Ce signal d’alarme, qui se veut « comme un sursaut » selon plusieurs dirigeants français de cette tribune, intervient alors que l’Europe traverse une période de remise en question profonde de ses politiques économiques, industrielles et climatiques. Derrière l’apparente technicité des débats sur les clauses commerciales transatlantiques, « c’est bien une vision du futur de l’Europe qui est en jeu » estiment notamment les signataires, parmi lesquels de nombreux dirigeant du monde de l’énergie et de l’industrie, la directrice générale de Veolia Estelle Brachlianoff, celle d’Engie Catherine MacGregor, le président d’EDF Bernard Fontana ou encore Xavier Girre, directeur général de Suez.

« Vivons-nous un moment de tétanie européenne ? », interrogent ces chefs d’entreprise. Le constat est sans détour : dans un monde où les rapports de force se durcissent, « l’étau se resserre« , obligeant le continent à choisir entre résignation ou réinvention. Pour ces signataires, il est impératif que l’Europe cesse de jouer sur la défensive et affirme au contraire sa capacité à tracer sa propre voie. Souveraineté économique, autonomie industrielle, puissance d’innovation : autant de mots clés qui reviennent dans cette tribune où la défense d’un modèle européen exigeant — à forte valeur écologique, sociale et sanitaire — devient le levier d’un nouvel élan stratégique. « Nous avons tous les atouts pour construire notre propre futur », assurent-ils, citant à la fois la qualité de nos savoir-faire, la solidité du droit européen et la disponibilité d’une énergie décarbonée.

Mais derrière cet optimisme de principe, la critique est sévère envers les reculs récents des institutions européennes. Les auteurs de la tribune dénoncent une « incertitude chronique » et « l’affaiblissement des politiques publiques les plus structurantes ». En ligne de mire : les hésitations autour du pacte vert européen, les tensions sur le budget communautaire, les débats sans fin sur le mix énergétique et, surtout, la possible remise en cause de l’objectif de réduction de 90 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2040. « Ce n’est pas un chiffre abstrait« , avertissent-ils, mais bien la condition sine qua non pour donner de la visibilité aux investissements, bâtir une stratégie industrielle et accompagner les PME dans leur transformation. En son absence, préviennent-ils, « nos investissements ralentissent, nos recrutements stagnent et nos positions sur les marchés d’avenir s’effritent ».

Le message adressé aux dirigeants européens est clair : « maintenir le cap », en résistant aux pressions court-termistes et aux tentations de renoncement. L’ambition, selon les signataires, doit s’appuyer sur quatre piliers : mobiliser l’épargne privée vers les entreprises à impact, orienter la consommation vers des produits durables, soutenir les infrastructures d’intérêt général et accélérer la décarbonation des usages. À l’heure où l’Europe peine à transformer ses ambitions en résultats tangibles, ces dirigeants appellent à une « révolution économique », adaptée aux enjeux du XXI^e siècle. « Les recettes du passé ne sont plus valables », concluent ils. Leur interpellation sonne moins comme une critique que comme un ultimatum : l’heure n’est plus aux ajustements prudents, mais à l’invention d’un nouveau récit européen. Un récit de puissance, de souveraineté et d’espoir.