Émissions de gaz à effet de serre : la baisse en 2025 sera plus liée à la crise qu’à la décarbonation, selon l’Insee

GES
19/06/2025
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Malgré une dynamique nationale de réduction des émissions de gaz à effet de serre, le rythme de baisse a ralenti l’année dernière et l’année 2025 ne devrait pas être différente prédit l’Insee. En 2025, les émissions de gaz à effet de serre (GES) devraient reculer de 1,3 %, soit une baisse d’environ 5,3 millions de tonnes équivalent CO₂ (MtCO₂e). Un recul avant tout porté par un essoufflement industriel plus que par des gains structurels de décarbonation.

Par la rédaction, avec AFP

Selon l’Institut national de la statistique, les émissions en 2025 pourraient baisser « d’environ 1 %« , soit loin du rythme de – 5 % par an nécessaire pour que la France tienne ses objectifs climatiques. De plus, « cette baisse s’expliquerait essentiellement par la conjoncture dégradée des industries émettrices (chimie, métallurgie, fabrication de ciment, etc.) », les plus gourmandes en énergie, écrit l’Insee. « Le climat des affaires dans ces branches d’activité demeure très dégradé (…) notamment parce que les industries énergo-intensives européennes continuent de pâtir d’un prix relatif de l’énergie toujours défavorable« , explique l’institut, qui a par ailleurs annoncé une prévision de croissance ralentie en 2025 à 0,6 %.

Un recul des émissions avant tout conjoncturel

Selon les dernières estimations issues de la note de conjoncture publiée le 18 juin, les émissions de gaz à effet de serre de la France au format des comptes d’émissions dans l’air (AEA) atteindraient environ 394,5 MtCO₂e cette année, contre 399,8 MtCO₂e en 2024, soit une baisse de 1,3 %. Ce recul intervient dans un contexte de stagnation économique persistante, notamment dans les secteurs industriels intensifs en énergie — la chimie, la métallurgie ou encore la production de ciment. La corrélation entre conjoncture et émissions, bien que désormais atténuée grâce à la décarbonation progressive de l’économie française, « demeure structurellement forte » indique l’Insee. La baisse anticipée des émissions pour 2025 repose donc moins sur des transformations profondes des procédés de production que sur la faiblesse de l’activité dans les branches industrielles les plus polluantes. À elle seule, l’industrie manufacturière serait responsable de – 0,8 % de la baisse totale des émissions en 2025. Dans ce secteur, la baisse des émissions atteindrait – 4,3 %, reflet d’un climat des affaires toujours dégradé dans les filières énergo-intensives.

L’effet d’entraînement du secteur énergétique s’épuise

Contrairement aux deux années précédentes, le secteur de l’énergie ne contribuera que marginalement à la réduction des émissions cette année. En 2023 puis en 2024, la baisse spectaculaire de la production d’électricité fossile (- 40 %, puis – 46 %) avait permis une réduction significative des émissions nationales. « Cette dynamique est désormais arrivée à son terme » estime l’Insee. En 2025, la production nucléaire, qui avait retrouvé des niveaux élevés grâce à la remise en service de nombreux réacteurs en 2023-2024, se stabilise sans nouvelle progression. En parallèle, la production à base de charbon, de gaz ou de fioul plafonne désormais à un plancher historique. « Les gains potentiels de ce levier sont donc limités à très court terme » souligne la note.

Des ménages aux émissions stables

Les émissions directes des ménages resteraient globalement inchangées cette année. D’un côté, la réduction progressive de l’usage du fioul domestique, conjuguée à des températures hivernales proches des normales saisonnières, entraînera une baisse des émissions liées au chauffage (- 1,9 %). De l’autre, la consommation de carburants repart à la hausse au printemps, portée par un repli des prix à la pompe entre avril et mai. Résultat : les émissions liées aux déplacements automobiles des ménages augmenteraient de 0,9 %. La stabilité globale de ce poste — qui représente près du quart des émissions nationales — souligne la difficulté d’infléchir significativement les comportements individuels en matière de mobilité, malgré des incitations de plus en plus ciblées (bonus écologique, aides à la conversion, etc.). Selon l’Insee, la pollution carbone de la France a représenté en 2024 « environ 400 millions de tonne en équivalent CO₂ (MtCO₂e), en diminution de 0,9 % par rapport à 2023« . C’est plus que l’estimation de 366 MtCO₂e faite par le Citepa, l’organisme chargé du bilan carbone officiel de la France. Ce dernier ne prend toutefois en compte que les émissions territoriales alors que la méthode de l’Insee comptabilise les émissions internationales, importantes, des compagnies aériennes et maritimes françaises.

Une tendance à la stagnation

Le secteur du transport, qui représentait environ 15 % des émissions au format AEA en 2024, connaît une évolution contrastée. Tandis que les émissions liées au transport aérien résidentiel poursuivent leur redressement (+ 3 % en 2025), elles demeurent encore en deçà de leur niveau pré-Covid. À l’inverse, le transport terrestre de marchandises recule, affecté par une demande industrielle atone. Le total des émissions du secteur stagne ainsi autour de 60 MtCO₂e, freinant la baisse globale. Cette stagnation contraste avec les efforts engagés pour électrifier les flottes, développer le ferroviaire ou favoriser les mobilités douces. « À ce jour, ces dynamiques enclenchées ne suffisent pas à inverser significativement la tendance » dans un secteur fortement soumis à la capacité des ménages à pouvoir économiquement modifier leurs habitudes. L’agriculture resterait stable en 2025, ses émissions représentant toujours près de 19 % du total. Malgré des efforts pour réduire les intrants azotés ou améliorer les pratiques d’élevage, les gains restent lents à produire des effets mesurables à court terme. Du côté des services, les émissions restent également contenues et leur contribution à l’évolution nationale est marginale. Mais, à long terme, la décarbonation de ce pan de l’économie — via le numérique, les bâtiments basse consommation ou la sobriété énergétique — reste un enjeu de transformation profonde.

Avec – 1,3 % de baisse prévue en 2025, la France reste loin du rythme cible défini dans le projet de troisième stratégie nationale bas carbone (SNBC3), qui requiert des réductions de l’ordre de 5 % par an pour atteindre les objectifs fixés à horizon 2030. Et s’il y a bien une baisse significative ces dernières années, elle est aussi et « surtout » selon l’Insee depuis 2020 due pour « une large part de chocs exogènes (crise sanitaire, crise énergétique post-Ukraine) plutôt qu’à des réformes structurelles profondes ».

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