Projet de loi de finances 2026 : plus de 1,7 million de ménages français privés du chèque énergie ?

Précarité
06/11/2025
7 min
Dans le cadre des discussions du PLF 2026, la FNCRR et le CNAFAL demande une revalorisation à hauteur des crédits affectés au chèque énergie en 2024 et une nécessaire adaptation des critères d’attribution du chèque pour qu’il n’y ait pas de « trous dans la raquette .» ©Shutterstock

La réforme du chèque énergie, entrée en vigueur à l’automne 2025, pourrait entraîner une chute sans précédent du nombre de bénéficiaires. Selon les estimations croisées de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) et du Conseil national des associations familiales laïques (Cnafal), « près de 30 % des foyers » jusqu’ici éligibles pourraient perdre cette aide, soit plus de 1,7 million de ménages. Ils appellent conjointement à un retour au niveau du budget 2024 et à une revalorisation automatique du montant du chèque.

Par Laura Icart

Créé en 2018 pour soutenir les foyers modestes face au coût croissant de l’énergie, le chèque énergie bénéficiait en 2024 à plus de 5,7 millions de ménages. Mais la réforme 2025 a profondément modifié ses modalités d’attribution : la notion de ménage a été remplacée par celle de foyer fiscal, et l’automaticité du versement n’est plus garantie pour tous. Désormais, seuls les foyers identifiés automatiquement par l’administration recevront leur chèque sans démarche. Les autres devront en faire la demande via un guichet en ligne ou par courrier – une complexité qui risque d’exclure de nombreux bénéficiaires potentiels. « Nous avions alerté dès juin sur une désoptimisation du dispositif », rappelle Françoise Thiébault, coordinatrice du secteur énergie au Cnafal. « Aucune de nos propositions d’adaptation n’a été retenue. Nous allons vers un recul net de la protection des ménages les plus fragiles. »

3,8 millions de bénéficiaires identifiés, contre 5,7 millions en 2024

Au 15 octobre, date d’ouverture du guichet de demande, le ministère de la Transition énergétique a annoncé avoir identifié 3,8 millions de foyers bénéficiaires pour la campagne 2025, soit une baisse d’environ 30 % des bénéficiaires par rapport aux précédentes campagne (5,7 millions en moyenne chaque année entre 2024 et 2021). Selon les calculs de la FNCCR, basés sur les crédits inscrits au projet de loi de finances pour 2026 (PLF 2026), le nombre de bénéficiaires tomberait autour de 4 millions, soit 1,7 million de moins qu’en 2024. « Ce n’est pas par une erreur technique, nous confie Françoise Thiebault, c’est une volonté assumée de faire des économies, quitte à ce qu’elles pèsent sur les plus fragiles. On reste dans une politique de l’offre, pas de la demande » regrette celle qui est engagée depuis plus de 20 ans dans la protection des consommateurs. « Jusqu’ici, la notion de “ménage” permettait d’inclure plusieurs foyers fiscaux vivant sous un même toit. Désormais, seul le foyer fiscal détenteur du contrat de fourniture d’énergie est éligible » nous indique-t-elle. « C’est une réforme silencieuse, mais lourde de conséquences. » En valeur, les autorisations d’engagement pour 2026 atteindraient 674,2 millions d’euros, contre 899 millions en 2024, soit une baisse de 25 % sur deux ans. « Les crédits sont présentés comme étant “en forte augmentation” dans les documents budgétaires, mais cette hausse ne compense pas la chute du nombre de bénéficiaires ni la stagnation du barème », souligne Violaine Lanneau, secrétaire générale de la FNCCR. « Le montant du chèque n’a pas été révisé depuis 2019, alors que les factures d’énergie ont augmenté de plus de 40 %. »

Un contexte social sous tension

Cette contraction du dispositif intervient dans un contexte où la précarité énergétique s’aggrave. D’après l’Insee, 5 millions de ménages étaient déjà en situation de vulnérabilité énergétique en 2021, soit 17,4 % des foyers, avant même la flambée des prix de l’électricité et du gaz. Le médiateur national de l’énergie estime, dans son baromètre d’octobre 2025, que 36 % des ménages déclarent avoir rencontré des difficultés pour payer leurs factures cette année, un record depuis la création du baromètre en 2007, contre 28 % en 2024 et 18 % en 2020, alors que la facture d’énergie est bien devenue l’un des principaux postes de dépenses des ménages français. Selon le Secours populaire, 39 % des Français disent avoir eu du mal à régler leurs dépenses d’énergie, un chiffre qui grimpe à 57 % pour les foyers dont le revenu mensuel net est inférieur à 1 400 euros. Un quart des foyers ont bénéficié du chèque énergie en 2024 mais son envoi tardif a créé des difficultés pour six bénéficiaires sur dix : 35 % ont connu des retards ou incidents de paiement quand 10 % ont subi des coupures ou réductions d’énergie. Les ménages bénéficiaires de ce dispositif restent les plus exposés : 59 % disent avoir eu froid l’hiver dernier et 64 % avoir souffert de la chaleur cet été, soit des hausses respectives de 10 et 12 % en un an. Pour plusieurs associations de consommateurs, ce constat illustre « la nécessité de rendre le dispositif plus prévisible et plus rapide », afin d’éviter que l’aide ne devienne « un pansement trop tardif sur une blessure structurelle ». En parallèle, « les interventions pour impayés d’énergie ont doublé depuis 2019, passant de 672 000 à 1,24 million en 2024 » selon la FNCCR, alors que notre pays compte selon l’Observatoire national de la rénovation énergétique (ONRE) encore 4,2 millions de passoires thermiques, soit 13,9 % des résidences principales. Le Cnafal et la FNCCR appellent donc le législateur à rétablir au moins le budget 2024 (soit environ 230 millions d’euros supplémentaires) à adapter les critères d’attribution du chèque et une revalorisation du chèque de 40 %. « À défaut, au moins une indexation automatique sur l’inflation inscrite dans le code de l’énergie » ajoute Françoise Thiebault. Les associations caritatives, comme le Secours catholique ou la Fondation pour le logement des défavorisés (ancienne Fondation Abbé Pierre), soutiennent ces propositions depuis plusieurs années.

« C’est la santé des personnes qui est en jeu »

Les associations alertent sur « les conséquences sanitaires et sociales » de cette politique. La Fondation pour le logement des défavorisés rappelle que les plus pauvres dépensent « deux fois plus pour se chauffer que les plus riches, proportionnellement à leurs revenus ». Elle estime que 30 % de la surmortalité hivernale est liée à la précarité énergétique. « C’est la santé des personnes qui est mise en danger, et leur dignité bafouée », souligne l’organisation. La précarité énergétique a « un impact sanitaire considérable » nous confie Françoise Thiebault, évoquant plus particulièrement les troubles psychologiques liés à la perte de dignité et d’interactions sociales. « Vivre dans un logement humide, mal chauffé, c’est perdre confiance, c’est s’isoler. La santé mentale est la première victime invisible de la précarité énergétique. » « Le risque est réel de voir disparaître un outil essentiel à la cohésion sociale » estime Éric Perez, président du syndicat Sigerly et membre de la FNCCR. « Dans un pays où près de 10 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, réduire un dispositif aussi vital relève d’un contresens politique. »

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