L’humanité a besoin de 1,7 Terre

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Publié le 15/08/2023

8 min

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Le 2 août, l’humanité a consommé l’ensemble des ressources biologiques que la Terre régénère pendant toute l’année. Dès aujourd’hui, la Terre vit à crédit. « Actuellement, nous utilisons 74 % de plus que ce que les écosystèmes de la planète peuvent régénérer, soit l’équivalent des ressources que produirait 1,7 Terre » précisent Global Footprint Network et son partenaire WWF. La planète est en « état d’urgence » lance l’ONG qui souligne que nous vivons désormais « dans le rouge » en entamant le capital naturel nécessaire au maintien de la vie sur Terre.

Par Laura Icart

 

En 213 jours, soit en sept mois, la Terre a épuisé son capital naturel. « Pour suivre la voie préférable du scénario 1,5 °C du Giec, nous devrions faire reculer la date de 10 jours par an » indique l’ONG américaine Global Footprint Network. Actuellement, l’empreinte carbone représente 61 % de l’empreinte écologique de l’humanité. « Cette journée nous rappelle que la persistance du dépassement, depuis maintenant plus d’un demi-siècle, a entraîné un déclin considérable de la biodiversité, un excès de gaz à effet de serre dans l’atmosphère et une concurrence accrue pour les ressources alimentaires et l’énergie » alerte l’ONG dans son communiqué. Toutefois, si cette année la date du jour du dépassement a reculé de cinq jours par rapport à l’année dernière, « les avancées réelles représentent toutefois moins d’un jour » indique le WWF. « Les quatre jours restants sont dus à l’intégration d’ensembles de données améliorés dans la nouvelle édition des comptes » précise l’ONG.

Le jour du dépassement, késako ?

Chaque année, Global Footprint Network calcule le « jour du dépassement » pour le monde en croisant l’empreinte écologique des activités humaines (surfaces terrestres et maritimes nécessaires pour produire les ressources consommées et pour absorber les déchets de la population) et la « biocapacité » de la Terre (capacité des écosystèmes à se régénérer et à absorber les déchets produits par l’homme, notamment la séquestration du CO2). Depuis les années 1970, la date du jour du dépassement se dégrade : le 29 décembre en 1970, le 11 octobre en 1990, le 29 juillet en 2019. En 2020, en raison des confinements liés à la pandémie de covid 19, cette date avait été repoussée de trois semaines par rapport à 2019 (soit le 19 août). Sans surprise, l’année 2021 a marqué le retour au niveau pré-crise sanitaire, soit au 29 juillet. Pour tenir le rythme de notre consommation actuelle de ressources, il faudrait cette année 1,7 Terre pour subvenir de façon durable aux besoins de la population mondiale. Cet indice, qui vise à illustrer la consommation d’une population humaine en expansion sur une planète limitée, se décline également par pays. Ce sont plus de 15 000 points de mesure par pays et par an qui permettent au Global Footprint Network de calculer le jour du dépassement annuel des pays analysés.

 

 

1,7 Terre pour subvenir aux besoins de l’humanité

Près de 3 milliards de personnes vivent dans des pays qui produisent moins de nourriture qu’ils n’en consomment et génèrent moins de revenus que la moyenne mondiale. Ce qui induit une « capacité alimentaire insuffisante et un énorme désavantage pour accéder aux ressources alimentaires sur les marchés mondiaux » précise l’ONG. Un nombre qui augmente à près de 5,8 milliards de personnes si l’on y intègre toutes les ressources et pas seulement les ressources alimentaires. Pour le WWF et Global Footprint Network, en 2022, les causes du dépassement sont principalement liées au système agricole et alimentaire. « La moitié de la biocapacité de la planète (55 %) est aujourd’hui utilisée pour nourrir l’humanité – avec des modèles très différents les uns des autres » précise le communiqué. Une situation dont l’Europe serait « particulièrement responsable » avec une système basé sur « une agriculture intensive » et une « surconsommation de viande ». Autre fait notable à retenir : 72 % de la population, soit 8 milliards de personnes, vivent dans un pays qui présente un déficit de biocapacité et génère moins de revenus que la moyenne mondiale. « La sécurité des ressources est en train de devenir un paramètre essentiel de la puissance économique » souligne Mathis Wackernagel, fondateur de Global Footprint Network. En 2023, les causes n’ont pas évolué. Des changements simples permettraient de déplacer considérablement la date du jour du dépassement indique Global Footprint Network, comme « l’augmentation des sources d’électricité mondiales à faible teneur en carbone de 39 % à 75 % le déplacerait de 26 jours, la réduction de moitié des déchets alimentaires permettrait de gagner 13 jours et la culture intercalaire d’arbres permettrait de gagner 2,1 jours supplémentaires ». À l’exception du Luxembourg (14 février), les pays de l’Union européenne n’affichent pas de grands écarts pour la date de leur jour de dépassement, la plupart l’atteignant entre le 15 avril et le 15 mai. Mais dans le monde les écarts entre les pays s’avèrent nettement plus importants. Sans surprise cette grande disparité est avant tout économique. Au palmarès des plus mauvais élèves, le Qatar qui vit à crédit depuis le 10 février, ou encore les États-Unis, le Canada et l’Arabie saoudite qui sont « dans le rouge » depuis le 14 mars. Et si certains pays arrivent à tenir jusqu’au tout dernier jour du mois de décembre comme la Jamaïque, d’autres, une cinquantaine au total, situés en grande majorité sur le continent africain et un peu en Asie du Sud-Est, ne vivent tout simplement pas à crédit.

 

Actuellement, l’empreinte carbone, c’est-à-dire les émissions de carbone provenant de la combustion de combustibles fossiles, représente 61 % de l’empreinte écologique de l’humanité.

 

2,9 Terres pour subvenir aux besoins des Français

Pour rappel, en France le jour du dépassement était le 5 mai, environ cinq mois plus tôt qu’en 1961 et le même jour qu’en 2022, soit quasiment trois mois avant la moyenne mondiale. Ce qui signifie concrètement qu’en 2023, il aura fallu à notre pays seulement quatre mois pour consommer tout ce que la nature est en capacité de régénérer en une année. « Si le monde entier consommait aujourd’hui comme les Français, il faudrait 2,9 Terres pour subvenir aux besoins des habitants. » « La France consomme 86 % plus que ce que ses propres écosystèmes peuvent régénérer », indique la Global Footprint Network. Malgré la taille considérable de la biocapacité de la France, il faut 2,9 France pour régénérer ce que la population française demande actuellement. Cet écart n’a cessé de se creuser depuis 60 ans. « Tous les présidents de la VRépublique ont laissé l’empreinte écologique du pays se dégrader. En moyenne, selon les données utilisées chaque année par le Global Footprint Network, entre 1981 et 2007, le jour du dépassement a avancé de 10 jours à l’issue de chaque mandat », rappelait en 2022 le WWF France. « Notre modèle actuel est basé sur la prédation de ressources naturelles : l’exemple de l’eau douce le montre bien. Le risque de manquer un jour d’eau est croissant dans beaucoup de territoires, pourtant aujourd’hui dans le monde 70 % de cette ressource est prélevée pour la production alimentaire et surtout les céréales qui nourrissent le bétail. On sait que notre modèle agroalimentaire actuel est une cause majeure du jour du dépassement » souligne Yann Laurans, directeur de la biodiversité terrestre du WWF France.

Si le jour du dépassement stagne en France, c’est le cas aussi chez la plupart de nos voisins européens. Les Allemands ont par exemple atteint le jour du dépassement le 4 mai, soit un jour avant nous, loin derrière les pays du Bénélux qui ont respectivement atteint leur jour du dépassement le 26 mars pour la Belgique, le 14 février pour le Luxembourg et le 12 avril pour les Pays-Bas. L’Espagne a épuisé ses ressources au 12 mai, suivie de près par la Suisse (13 mai) et par l’Italie, le 15 mai. Et si la population française aurait « besoin » de 1,9 France, les Japonais auraient besoin de presque 8 Japon, les Chinois de 4 Chine, les Italiens de 5 Italie et les Américains de plus de 2 États-Unis.