Une terre d’énergie verte

Publié le 17/07/2018

9 min

Publié le 17/07/2018

Temps de lecture : 9 min 9 min

Arseme devrait être le premier projet de méthanisation agricole d’injection de biométhane dans le réseau de Teréga, en Occitanie. Située en Basse-Ariège, cette unité voulue par une centaine d’agriculteurs, dont la mise en service est prévue fin 2019, sera en mesure de produire  près de 16 470 MWh d’énergie et de valoriser près de 30 000 tonnes de digestat chaque année. Immersion.

Par Laura Icart

Sur cette terre ariégeoise où l’estive est une tradition et où l’élevage hors-sol est quasi-inexistant, le potentiel de méthanisation ne se trouve pas dans les effluents d’élevage mais bien dans les résidus de culture et particulièrement dans les résidus de maïs semence. C’est l’essence même de ce futur projet de méthanisation qui a débuté en 2013 mais dont l’idée germait dans la tête de plusieurs agriculteurs ariégeois depuis bien longtemps.

Un territoire spécifique

« À la fin des années 2000, les éleveurs en difficulté, notamment à cause de la sécheresse, souhaitaient avoir de la  matière organique à épandre » explique à Gaz d’aujourd’hui David Brus, chargé de mission énergie à la chambre d’agriculture de l’Ariège. Dans ce département et plus largement en Occitanie, les animaux pâturent huit mois de l’année, ce qui laisse peu de matières organiques à récupérer pour les éleveurs puisqu’elle se dégrade dans la nature. « La méthanisation agricole à base de résidus de culture et particulièrement de maïs permettra aux éleveurs d’enrichir leurs sols » précise le technicien qui a étudié la faisabilité de plusieurs projets de petites méthanisation avant la naissance d’Arseme et qui reste convaincu « que la réussite de projets de méthanisation dans son territoire, au vu de la typologie des exploitations, passe par des collectifs d’agriculteurs ».

Une première en France

C’est en 2013 que cinquante-sept exploitations agricoles, majoritairement ariègeoise (85 %), dont certaines de l’Aude et de Haute-Garonne, se sont réunies au sein de la société Prosem pour proposer le projet de création d’une unité de méthanisation, située dans la commune de Montaut à une dizaine de kilomètres au sud de Saverdun, en Ariège. La même année, Prosem crée une SAS baptisée Arseme et dédiée à la méthanisation. Si Prosem reste majoritaire, le capital s’ouvre à des acteurs publics du territoire : la coopérative agricole de la plaine de l’Ariège (Capa) et la régie municipale d’électricité de Saverdun (RME). En 2017, c’est le bureau d’études en génie environnemental ariégeois Atesyn, chargé de l’assistance à maîtrise d’ouvrage du projet depuis 2013 qui a fait son entrée au capital et tout récemment, en juillet 2018, le syndicat départemental d’énergies de l’Ariège (SDE09) et la régie municipale d’électricité (RME) de Mazères qui sont venus ajouter leur pierre à l’édifice. Parallèlement à la création d’Arseme et parfaitement complémentaire, Prosem crée dans la foulée la société des machine à ensiler (SMAE) en partenariat avec une entreprise industrielle FLDI (Aude) pour développer des machines à ensiler les maïs de semence, un résidu de culture que les agriculteurs ont l’obligation de détruire.

« Ce projet est une première en France. Il n’y en a aucun à base de résidus de maïs semence », précise Sophie Privat, ingénieure au sein d’Atesyn, en charge de l’accompagnement du projet depuis ses débuts. Un projet né par la volonté des agriculteurs, persuadés que la valorisation en gaz des résidus de cette culture – résidus qu’ils ont l’obligation de détruire – représente une double opportunité : pour le territoire d’une part, celle de valoriser ce qui est considéré habituellement comme des déchets dans une logique d’économie circulaire et un apport conséquent en matière organique (digestat) pour eux, d’autre part. Chose assez rare pour être souligné : les agriculteurs ont développé dès 2013 et à leurs frais, un prototype de machine pour ensiler les résidus de maïs et récupérer de la matière à haut pouvoir méthanogène.

Arseme la prometteuse

En 2013, le bureau d’étude Atesyn est chargé par Prosem d’établir la feuille de route du projet de méthanisation. Un travail mené en collaboration avec la chambre d’agriculture ariègeoise et pensé dans un premier temps en cogénération pour alimenter en électricité la ville de Saverdun (4 500 habitants) et la briqueterie. Après des études technicoéconomiques, la cogénération est finalement abandonnée au profit de l’injection. Si GRDF et Teréga sont tous les deux pressentis pour accueillir le gaz dans leur réseau, c’est finalement Teréga qui sera retenue, avec un réseau mieux dimensionné pour accueillir les volumes importants de biométhane que sera amené à produire la future unité. 

Cette installation permettra de traiter les déchets de la plupart des cinquante-sept exploitations agricoles actionnaires du projet. « Aucune terre ne sera mise en culture aux fins exclusives de production d’énergie. Notre valeur ajoutée c’est de traiter des résidus d’exploitations actuelles, mélangés à une petite quantité de lisier bovin, en circuit court, pour les valoriser, à la maille locale, en gaz et en engrais naturel » souligne Sophie Privat.  

En 2016, c’est OTV, filiale du groupe Véolia, qui est choisi parmi douze constructeurs pour réaliser la future unité de méthanisation et la « recette » susceptible de fournir le meilleur rendement et un digestat de qualité. Ainsi, la matière première sera composée de 12 500 tonnes d’ensilage de pieds mâles de maïs semence, 1 800 tonnes de résidus d’égrenage de maïs semence, 1 800 tonnes d’ensilage de colza semence et 5 750 tonnes de lisiers de bovins, soit un total de 21 850 tonnes annuelles d’intrants bruts.

L’unité de méthanisation devrait  produire en pleine capacité 2 960 000 normaux mètres cubes (Nm3) de biométhane (16 470 000 kWh) chaque année soit, selon la Commission de régulation de l’énergie, l’équivalent de l’ensemble des besoins énergétiques globales de 1 417 foyers. Une production qui devrait permettre l’évitement de près de 2 745 tonnes d’émissions de CO2 par an.

Une machine innovante

La réflexion autour du projet Arseme et des types d’intrants utilisés, à savoir principalement l’ensilage de pieds mâles de maïs semence, a conduit les agriculteurs à penser dès le début aux machines le plus adaptées pour réaliser la collecte. Quatre agriculteurs de Prosem ont créé un cahier des charges spécifique pour développer un prototype capable de venir  collecter les pieds mâles sans abimer les pieds femelles de maïs semence (récoltés par la suite pour la culture de semences). Le groupe Lapeyre est choisi pour construire la machine. « Nous testons cette machine depuis deux ans, avec pour le moment des résultats satisfaisants » souligne David Brus. « Nous allons poursuivre les essais jusqu’au démarrage de l’unité »  précise-t-il. Une fois l’unité en route, la machine récupèrera les pieds mâles et les déposera sur une plateforme à proximité du lieu de collecte où ils seront rassemblés en tas. Pendant l’hiver, des roulements seront assurés quotidiennement  entre l’unité de méthanisation et les zones de collecte pour assurer l’alimentation du digesteur en matière fraîche et le retour du digestat pour l’épandage.

800 000 euros de financement participatif

Une campagne participative organisée par Enerfip, la première dans le cadre d’un projet de méthanisation, a vu le jour en 2017. Pendant plusieurs mois, les habitants de l’Ariège, de l’Aude et de la Haute-Garonne ont pu investir dans le projet et devenir des obligataires d’Arseme. Au final ce ne sont pas moins de 700 obligataires qui ont répondu présents, avec des montants allant de 100 à 4 000 euros.

Valoriser le digestat

Le digestat : c’est bien le principal intérêt de la méthanisation pour les agriculteurs de Prosem et pour le monde agricole en général. Arseme devrait produire près de 7 000 tonnes de digestat solide et un peu plus de 23 000 tonnes de digestat liquide.

« C’est une énorme plus-value pour les agriculteurs d’Arseme de ne plus avoir à acheter des intrants à l’extérieur, tout en ayant dans le même temps valorisé ses résidus de cultures et produit de l’énergie » conclut David Brus. « C’est un cycle complet ! » ajoute Sophie Privat.

De multiples recours

Le projet Arseme fait actuellement l’objet d’un recours sur son permis de construire suite à un dépôt de plainte de deux associations de protection de la nature ariégeoise. Une action « peu compréhensible » selon Sophie Privat. « La nature du gisement n’amène pas d’inquiétude et je dirais même des nuisances moindres qu’avec le lisier épandu actuellement », d’autant plus, précise l’ingénieure « que la matière végétale qui n’est actuellement pas assimilable par les sols le deviendra ».

Le projet Arseme a pourtant été passé au crible de Méthascope, un outil d’aide au positionnement sur les projets de méthanisation mis en place en 2014 par France Nature Environnement (FNE) avec le soutien de GRDF et de l’Ademe. « Notre projet satisfait à tous les critères » souligne Sophie Privat qui précise que le dialogue n’est pas rompu avec les associations. « Nous voulons faire un projet pour le territoire et pas contre le territoire. »

Attendue depuis longtemps par les agriculteurs sur ce territoire, la construction de l’unité de méthanisation devrait commencer fin 2018. Une année de tests sera nécessaire avant la mise en service définitive de l’installation fin 2019, qui fera d’Arseme l’une des plus grosses unités d’injection de gaz d’origine agricole en Occitanie.

©Arseme