Le réchauffement climatique va renchérir les prix de l’alimentation

La vague de chaleur et l’extrême sécheresse de l’été 2022 a « probablement fait grimper l'inflation alimentaire de 0,67% et l’inflation globale de 0,34% » en Europe, avec un impact plus important dans le sud de l'Europe. ©Shutterstock

Publié le 25/03/2024

6 min

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Le réchauffement climatique et les vagues de chaleur vont faire grimper encore plus les prix de l’alimentation dans les années à venir, les pays du Sud étant les plus affectés, selon une étude publiée le 21 mars dans la revue britannique Communications Earth and Environment.

Par Laura Icart, avec AFP

 

L’impact des conditions météorologiques sur l’inflation et, en particulier, les implications pour les risques d’inflation dans le cadre du changement climatique futur, « restent peu étudiés » estiment les auteurs de cette étude qui s’appuient sur plus de 27 000 observations d’indices mensuels des prix à la consommation dans le monde entier afin de quantifier l’impact des conditions climatiques sur l’inflation.

Une inflation des prix qui suit celle des températures

Des températures plus élevées augmentent l’inflation alimentaire et l’inflation globale de manière persistante sur 12 mois, tant dans les pays à revenus élevés que dans les pays à faibles revenus. Les effets varient d’une saison à l’autre et d’une région à l’autre en fonction des normes climatiques, avec des impacts supplémentaires dus à la variabilité quotidienne des températures et aux précipitations extrêmes. L’évaluation de ces résultats dans le cadre des augmentations de températures prévues pour 2035 implique des pressions à la hausse sur l’alimentation et l’inflation globale de 0,92-3,23 et 0,32-1,18 points de pourcentage par an respectivement en moyenne mondiale (plage d’incertitude entre les scénarios d’émission, les modèles climatiques et les spécifications empiriques). Les pressions sont plus importantes aux basses latitudes et présentent une forte saisonnalité aux hautes latitudes, avec un pic en été. Enfin, les chaleurs estivales extrêmes de 2022 ont augmenté l’inflation des denrées alimentaires en Europe de 0,43 à 0,93 point de pourcentage, ce que le réchauffement prévu pour 2035 amplifierait de 30 à 50 %.

Un impact variable en fonction de la géographie et de la saisonnalité

L’impact variera en fonction des saisons et des régions. Mais la hausse des températures prévue pour 2035 conduira à une augmentation moyenne des prix de l’alimentation de 1,49 % par an dans le meilleur scénario, ont calculé les auteurs de l’étude diffusée dans Communications Earth and Environment, une revue de la société d’éditions scientifiques Springer Nature. Dans le pire des scénarios, l’augmentation sera de 1,79 %.  L’effet sur l’inflation globale serait de respectivement 0,76 et 0,91 %. En comparant les données historiques sur les prix et sur les conditions climatiques de 121 pays entre 1996 et 2020, « nous avons trouvé des preuves solides que des températures plus élevées, en particulier en été et dans des régions chaudes, provoquent des augmentations de prix dans l’alimentation« , a résumé l’un des auteurs de l’étude, Maximilian Kotz, auprès de l’AFP. Les chercheurs de l’université de Potsdam en Allemagne et de la Banque centrale européenne ont ensuite extrapolé ces données en se basant sur les conditions climatiques prévues à l’avenir, entre 2035 et 2060. Ces dernières « entraîneront probablement des augmentations de l’inflation alimentaire et de l’inflation globale dans le monde entier, en particulier dans les régions qui sont déjà plus chaudes, donc dans l’hémisphère sud« , a indiqué Maximilian Kotz. L’Afrique et l’Amérique du Sud seront les continents les plus touchés. En ce qui concerne l’inflation alimentaire, ces impacts sont « relativement constants » d’une saison à l’autre aux basses latitudes, mais « varient considérablement » d’une saison à l’autre aux latitudes moyennes septentrionales où ils peuvent « être plus de deux fois plus importants en été qu’en hiver ». Dans l’hémisphère nord, la hausse des températures fera grimper les prix « surtout l’été ». Ces pressions saisonnières hétérogènes modifieraient le cycle saisonnier habituel de l’inflation alimentaire, « entraînant une amplification de la variabilité saisonnière » dans la majeure partie du sud de la planète et aux États-Unis, et « des réductions de la variabilité saisonnière » dans la majeure partie de l’Europe (à l’exception de l’Espagne) et aux latitudes septentrionales les plus élevées. Les chercheurs n’ont, en revanche, pas trouvé d’impact significatif du réchauffement climatique sur les autres composantes des dépenses des ménages, si ce n’est sur les prix de l’électricité. C’est assez « cohérent » avec les études montrant que « l’agriculture est particulièrement sensible aux impacts climatiques« , relève Maximilian Kotz.

Une nécessaire adaptation climatique pour lutter contre l’insécurité alimentaire en Afrique

Dans un article également publié dans la revue britannique, plusieurs chercheurs et universitaires tels que Obed M. Ogega, Lise Korsten, Peggy Oti-Boateng, Dorine Odongo et Jessica Thorn, expliquent « comment transformer le système alimentaire africain » en tenant compte du réchauffement climatique et de ses conséquences sur un continent où une personne sur cinq « était touchée par la faim en 2021 » et qui affiche « la plus forte prévalence de personnes sous-alimentées au monde ». Les chercheurs estiment que la résilience des systèmes alimentaires en Afrique doit inclure dès aujourd’hui l’adaptation climatique. « Environ 64 % des terres arables disponibles dans le monde se trouvent en Afrique, avec une main d’œuvre jeune et un éventail de pratiques agricoles traditionnelles et de technologies émergentes susceptibles de révolutionner la production et le commerce des denrées alimentaires. » Pourtant, l’insécurité alimentaire en Afrique n’a cessé d’augmenter, « passant de 15,5 % à 20,3 % entre 2010 et 2021 », avec une demande alimentaire qui ne cesse et ne cessera d’augmenter dans les années à venir. La population de l’Afrique subsaharienne devrait presque doubler d’ici 2050, pour atteindre environ 2,1 milliards de personnes. Les chercheurs proposent plusieurs pistes : développer des systèmes alimentaires et des pratiques d’agroforesterie urbaine en périphérie des villes, là où se concentre la majorité de population, mais aussi investir massivement dans la recherche et les nouvelles technologies pour favoriser l’adaptation et minimiser les inégalités sur un continent qui subit de plein fouet les effets du changement climatique.

Le réchauffement, facteur de pressions inflationnistes en Europe

Les auteurs de l’étude se sont aussi penchés plus spécifiquement sur l’impact de la vague de chaleur en Europe à l’été 2022. « Le changement climatique va amplifier l’ampleur de ces chaleurs extrêmes et donc leur impact potentiel sur l’inflation », souligne l’étude. L’extrême chaleur de l’été 2022 en Europe est un « exemple frappant » où la combinaison de la chaleur et de la sécheresse a eu des répercussions à grande échelle sur l’activité agricole et économique, qui ont probablement accentué « les pressions inflationnistes » sur le Vieux Continent, même si cela « reste difficile à évaluer » dans un contexte de crises multiples (crise énergétique, guerre en Ukraine, Covid-19). Pour autant, les auteurs estiment que cette vague de chaleur a probablement « fait grimper l’inflation alimentaire de 0,67 % et l’inflation globale de 0,34 %  » en Europe, avec un impact plus important dans le sud de l’Europe.