CEE, CPB… Une nouvelle poudrière politique?

Politiques énergétiques
03/12/2025
14 min
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Sujet ultra politisé depuis plusieurs mois, la question énergétique, et plus précisément celle des prix de l’énergie, se réinvite dans le débat public où il n’est cette fois pas question de programmation pluriannuelle de l’énergie mais de plusieurs dispositifs utilisés par le gouvernement pour accompagner la transition énergétique. Au cœur de la polémique, le Rassemblement national (RN) qui dénonce le coût jugé « disproportionné » que représenteraient les certificats d’économies d’énergie (CEE) et les certificats de production de biogaz (CPB) sur la facture énergétique des Français. Si ces dispositifs auront effectivement un impact sur la facture dès l’année prochaine, ils financent avant tout des projets de rénovation et de décarbonation, avec des bénéfices visibles à long terme, rappelle notamment le gouvernement. Ambiance.

Par Laura Icart

Depuis quelques jours, la question des prix de l’énergie et à travers elle des factures énergétiques revient en force sur la scène politico-médiatique. Le Premier ministre a annoncé la semaine dernière que son gouvernement ferait « avant Noël » des propositions pour faire baisser la facture d’électricité des Français. Dans le même temps, le député RN de la Somme Jean-Philippe Tanguy a écrit fin novembre à Sébastien Lecornu pour l’alerter de l’impact financier qu’allaient avoir plusieurs mécanismes, les CEE, les CPB mais également l’ETS 2 dont la mise en œuvre devrait être repoussée au 1er janvier 2028, sur la facture des Français. Le RN, qui a fait de l’énergie un sujet moteur pour notamment dénoncer « la perte du pouvoir d’achat des Français », alors que près de 36 % des ménages français déclarent avoir rencontré des difficultés pour payer leurs factures en 2024 selon le médiateur national de l’énergie, sous-entend que ces mécanismes réajustés pour les CEE et nouvellement mis en œuvre pour les CPB « vont faire flamber la facture », chiffres à l’appui.

CEE, CPB, késako ?

Les CEE obligent les fournisseurs d’énergie — électricité, gaz, carburants, chaleur — à financer des économies d’énergie chez les consommateurs. Cette obligation a fait émerger un marché dynamique, où s’échangent chaque année plusieurs centaines de TWh cumac. Les entreprises doivent soit acheter des certificats à d’autres acteurs, soit financer des travaux d’économies d’énergie chez les particuliers (isolation, chauffage performant, rénovations globales). Le décret relatif à la sixième période des certificats d’économies d’énergie définit les nouvelles obligations pour la période allant du 1er janvier 2026 au 31 décembre 2030 en fixant un objectif d’économies d’énergie fixé à 1 050 TWh cumac par an, en augmentation de 27 % par rapport à la période 2023-2025, il a été publié début novembre. Une hausse des obligations qui permettra de mobiliser davantage d’argent privé (8 milliards contre 6 milliards en 2025) pour financer le transfert de politiques publiques telles que le leasing social, Ma prime renov’ et le bonus écologique vers les CEE.

En juillet 2024, le décret relatif à l’obligation de restitution des CPB et son arrêté d’application ont été publiés au Journal officiel, fixant le volume cumulé d’obligation à atteindre à 0,8 TWh en 2026, à 3,1 TWh en 2027 et à 6,5 TWh en 2028. Concrètement, les fournisseurs d’énergie commercialisant du gaz aux consommateurs seront désormais tenus de restituer chaque année des certificats de production de biogaz (CPB) à l’État, en fonction des volumes de gaz qu’ils mettent sur le marché. Pour s’acquitter de cette obligation, ils auront la possibilité soit d’acheter ces certificats auprès des producteurs de biométhane, soit de produire eux-mêmes du gaz renouvelable et de générer ainsi leurs propres certificats. Les fournisseurs défaillants, ne remplissant pas leur quota de CPB, s’exposeront à une pénalité financière. Pour chaque MWh de biogaz injecté dans le réseau, les producteurs pourront obtenir un CPB, qu’ils pourront ensuite vendre aux fournisseurs assujettis à l’obligation de restitution. Pour les producteurs de gaz naturel également fournisseurs, ces certificats permettront de répondre directement à leur obligation de restitution, contribuant ainsi à stimuler le développement de la production du biométhane en France, indépendamment du soutien public.

Les CEE dans le viseur du RN

« Alors que des millions de nos compatriotes n’arrivent plus à joindre les deux bouts, le Premier ministre va augmenter la taxe sur le carburant, le fioul, le gaz et l’électricité à partir du 1er janvier 2026 », a dégainé le 27 novembre Jordan Bardella sur le réseau social X, mettant au grill un dispositif technique, particulièrement méconnu du grand public, les CEE. Le RN, en attaquant la mise en œuvre de ce mécanisme, accuse l’État de maintenir une pression fiscale sur les ménages sans réel bénéfice tangible, et dénonce les coûts supposés associés à la transition énergétique, notamment l’augmentation des prix de l’énergie pour les consommateurs. Face à ces critiques, le gouvernement affirme que le système des CEE est un levier essentiel pour encourager les économies d’énergie à l’échelle nationale, tout en favorisant l’atteinte des objectifs de neutralité carbone. Loin d’être « une taxe supplémentaire », les CEE visent à « orienter l’investissement vers des projets de rénovation énergétique, avec un impact positif à long terme sur le pouvoir d’achat des ménages » a rappelé l’entourage de la ministre Monique Barbut. Les CEE sont « l’un des rares dispositifs qui créent simultanément de l’emploi, de la croissance et des économies d’énergie » soulignent plusieurs acteurs du bâtiment comme la Capeb ou la FFB. Pourquoi une augmentation au 1er janvier 2026 ? L’entrée en vigueur de la sixième période et ce nouveau niveau d’obligation créent pour les fournisseurs une hausse mécanique des prix. « Libre à eux de le reporter ou non sur la facture» rappelle le gouvernement, en réponse notamment à la polémique sur le prix du carburant. Mais cette perspective inquiète certains professionnels du secteur. “Le dispositif a atteint ses limites. On lui demande de financer la décarbonation, alors qu’il n’a pas été conçu pour cela”, confie un acteur. Les défenseurs du dispositif insistent sur son efficacité : sans les CEE, la France n’aurait jamais atteint certains de ses objectifs d’efficacité énergétique. « Le dispositif des CEE permet une réduction significative des consommations énergétiques permettant d’aller vers davantage de sobriété énergétique » rappelle dans un communiqué le député Renaissance du Rhône et président du Conseil supérieur de l’énergie, Jean-Luc Fugit. Néanmoins, selon la Cour des comptes, le dispositif souffre d’un manque de contrôle sur l’éligibilité des opérations et sur la qualité des travaux financés. Certaines pratiques, comme la création de dossiers fictifs ou la surévaluation des économies d’énergie, ont terni la crédibilité du système. La Cour critique également une complexité administrative croissante qui freine les bénéficiaires légitimes et une efficacité environnementale inégale, certains travaux financés n’ayant qu’un impact marginal sur la consommation réelle d’énergie. Pour « renforcer le contrôle et la transparence des CEE nous avons plusieurs leviers à disposition » nous indique Jean-Luc Fugit évoquant  » des dispositions » prises dans le cadre de la loi contre toutes les fraudes aux aides publiques adoptée en juin ou la remise annuelle d’un rapport au Parlement pour évaluer les soutiens alloués aux politiques énergétiques auparavant financées par le budget de l’État et désormais transférées vers les CEE. « Un amendement que j’ai fait adopter dans le cadre du projet de loi de finances 2026 » nous précise t-il.

Les CPB, un booster pour la production de biométhane

« Les CPB ne sont pas un impôt supplémentaire, mais un instrument de financement de la production de biométhane. Les producteurs de biogaz, pour chaque mégawattheure de biométhane injecté dans le réseau, obtiennent un CPB qu’ils peuvent revendre, créant ainsi une incitation à développer la production de gaz renouvelable » rappelle un acteur gazier en réponse au début de polémique lancée hier sur le réseau X par le RN. « Voici encore une bombe à retardement macroniste contre le pouvoir d’achat des Français au 1er janvier 2026 » a tweeté le 2 décembre Jean-Philippe Tanguy, évoquant le dispositif des CPB qui doit entrer en vigueur au 1er janvier prochain.  » Comme sur les CEE, le RN joue l’amnésie sur les certificats de production de biogaz » lui a répondu également sur X, le ministre délégué auprès de la ministre de la Transition écologique Mathieu Lefèvre, évoquant un mécanisme inscrit dans la loi depuis 2021 et un décret publié en juillet 2024. « Après la hausse de 2 milliards de CEE débusquée par le RN, ces CPB coûteront des centaines de millions puis 5 milliards d’euros en 2028 » écrit l’élu de la Somme qui évoque une délibération de la Commission de régulation de l’énergie de 2023 pour sourcer ce montant. Un chiffre que beaucoup d’acteurs disent « ne pas comprendre » après avoir « fait des calculs dans tous les sens ». Dans cette même délibération sur laquelle s’appuie le député du RN, le régulateur calculait que pour 14 MWh par an, la consommation moyenne d’un client résidentiel chauffé au gaz en France, la facture annuelle se trouverait impactée de 8 euros TTC supplémentaires en 2026, 36 euros en 2027 et 79 euros TTC en 2028. Concrètement, en tenant compte des hypothèses retenues dans la dernière délibération de la CRE, soit un volume cumulé d’obligation à atteindre à 0,8 TWh en 2026, à 3,1 TWh en 2027 et à 6,5 TWh en 2028 et un volume de consommation des obligés CPB estimé par la CRE à 170 TWh (pour rappel seuls les consommateurs résidentiel et tertiaires, qui représentent environ 50 % de la consommation globale, se verront répercuté le surcoût lié au dispositif CPB ), la hausse serait en réalité plus proche des 4 euros du MWh en 2028 selon nos calculs pour un consommateur résidentiel ,soit une augmentation de sa facture de gaz d’environ 56 euros par an. En 2026, ce surcoût ne devrait pas excéder quelques euros par an.

La fin du monde vs la fin du mois ?

Au cœur de cette nouvelle polémique se trouve finalement la question du financement de la transition énergétique : qui doit en porter les coûts ? Aux postures politiciennes et court-termistes, plusieurs acteurs évoquent l’importance d’avoir une vision à long terme des politiques publiques qui financent la transition énergétique dans notre pays, qu’il s’agisse des CEE, des CPB ou encore du futur ETS 2. « Au cumul, ces nouveaux mécanismes de financement risquent effectivement de faire grimper les factures d’énergie à court terme » reconnaît Etienne Charbit, responsable des politiques publiques européennes au Cler, mais pour l’organisme « ce n’est pas les mécanismes qu’il faut remettre en cause » car ils seront parmi les principaux leviers pour que la France atteigne ses objectifs climatiques. Ce sont les mesures d’accompagnement jugées « largement insuffisantes » qu’il faut revoir. En réponse aux critiques du RN, les professionnels de la filière rappellent que dispositif permettra de réduire « structurellement » les factures des ménages en rénovant leur logement, et qu’il soutient un tissu industriel et artisanal clé pour la transition énergétique. En effet, l’écosystème des CEE joue un rôle important dans la dynamique d’emplois, particulièrement dans le secteur de la rénovation énergétique. Entre 60 000 à 80 000 emplois équivalent temps plein seraient directement liés aux opérations financées par les CEE, indiquent plusieurs fédérations professionnelles, soit « une part significative de l’activité des artisans du bâtiment », notamment dans l’isolation, la plomberie-chauffage et la maintenance. Les acteurs du bâtiment affirment d’ailleurs que sans les CEE, de nombreuses entreprises verraient leur carnet de commandes « amputé de 20 à 30 % ». Pour les certificats de production de biogaz, la mécanique est complétement différente des CEE, en effet « c’est un dispositif concret et direct de financement de la production de biogaz : 1 CPB = 1 MWh de biométhane produit et injecté dans le réseau français » rappelle d’emblée à Gaz d’aujourd’hui le représentant de la filière gazière française, France gaz, il répond lui aussi à une ambition de long terme, celle de substituer du gaz fossile importé à une production renouvelable locale et souveraine.  » Valoriser les effluents agricoles, réduire les émissions et renforcer l’autonomie énergétique des exploitations : les CPB, c’est concret » a également réagit Mathieu Lefèvre. « Le dispositif CPB permettra de financer une production locale additionnelle de près de 7 TWh de biométhane dès 2028 » précise France gaz, également « d’éviter 1,3 million de tonnes de COémise dans l’atmosphère ». Au-delà d’une production énergétique davantage souveraine, « c’est aussi de nombreux emplois et des retombées économiques importantes pour nos territoires » insiste le syndicat. En effet, une étude publiée en janvier 2025 par le cabinet Xerfi pour le compte de France gaz soulignait que 85 % de la valeur ajoutée de la filière biométhane composée de grands groupes énergétiques et de centaines de TPE-PME « en plein essor » restait sur le sol national.

Si les CEE ou les CPB ne feront pas flamber la facture comme le dit le RN, ces mécanismes vont légèrement renchérir le prix de l’électricité, du gaz et du litre de carburant dès 2026. C’est « un débat politique, économique, stratégique, voire social » reconnaît volontiers un ancien conseiller ministériel, évoquant  » un équilibre complexe à trouver entre le court terme et le long terme ». Pas simple néanmoins à comprendre pour les Français alors que l’énergie est devenue le troisième poste de dépenses des ménages derrière le logement et la nourriture.

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