« Il faut intégrer la décarbonation à une vraie stratégie économique »

Interview
30/06/2025
17 min

Raphaël Trotignon, responsable du pôle énergie-climat à l’institut d’études économiques Rexecode, revient pour Gaz d’aujourd’hui sur les impensés de la stratégie européenne en matière de transition énergétique et plaide pour une refondation plus compétitive et géostratégique.
Propos recueillis par Laura Icart

Vous soulignez dans vos travaux que la crise énergétique actuelle révèle des problèmes plus anciens. Quelles sont selon vous les racines de ces difficultés ?

Ce qu’on observe aujourd’hui, ce sont des symptômes de déséquilibres structurels plus profonds. Ces tensions ne sont pas nouvelles, mais elles remontent à la surface parce que le contexte géopolitique et climatique a changé. L’Europe fonctionne encore, d’une certaine manière, avec une vision des années 1990. Une vision dans laquelle elle se pense comme le centre de responsabilité du changement climatique, avec l’idée que, parce que nous sommes des pays développés, nous avons une dette climatique à assumer. Cette logique nous a conduits à faire de la décarbonation un devoir moral, plutôt qu’un levier stratégique.

À propos de la compétitivité mondiale, certaines voix s’élèvent pour dire que l’Europe est trop ambitieuse en matière de climat ?

Je ne pense pas que l’Europe soit trop ambitieuse, mais plutôt qu'elle a mal conçu la réalisation de ses objectifs. Depuis l'accord de Paris, l’objectif est mondial : réduire les émissions à l’échelle globale, pas seulement à l’échelle de chaque pays. Certes, l’Europe doit contribuer, mais elle doit aussi prendre en compte les contributions des autres pays. Il est essentiel de reconnaître que la Chine, par exemple, tout en étant le plus grand émetteur de CO₂, joue un rôle central dans la fourniture de solutions industrielles pour le climat. Si l'on considère les solutions qu’elle exporte, notamment dans le solaire ou les véhicules électriques, la Chine contribue peut-être davantage à la décarbonation mondiale que l’Europe.

Justement, vous insistez beaucoup sur le rôle central de la Chine dans la décarbonation mondiale ?

C’est sans doute le fait le plus marquant des 30 dernières années. Contrairement à ce qu’on pense souvent, la plus grande contribution à la baisse des émissions mondiales ne vient pas de l’Europe. Elle vient de la Chine et ce, même si ses émissions domestiques continuent d’augmenter. Ce paradoxe s’explique par une stratégie industrielle de grande ampleur : la Chine est devenue l’usine de la transition mondiale. Elle exporte les technologies bas carbone – panneaux solaires, batteries, éoliennes – tout en assurant sa propre montée en gamme. C’est une stratégie économique, industrielle et géostratégique. Et l’Europe a joué, bien involontairement, un rôle d’auxiliaire en sécurisant ce modèle.

En somme, l’Europe a déployé les solutions sans en tirer les bénéfices ?

Exactement. Nous avons été la zone de mise en œuvre, pas celle de la capture de valeur. L’un des enjeux que nous...

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