Climat : le carbone dans le viseur de l’UE à Amiens

Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, recevra jusqu'à samedi ses homologues européens de l’Environnement et de l’Energie alors que la France a pris la présidence de l'UE le 1er janvier.

Publié le 20/01/2022

7 min

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Durant trois jour, ministres de l’Environnement et de l’Énergie de l’UE se succèderont à Amiens, fief de la ministre française de la Transition écologique Barbara Pompili, pour évoquer les priorités climatiques que la France souhaite donner à cette présidence tournante du Conseil de l’Union européenne. Au programme : prix de l’énergie, taxe carbone aux frontières, lutte contre la déforestation importée, développement des renouvelables, efficacité énergétique, transition juste, seront parmi les thématiques abordées alors qu’aucune décision officielle ne devrait être annoncée à l’issue de ces réunions informelles. Paris veut surtout profiter de ce temps d’échanges pour faire avancer les négociations sur plusieurs enjeux clés de sa présidence.

Par la rédaction, avec AFP

 

Réunis autour de Barbara Pompili, les 46 ministres représentants des Vingt-Sept vont plancher ces deux prochains jours sur plusieurs textes de l’ambitieux plan climat présenté mi-juillet par Bruxelles pour réduire de 55 % d’ici 2030 les émissions carbones de l’UE par rapport à 1990. Cet objectif, défini « par le plus important paquet climatique de l’histoire de l’Union européenne » précisait mardi l’entourage de la ministre française, impose à l’UE de considérablement accélérer sur la décarbonation de ses usages, dans une Europe fragilisée par la crise des prix de l’énergie, avec le risque accru de voir la précarité énergétique impacter encore davantage de foyers européens. Les ministres seront invités à s’interroger sur l’acceptabilité sociale de cette transition et sa soutenabilité. Autre concept étroitement lié à la transition : celui l’efficacité énergétique. L’articulation de ce concept avec les autres politiques nationales et européennes de lutte contre le réchauffement climatique « sera au cœur des échanges entre les ministres, qu’il s’agisse de lutte contre la précarité, de sécurité d’approvisionnement, d’innovation ou de compétitivité » a souligné l’entourage de Barbara Pompili. 

Taxe carbone : l’objectif principal (et atteignable) de Paris

Le 10 mars dernier, le Parlement européen approuvait une résolution sur un mécanisme européen d’ajustement aux frontières pour le carbone, qui était déjà fortement « poussé » par Paris. Sans surprise, la France veut donc profiter de sa présidence pour accélérer l’établissement d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. L’objectif est de taxer certaines importations (acier, aluminium, ciment, engrais, électricité) au prix du marché carbone européen, selon les émissions liées à leur production. « C’est la puissance du marché européen : si vous voulez y entrer, vous devez respecter les mêmes règles », a déclaré Barbara Pompili mercredi sur Sud-Radio. Pour ne pas enfreindre les principes de l’Organisation mondiale du commerce, la Commission propose parallèlement de supprimer les quotas d’émissions gratuits jusqu’ici alloués aux industriels européens pour leur permettre d’affronter la concurrence de pays tiers, au risque de renchérir les coûts de production en Europe s’alarment nombre d’États et d’eurodéputés. « Espagne, Portugal, Pologne et Autriche réclament le maintien des quotas gratuits. Et la taxe carbone pose des questions compliquées : qui collecte l’argent ? Où va-t-il ? », souligne un diplomate européen. Paris entend construire un consensus entre les Vingt-Sept, base de futures négociations avec le Parlement européen. « La difficulté n’est plus sur le principe mais sur le timing de décroissance des quotas gratuits », veut croire l’entourage de Mme Pompili, sur ce texte dépendant des ministres de l’Économie mais touchant étroitement aux dossiers environnementaux. En avril, la Commission estimait que ce mécanisme pourrait lui rapporter entre 5 et 14 milliards d’euros par an et permettra de corréler concrètement stratégie industrielle et environnementale. Invité sur France Info mardi 18 janvier, le secrétaire d’État aux Affaires européennes Clément Beaune a dit espérer « un accord politique sous la présidence française » et envisager une entrée en vigueur « en 2025 ».

Lutter contre la déforestation importée 

Autre projet phare d’Emmanuel Macron : l’élaboration d’un instrument de lutte contre la « déforestation importée », pour éviter que les importations européennes de bois, d’huile de palme ou de soja ne contribuent au défrichage de forêts. Deuxième puits de carbone au monde après les océans, la forêt assure des fonctions majeures dans la régulation climatique, la biodiversité et la qualité de l’eau et des sols. Pourtant, 420 millions d’hectares de forêt ont disparu à l’échelle mondiale depuis 1990, selon un rapport de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Le 17 novembre, la Commission a présenté un projet de règlement pour lutter contre la déforestation importée. Une nécessité alors que l’UE serait responsable de 10 % de la déforestation mondiale selon la Commission et de plus de 16 % selon une étude du WWF publiée en avril 2021, ce qui fait d’elle le deuxième importateur mondial de déforestation tropicale derrière la Chine et devant les États-Unis. La France a déjà fait un premier pas dans ce domaine puisqu’elle a adopté il y a plus de trois ans la stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée pour mettre fin en 2030 « à l’importation de produits forestiers ou agricoles non durables contribuant à la déforestation dans les filières de cacao, hévéa, soja, huile de palme, bois et ses produits dérivés, et bœuf et co-produits ». Emmanuel Macron l’a répété hier devant le Parlement à Strasbourg : faire avancer ce texte est une priorité alors que Paris n’exclut pas de le rendre « plus ambitieux ». Le tour de table d’Amiens permettra d’« avoir une vision claire des enjeux politiques » et futurs nœuds des négociations, souligne-t-on au ministère de la Transition écologique. Alors que les ONG espèrent un durcissement du texte initial, regrettant qu’il ne s’applique pas à certains produits (maïs, caoutchouc) ni à d’autres écosystèmes menacés (zones humides, savanes). 

L’extension du marché du carbone (ETS) divise les capitales européennes

Les ministres devraient par ailleurs réitérer leurs réticences sur le projet d’étendre le marché carbone européen : après les industriels et énergéticiens, les fournisseurs de carburant routier et de fioul domestique pourraient être contraints d’acheter des quotas d’émissions dès 2025, au risque de répercuter le surcoût sur les consommateurs. Cette proposition controversée de la Commission est dénoncée vigoureusement par une partie des États, inquiets de l’impact pour les ménages précaires en dépit d’un possible fonds solidaire européen. « La France a exprimé ses vives inquiétudes sur l’acceptabilité sociale (…). On a connu les gilets jaunes, on sait que la transition doit prendre en compte les intérêts des populations et des différents États », plaide l’entourage de Mme Pompili, assurant chercher « un compromis ». Ce projet, qui sera défendu à Amiens par le vice-président de la Commission Frans Timmermans, apparaît cependant fragilisé par l’actuelle flambée des prix du gaz, qui dominera les discussions des ministres de l’Énergie. Alors que les cours de l’électricité sur le marché de gros européen s’alignent mécaniquement sur ceux du gaz, Paris réclame un « découplage » et la réforme d’un mécanisme jugé « obsolète » qui diluerait l’effet des coûts bas du nucléaire. Or, de fortes divergences persistent : une dizaine d’États, Allemagne en tête, s’opposent farouchement à toute réforme du marché de l’électricité, expliquant la crise par des « facteurs mondiaux » conjoncturels, tandis que Pologne et Hongrie accusent le prix du CO2 et les règles environnementales de renchérir les coûts de l’énergie.