné la Première ministre Élisabeth Borne, invitée surprise d’une signature organisée au cœur du Salon des maires et des collectivités qui se termine aujourd’hui à Paris. « De votre succès dépend l’atteinte de nos objectifs climatiques » a également déclaré la cheffe de l’exécutif, alors que les représentants des 50 sites industriels détenus pour certains par de grandes multinationales comme TotalEnergies, ArcelorMittal, Saint-Gobain, Solvay ou encore Lafarge se sont engagés à réduire leurs émissions d’au moins 45 % d’ici à 2030.

Un secteur qui « tient sa trajectoire de décarbonation »

Peu diffuse, les émissions de l’industrie sont particulièrement concentrées et engendrées par quatre grandes filières industrielles : la chimie, la métallurgie (sidérurgie et aluminium), les matériaux de construction et les minéraux non-métalliques (notamment le ciment) ainsi que l’agroalimentaire, qui totalisent 85 % des émissions du secteur. Si l’industrie représente environ 18 % des émissions nationales, au même niveau que le bâtiment et loin derrière les transports, c’est aussi « le secteur économique qui s’est le plus décarboné depuis 1990 » rappelle le ministre chargé de l’industrie Roland Lescure, avec une réduction de 45 % de ses émissions de gaz à effet de serre depuis 30 ans. « L’industrie a contribué à 58 % de la réduction des émissions françaises sur cette période, ce qui en fait le premier secteur contributeur de la baisse des émissions de carbone nationales. » Et cette concentration des émissions, c’est une chance pour le gouvernement qui souhaite obtenir des résultats rapides. « C’est une fierté  aujourd’hui de voir que l’industrie tient sa trajectoire de décarbonation, ce n’est pas le cas de tous les secteurs » a souligné la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher qui avait également travaillé sur cette question lorsqu’elle était ministre de l’Industrie, reconnaissant volontiers que la concentration des émissions dans l’industrie permettait d’opérationnaliser plus rapidement une trajectoire de diminution en travaillant avec 50 sites, là où « il est plus dur d’agir sur le mode de transport de 67 millions de Français ». Le secteur des transports, qui représente 27 % des émissions nationales, ne réduit pas, voire augmente ses émissions.

Une réduction d’au moins 45 % des émissions d’ici 2030

L’industrie devrait selon le gouvernement et selon un « scénario ambitieux » construit sur les trajectoires de décarbonation visées par les 50 grands sites industriels, réduire ses émissions « d’au moins 45 % d’ici 2030 », soit 22 millions de tonnes équivalent CO₂ (MtCO₂eq.) d’émissions en moins chaque année. La décarbonation de l’industrie, ce sera avant tout de gros besoins en électricité décarbonée, une électricité qui devra être compétitive alors que le gouvernement a annoncé la semaine dernière un accord avec EDF à partir du 1er janvier 2026. D’ici 2030, l’électrification des procédés concernera tous les secteurs. La biomasse devrait également être fortement mobilisée pour produire de la chaleur à haute température, notamment dans les secteurs de la chimie et de l’agroalimentaire. L’autre pilier, c’est l’hydrogène, essentiellement fossile aujourd’hui mais qui va se décarboner à mesure que les écosystèmes de production se déploient sur les territoires. La stratégie hydrogène, bientôt réactualisée, vise 6,5 GW en 2030. Un objectif confirmé par la stratégie française énergie et climat présentée également ce 22 novembre. Et enfin, « l’ultime  solution », selon Agnès Pannier-Runacher, est « celle qui doit être mobilisée seulement quand tous les autres leviers [sobriété, efficacité, énergie renouvelables et bas carbone, NDLR] sont actionnés » : la capture carbone, pour permettre d’aller chercher les émissions résiduelles et incompressibles. Une solution pas encore mature cependant mais « nous travaillons dessus » a assuré la ministre, pour construire « un cadre régulatoire, des infrastructures et des financements adéquats ».

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Quatre filières dans le viseur

Dans cette filière, les émissions sont tout particulièrement concentrées puisque les six sites appartenant à la filière métallurgie recensés dans les 50 sites les plus émetteurs représentent à eux seuls 85 % des émissions de cette filière sur le territoire national. Les trois aciéries d’ArcelorMittal dans le Nord, les Bouches-du-Rhône et la Moselle émettent 19 MtCO₂eq. par an, « soit plus de 80 % des émissions de la filière et près de 40 % des émissions des 50 sites ». Ces trois sites se sont engagés à réduire de près de 40 % leurs émissions d’ici à 2030. Leur feuilles de route prévoient une réduction moyenne de 32 % de leurs émissions par rapport à 2015 en actionnant plusieurs leviers : d’abord le levier énergétique en gagnant en efficacité énergétique pour optimiser les process et en électrifiant certains process et certains procédés. « L’un des principaux leviers pour décarboner la sidérurgie est alors de remplacer les hauts fourneaux par des fours électriques fonctionnant par réduction directe du minerai de fer avec de l’hydrogène décarboné » indique Bercy. Parmi les 50 sites, 25 appartiennent à la filière des matériaux minéraux non métalliques (4 produisent de la chaux, 20 du ciment, 0 des tuiles et briques et 1 du verre), représentant 49 % des émissions de toute la filière. Sur ces 25 sites, 20 sont des cimenteries dont le processus de fabrication est particulièrement émissif. D’ici 2030, la feuille de route de la filière ciment prévoit une réduction de 51 % de ses émissions (scénario central) par rapport à 2015. Pour atteindre cet objectif, la filière mise à la fois sur des leviers d’efficacité énergétique et de substitution des énergies fossiles (- 27 %) et sur le captage de CO₂ pour 23 %, 9 sites sur les 25 intégreront dans leurs stratégies de décarbonation des projets de captage et de stockage de CO₂. Seize appartiennent à la filière de la chimie qui s’est mise d’accord avec le gouvernement pour une trajectoire de décarbonation correspondant à entre 41 % et 49 % d’émissions en moins d’ici 2030. Ici, encore plusieurs leviers seront actionnés : l’efficacité énergétique et l’électrification des procédés (- 16 %) mais aussi une mobilisation de la biomasse, la production d’hydrogène décarboné pour décarboner la production d’ammoniac, la substitution de certains gaz frigorigènes par des fluides à faible pouvoir réchauffant et la capture et le stockage du carbone. Dans sa feuille de route, la filière de la chimie estime qu’elle aura besoin dès 2030 d’entre 7 et 8 TWh par an de biomasse et de déchets non recyclables supplémentaires et entre 7 à 12 TWh par an d’électricité bas carbone supplémentaire. Enfin, la filière agroalimentaire, celle qui a les émissions de GES les plus dispersées et compte deux sites parmi les 50 représentant environ 7,5 % des émissions de toute la filière, s‘est fixé une trajectoire de décarbonation correspondant à une réduction de 40 à 50 % d’émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, s’appuyant principalement sur la décarbonation de la production de chaleur via notamment la méthanisation.

Au global, les premiers leviers technologiques mis en avant par les sites industriels dans leurs feuilles de route d’ici 2030 reposent sur la capture et le stockage de carbone (8 MtCO₂eq.), la biomasse (7,1 MtCO₂eq.) et l’hydrogène (5,5 MtCO₂eq.). Dans ces modélisations économiques, le gouvernement estime que l’atteinte d’un objectif de – 45 % d’émissions de gaz à effet de serre en 2030 coûtera « entre 50 et 70 milliards d’euros d’investissements et coûts d’opérations supplémentaires par rapport au scenario carboné ». À ce stade, le gouvernement a mobilisé plus de 5 milliards d’euros dans le cadre de France 2030, dont plus de 1 milliard ont déjà été engagés, précise Bercy. « De nouveaux appels d’offres de décarbonation profonde des sites les plus émetteurs seront lancés au premier semestre 2024 » a déjà indiqué la Première ministre.