2024, une « année blanche » pour l’hydrogène en France

Publié le 11/12/2024

8 min

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Le 10 décembre, France Hydrogène a fait un bilan de l’année écoulée. Une année 2024 « blanche » pour le développement de l’hydrogène en France, estime son président Philippe Boucly qui appelle le gouvernement et les pouvoirs publics a donner de vrais signaux aux acteurs de la filière française qui, selon une étude dévoilée hier, pourrait contribuer à "hauteur de 13 milliards d'euros" au produit intérieur brut et générer 66 600 emplois à l’horizon 2035. Par Laura Icart   La filière française de l’hydrogène vit une année 2024 compliquée qui l’a vu stagner, dans un contexte international où la Chine et les États-Unis notamment ont, eux, plutôt mis le pied sur l’accélérateur. Pourtant, selon l’ancien commissaire et Premier ministre italien Mario Draghi, l’hydrogène apparaît bien comme « un contributeur stratégique pour décarboner l’Europe et renforcer sa compétitivité ». Une compétitivité compliquée à trouver actuellement pour les porteurs de projets, alors que le marché reste loin de niveaux attendus. L’Europe visait 40 GW par électrolyse en 2030, elle ne devrait pas dépasser les 10 GW, ne facilitant pas les décisions finales d’investissements alors que l’on sait déjà que la massification sera l’une des clés pour parvenir à un prix de l’hydrogène compétitif dans les années à venir. L’incertitude institutionnelle domine en France Si la France a de nombreux atouts pour réussir à « construire une filière hydrogène dynamique et compétitive », l’année 2024 aura été une année « blanche » constate le président de France Hydrogène, Philippe Boucly. En cause : un manque de soutien et de visibilité dû au nombreux textes réglementaires non publiés, à des mécanismes de soutien toujours pas en place et à une stratégie révisée sur l’hydrogène toujours pas publiée, près d’un an après l’avoir mis en consultation. Un cadre réglementaire qui manque toujours de « clarté et de stabilité », ne facilitant pas les décisions finales d’investissement. « C'est plus de 250 projets qui ont été identifiés en France et on a assisté au cours de cette année à plusieurs développements importants » note Philippe Boucly, évoquant le lancement de la production d’électrolyseurs en juin par McPhy au sein de sa gigafactory près de Belfort. Les 250 projets recensés par la filière, s’ils étaient réalisés, conduiraient à plus de 10 gigawatts d'électrolyse, contre 30 MW effectifs à l’heure actuelle, avec un pipe sécurisé de 300 mégawatts dont 200 du projet Normandie porté par Air Liquide et Siemens Energy. Très loin de son objectif à atteindre, à savoir 6,5 GW en 2030, mais dans une bonne dynamique européenne cependant puisqu’elle se place juste derrière la Suède (1 397 MW) et l’Allemagne (567 MW), selon les données de l’Agence internationale de l’énergie (AIE). « Nous n’avons pas de temps à perdre » rappelle Philippe Boucly alors que la France a été l’un des premiers pays à se doter en 2020 d’une ambitieuse stratégie hydrogène et qu’elle compte de nombreuses pépites industrielles et une recherche académique de premier plan en la matière. « Certains pays ont pris plus tard le train de l’hydrogène mais vont aujourd’hui beaucoup plus vite » regrette le président de France Hydrogène, évoquant notamment en Europe « les avancées importantes » réalisées cette année en Espagne ou encore en Allemagne qui vient d’obtenir l’aval de Bruxelles pour injecter 3 milliards d’euros dans le développement d'un réseau d’hydrogène (9 000 km) à l'horizon 2030-2032. « Certains vont mourir » Si beaucoup d’experts estiment que la filière hydrogène revient à une période de normalisation après avoir connu un engouement qui a donné lieu à une forme de « surenchère » sur notre capacité à tenir les objectifs annoncés tant en France qu’en Europe d’ici la fin de la décennie, il n’empêche que la filière française espère « des signaux forts et positifs côté production comme côté demande » souligne Philippe Boucly, signaux qui, pour l’instant, se font attendre. Pourtant, la filière est « dynamique », les acteurs sont « au travail » malgré « le manque de visibilité institutionnelle ». « Nous sommes inquiets » indique à la presse Philippe Boucly. Car la filière hydrogène française, c’est principalement un tissu de PMI, de PME et de TPE qui seront particulièrement fragilisées si les engagements pris par l’État notamment ne se concrétisent pas. « Certains vont mourir » assure Philippe Boucly, alors le fabricant d'utilitaires à hydrogène Hyvia, une coentreprise de Renault comptant 110 salariés et basée à Flins dans les Yvelines, a annoncé début décembre envisager de déposer le bilan « à cause d'un marché encore trop faible ». Quelques jours avant, c’est ArcelorMittal qui annonçait repousser son projet d’acier décarboné à Dunkerque, faute de compétitivité. « L’hydrogène jouera un rôle crucial dans l’effort de réindustrialisation de la France, avec une contribution de 7 % » souligne Philippe Boucly. Une projection issue de l’étude sur les impacts socio-économiques de la filière.  « Que voulons-nous en France ? » L’hydrogène est une activité émergente répète Philippe Boucly. « Le soutien est une condition sine qua none au décollage significatif de cette filière » affirme celui qui s’inquiète notamment que le mécanisme de soutien à la production, doté d’une enveloppe de 4 milliards d’euros annoncée en septembre 2023 et devant permettre à des entreprises via un appel d’offres pluriannuel de pouvoir être subventionnées pour leur production d’hydrogène renouvelable et bas carbone et réduire l’écart de coût avec l’hydrogène fossile, ne soit toujours pas lancé. La filière espérait, affirme à Gaz d’aujourd’hui, Philippe Boucly, que le décret fixant la première tranche (150 MW en 2024 puis 200 MW en 2025 et 600 MW en 2026) soit lancé début janvier. « Le cahier des charges est prêt depuis un an. » Cela n’a pas été le cas et la mauvaise nouvelle est venue récemment du Sénat qui a considérablement raboté dans le projet de loi de finances l’enveloppe qui avait été allouée à ce mécanisme de soutien, la faisant passer de 692 millions à 292 millions d’euros, allouant les fonds initialement prévus au rehaussement du fonds chaleur (+ 300 millions) et du fonds Barnier (+ 100 millions). Autre publication toujours en attente : les lauréats de l’appel d’offres de l’Ademe, d’un montant de 125 millions d’euros, où une vingtaine de projets auraient été sélectionnés. « Que voulons-nous en France ?  s’interroge Philippe Boucly, Que nos pépites quittent le pays et développent leurs projets ailleurs ? » 4 euros gagnés pour 1 euro investi en 2035 ? En 2023, la filière hydrogène « a généré près de 1 milliard d’euros de valeur ajoutée (PIB) » indiquent le cabinet d’audit BDO et France Hydrogène, dans une étude qui évalue les retombées économiques et sociales de la filière hydrogène sur l’économie française à date et à l’horizon 2035. De la valeur essentiellement « portée par la production et les usages qui occupent 80 % des emplois, avec, respectivement, 30 % pour la production et 50 % pour les usages ». Les activités de la filière représentent 16 400 emplois au global sur toute la chaîne de valeur de l’hydrogène, dont 6 300 emplois directs. « Chaque emploi direct dans la filière hydrogène pérennise deux emplois indirects » indique l’étude. En 2035, « les bénéfices pourraient être décuplés » estime Philippe Boucly, puisque l’étude évoque, « si les conditions sont réunies », que celle-ci pourrait contribuer à hauteur de 13 milliards d’euros au PIB et générer 66 600 emplois. Une contribution principalement portée par la mobilité avec « 54 % de la valeur ajoutée » générée par la filière issue des mobilités routière, ferroviaire, maritime et aérienne. L’industrie et les carburants de synthèse « seront également des piliers incontournables de cette dynamique, concentrant 70 % de l’activité de production d’hydrogène » note l’étude. En France, le gouvernement a lancé depuis quelques années une politique de réindustrialisation. Si son rythme est en légère baisse depuis le début de l’année 2024, la filière hydrogène pourrait y contribuer de manière significative par l’implantation de sites d’une part mais aussi par un retour sur investissement qui serait « particulièrement significatif pour les finances publiques, selon l’étude, avec un apport estimé à 36 milliards d’euros en impôts, taxes et cotisations sociales d’ici 2035, soit un retour de 4 euros pour chaque euro annoncé en soutien par l'État », tout en réduisant de près 8 % le déficit de la balance commerciale française. Des projections qui bien entendu restent à corréler avec la massification de la production, la hausse de la demande et un écosystème technologique qui doit encore arriver à maturité.

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