Vers une France plus « soutenable » : les pistes de France Stratégie pour repenser l’action publique

Publié le 11/05/2022

5 min

Publié le 11/05/2022

Temps de lecture : 5 min 5 min

Planification, décloisonnement et concertation : dans un rapport publié dimanche 8 mai, France Stratégie propose une série de pistes pour repenser l’action publique autour du concept de « soutenabilité » afin de conduire des politiques publiques qui permettent de prendre en compte « les défis de durabilité à long terme, qu’ils soient environnementaux, sociaux, économiques, démocratiques, technologiques, et les impératifs de court terme ». Les auteurs du rapport estiment qu’il faut établir « un nouveau référentiel de l’action publique ».

Par Laura Icart, avec AFP

 

Deux ans de travaux et plusieurs bouleversements sociaux et sanitaire, des « gilets jaunes » à la crise du covid-19, avec en toile de fond l’urgence climatique, ont alimenté ce rapport. Face aux crises économique, démocratique ou écologique auxquelles la France est confrontée, l’organisme de réflexion rattaché à Matignon « a essayé de construire un nouveau référentiel de l’action publique », selon Johanna Barasz, co-autrice du rapport « Soutenabilités ! Orchestrer et planifier l’action publique ». L’objectif est de rendre la décision publique « soutenable« , c’est-à-dire à la fois durable, transversale et légitime aux yeux des citoyens.

Concilier « fin du monde et fin du mois »

Quelques mois après la crise des « gilets jaunes » qui a révélé toute la difficulté de mener une politique de transition écologique socialement acceptable, France Stratégie a débuté un séminaire avec comme sujet principal la soutenabilité. Deux ans plus tard, avec une centaine de contributions et des milliers de participants associant dans une démarche pluridisciplinaire économistes, politistes, géographes, sociologues, historiens, philosophes, acteurs de la société civile, élus, responsables publics, partenaires sociaux, les experts de France Stratégie égrènent au fil des 250 pages du rapport la nécessité de repenser notre modèle d’actions en termes de politiques publiques. « L’alliance entre croissance économique et progrès social semble aujourd’hui avoir atteint ses limites » note le rapport. Et pourtant, l’urgence climatique, l’érosion de la biodiversité et la fatigue démocratique sont autant de défis qu’il faudra relever et relever « rapidement » alors que les rapports scientifiques sur les effets du changement climatique sont de plus en plus alarmistes. L’ONU soulignait hier qu’il y avait près d’une chance sur deux que la température annuelle mondiale soit « temporairement supérieure » de 1,5 degrés aux valeurs préindustrielles « pendant l’une des cinq prochaines années au moins ». Pour y parvenir, France Stratégie est très claire : il faut redonner un souffle démocratique au pays, redonner une place aux citoyens auprès des décideurs publics. En somme, leur redonner le sentiment d’avoir le choix avec des politiques publiques élaborées démocratiquement et de concert. « Si les limites planétaires sont bien des contraintes incontournables, les chemins de la décarbonation et de la préservation de l’habitabilité du monde doivent rester ouverts. Faute de quoi, le risque de renforcer ce qui a pu être qualifié de « décrochage citoyen » serait majeur et paralysant » prévient France Stratégie.

La planification écologique plus que jamais en vogue

Le rapport propose de bâtir une « stratégie nationale des soutenabilités » articulée autour d’une orchestration cohérente des différents domaines de politiques publiques, et d’une planification renouvelée les inscrivant dans la durée. Pour concrétiser cette ambition, l’organisme propose une méthode et un chef d’orchestre. Sur la méthode, le rapport insiste sur l’importance de la planification afin d’« éviter la dilution des énergies et des moyens », souligne Hélène Garner, co-autrice. Cette approche planificatrice apparaît comme « essentielle » pour articuler « les enjeux et contraintes écologiques avec les enjeux et contraintes de nos autres préférences collectives, en matière de justice sociale et territoriale notamment ». En clair, le gouvernement ne déciderait pas seul de cette feuille de route puisque la « participation citoyenne » devrait être prise en compte. Quelle que soit la manière dont les citoyens seront associés à l’élaboration de la stratégie, « il revient au politique de dire très précisément ce qu’il fera du résultat de ces consultations ». Une allusion à peine voilée à la convention citoyenne pour le climat, un bel exercice démocratique mais dont la finalité a eu un goût amer pour beaucoup alors que le président de la République s’était engagé à reprendre « sans filtre » la majorité des 150 propositions.

Dépasser le silotage des politiques publiques

France Stratégie appelle au renforcement démocratique de la fabrique des politiques publiques. L’organisme de réflexion estime qu’il faut « dépasser le silotage » des politiques publiques en abandonnant « la logique compétitive de l’arbitrage » entre ministères au profit de la « coopération » et du « consensus » interministériels. Pour y parvenir, France Stratégie suggère de créer un « orchestrateur » des soutenabilités. Un pilote clairement identifié qui aurait pour responsabilité l’élaboration de la stratégie nationale, l’expertise et la prospective, le conseil et l’arbitrage, la coordination des feuilles de route sectorielles et territoriales, l’évaluation, l’animation du débat public et la constitution d’un centre de ressources. Pour asseoir son autorité, les auteurs du rapport suggèrent de le rattacher au Premier ministre, « position surplombante et systémique par nature, théoriquement à l’abri des intérêts purement sectoriels« .