« Insuffisante, imprécise, incohérente » : la Cour des comptes pointe la politique de rénovation énergétique du gouvernement

En France, près de 80 % des rénovations aidées ne sont pas considérées comme performantes.

Publié le 04/11/2022

9 min

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Dans une note de référé rendue publique le 28 octobre et adressée à la Première ministre Élisabeth Borne, la Cour des comptes n’est pas tendre avec la politique gouvernementale de rénovation énergétique des bâtiments qu’elle juge « insuffisante », « imprécise », « difficilement compréhensible », voire « incohérente ». La Première ministre a fait valoir dans une réponse écrite datée du 27 octobre que le pilotage de la politique gouvernementale de rénovation s’était renforcée ces derniers mois avec notamment de nouveaux moyens alloués via le service France Rénov', permettant d’offrir "une information, un conseil et un accompagnement neutres et indépendants". Par Laura Icart    Outil majeur pour la mise en œuvre de la stratégie bas carbone de la France et pour parvenir à réduire  nos émissions de gaz à effet de serre, la politique de rénovation énergétique des bâtiments a fait l’objet en juillet d’un rapport sévère de la Cour des comptes qui l’a rendu publique à la fin du mois d’octobre. La Cour estime que les objectifs de la politique publique de rénovation énergétique des bâtiments restent « à préciser », les dispositifs « à clarifier » et certains freins « à lever ». La Première ministre estime de son côté que d’importants efforts ont déjà été réalisés pour simplifier et mutualiser les moyens, les dispositifs et les aides disponibles. Cependant, la cheffe du gouvernent reconnaît que des difficultés opérationnelles subsistent, notamment dans le fléchage des aides vers des travaux plus efficaces et vers les ménages les plus modestes. Une politique publique parfois « incohérente » En France, le bâtiment résidentiel et tertiaire  représente 27 % des émissions de CO2 et 45 % de la consommation d’énergie finale du pays, et si de multiples outils et dispositifs ont été mis en place depuis une décennie pour la rénovation thermique des logements, le rythme de rénovation et surtout la qualité de celle-ci sont régulièrement pointés du doigt par des association comme le Cler mais aussi le Haut conseil pour le climat. Une politique de rénovation qui a fait l’objet de multiples réformes et ajustements législatifs lors de cette dernière décennie qui vise d’ici 2050 la décarbonation du parc bâti aux normes "bâtiment basse consommation" (BBC). La Cour évalue « à plus de 7 milliards d’euros en 2021 hors plan de relance » le coût de la politique publique de rénovation et demande à ce qu’un suivi rigoureux des objectifs aux résultats soit effectué « afin de pouvoir mesurer la performance effective des investissements réalisés ». À l'issue de son enquête, la Cour constate « une cohérence insuffisante dans l’articulation » des politiques publiques de rénovation énergétique des bâtiments avec des axes et des objectifs qui parfois se télescopent sans pour autant répondre aux besoins escomptés. Les auteurs du rapport estiment que la notion même de rénovation énergétique « reste imprécise », alors que cette définition avait fait l’objet d’un âpre débat lors de l’adoption de la loi du 22 août 2021 luttant contre le dérèglement climatique et pour un renforcement de la résilience face à ses effets. Une définition trop « fourre-tout » selon la Cour qui a conduit à multiplier les dispositifs « qui ont fini par nuire à leur lisibilité ». « D’une part, les dispositifs ne couvrent pas toujours les mêmes gestes, s’agissant notamment du taux réduit de TVA pour les travaux de rénovation relativement aux subventions directes. D’autre part, les règles de cumul ont évolué et ne sont ni stabilisées, ni aisément compréhensibles pour les usagers » précise le rapport. Un pilotage « resserré » Il manque à la politique de rénovation énergétique des bâtiments « un pilotage fort et efficace » et un service public de l’accompagnement « efficient » sur l’ensemble du territoire national note le rapport. La Cour souligne que la rénovation fait appel à une multitude de parties prenantes et d’acteurs. Entre les directions ministérielles directement concernées, en l’occurrence la direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP) et la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), celle concernée par un pendant seulement de la rénovation, par exemple pour les bâtiments tertiaires publiques, la direction de l’immobilier de l’État (DIE) mais aussi les collectivités territoriales qui gèrent leur parc bâti et qui peuvent également accompagner les ménages, les entreprises du bâtiment et les opérateurs auxquels l’État a recours pour déployer les dispositifs sur le terrain, l’articulation devient complexe. Elle pointe notamment des "incohérences" entre administrations, comme par exemple "les règles d'urbanisme" qui conduisent les services déconcentrés du ministère de la Culture ou certaines collectivités territoriales à "interdire les travaux de rénovation énergétique dans les centres-villes ou aux abords des monuments historiques". Un accompagnement « renforcé » L’accompagnement des bénéficiaires doit être grandement « renforcé » selon la Cour. En France, c’est principalement l’Agence nationale de l’habitat (Anah) qui gère la rénovation énergétique des logements, notamment via la gestion de ma Ma prime rénov’. Depuis le 1er janvier 2022, un point d’entrée unique rassemble le réseau Faire, autrefois géré par l’Agence de transition énergétique (Ademe) et le réseau de l’Anah, devenus des espaces conseil France rénov’ dont la gestion revient aux collectivités. Un guichet  unique qui « n’a pas encore permis de clarifier les rôles et les missions des différentes structures » note le rapport qui ajoute « qu’il s’agit davantage d’un annuaire des plateformes que d’une harmonisation des services proposés". Le déploiement du service unique de la rénovation a permis de mettre en place "1 800 conseillers France Renov', répartis dans plus de 500 espaces conseil qui accueillent nos concitoyens partout sur le territoire national pour répondre à leurs questions et les aider dans leurs projets" a souligné la Première ministre tout en reconnaissant que « des efforts doivent encore être réalisés afin de poursuivre la simplification du cumul des aides entre elles, et consolider la cohérence du système dans son ensemble autour des aides à l'investissement axées vers les travaux les plus efficaces et privilégiant les ménages les plus modestes". Pourtant, à peine mise en place les espaces France Rénov’ sont déjà en surchauffe alertait le Cler-Réseau pour la transition énergétique en septembre qui réclame une programmation pluriannuelle de la rénovation  donnant plus de visibilité et de moyens aux acteurs de terrain, notamment les conseillers France Renov’. Mesurer « rigoureusement » l’efficacité Pour la Cour des comptes, l'efficacité de cette politique, « aux lourds enjeux financiers » doit être « rigoureusement » mesurée. Or la Cour estime que ce suivi est « limité » malgré l’importance des deniers publics engagés. La Cour estime à plus de 7 milliards en 2021 le coût de la politique de rénovation en prenant en compte outre les dépenses publiques en partie sous-évaluées – notamment les aides des collectivités territoriales –,  le financement par les certificats d’économie d’énergie principalement assuré par les fournisseurs d’énergie dont le coût sur le consommateur final. À cela s’ajoute une enveloppe de 6,3 milliards d'euros allouée à la rénovation énergétique, dans le cadre du plan de relance pour le rénovation énergétique des bâtiments sur les deux années 2021 et 2022. Soit plus de 12 milliards sur deux ans qui ne font pas l’objet d’une évaluation détaillée et étayée. La Cour souligne également la difficulté d’accéder à des données fiables qui, la plupart du temps, s’avèrent de toute façon indisponibles. « Peu d’aides sont attribuées au vu d’un audit permettant de connaître la performance énergétique du bâtiment avant rénovation » souligne les auteurs du rapport. Une situation qui conduit « majoritairement » à  la réalisation de gestes de travaux, soit uniques (« rénovation mono-geste »), soit par bouquet, mais sans effet avéré sur la performance énergétique des logements. En France, près de 80 % des rénovations aidées ne sont pas considérées comme performantes. Le gap a passer est très important. C’est bien ce que pointe du doigt la Cour qui considère que les aides financières à la rénovation énergétique des bâtiments sont conçues « à partir d’un objectif de massification plutôt que de performance des rénovations ». Si les objectifs globaux sont ambitieux, les résultats sont « limités » souligne la Cour qui s’inquiète qu’il faille dépenser beaucoup plus d’argent dans les années à venir pour atteindre nos objectifs climatiques dans un politique qui quantifie à l’heure actuelle sa réussite « par le nombre de logements rénovés et les dépenses publiques consenties » alors qu’il faudrait davantage « raisonner en quantités d’énergie économisée et d’émissions de gaz à effet de serre évitées ». Crédit : Shutterstock.

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