Vers une Europe de l’énergie ?

Publié le 08/07/2016

11 min

Publié le 08/07/2016

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Depuis la création de la Communauté européenne du charbon et de l‘acier (CECA)  en 1951, l’énergie constitue l’un des piliers du projet européen. 2016 a débuté avec une série de mesures portées par l’Union de l’énergie qui pourrait donner un nouvel élan à la construction européenne d’un marché de l’énergie. Décryptage.

« Je tiens à réformer et à réorganiser la politique énergétique de l’Europe dans une nouvelle Union européenne de l’énergie. Nous devons mettre en commun nos ressources, combiner nos infrastructures et parler d’une seule voix lors des négociations avec des pays tiers » avait déclaré Jean-Claude Juncker en proclamant la construction de l’Europe de l’énergie comme l’une des cinq priorités de son mandat de président. Le chantier semblait à l’époque titanesque. Il faut dire que  la politique européenne de l’énergie se cherche depuis longtemps. L’enjeu de l’Union de l’énergie est à la hauteur des espérances pour renouer avec une politique efficace. En effet, les résultats décevants  de l’ouverture des marchés de l’énergie en termes de prix de l’énergie, le niveau de la facture énergétique  annuelle qui avoisine  les 400 milliards d’euros et les tensions géopolitiques forcent Bruxelles à agir. Pour autant, le grand projet d’Union de l’énergie, soutenu par le président de la Commission, n’a pas donné lieu jusqu’ici à des propositions à la hauteur des attentes qu’il avait créées à ses débuts. Depuis il y a eu la crise russo-ukrainienne, avec la volonté pour l’UE de sécuriser et diversifier ses approvisionnements et son ambition, portée par un élan mondial, de réduire les émissions de CO2.  L’année 2016 sera-t-elle l’année de la concrétisation pour l’Union de l’énergie ?

2016 : une année décisive pour l’Europe de l’énergie

La nouvelle stratégie de l’Union de l’énergie a été dévoilée en ce début d’année et la plupart des mesures et des propositions seront débattues et votées en 2016. De la mise en application de l’accord de Paris au débat sur le système communautaire d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre (en anglais « ETS »), du décryptage du paquet sur la sécurité énergétique à la question de l’efficacité énergétique en passant par l’achèvement du marché intérieur de l’énergie, voilà autant de sujets qui hantent les couloirs bruxellois et strasbourgeois. En premier lieu, les préoccupations environnementales, aujourd’hui partagées par la majorité de l’opinion publique, sont autant d’enjeux auxquels l’Union européenne devra répondre.

L’accord de Paris

Signé le 12 décembre 2015, l’accord de Paris est une avancée significative dans la lutte contre le changement climatique. L’Union européenne, troisième émettrice de gaz à effet de serre dans le monde, a pris des engagements forts pour réduire ses émissions de 40 % en 2030, arriver à 27 % d’économies d’énergie et atteindre une part des énergies renouvelables dans sa consommation globale de 27 %. « Nous avons conclu un accord. Nous signerons et nous agirons. En Europe, nous nous sommes déjà mis au travail afin de mettre en œuvre l’accord de Paris et nous continuerons à mener la transition mondiale vers une économie à faibles émissions de carbone. Nous ratifierons l’accord de Paris en garantissant le soutien de nos vingt-neuf parlements et en démontrant que nous appliquerons les politiques nous permettant de tenir nos engagements. Nous pourrons ainsi garantir que nous agissons sur une base juridique solide » a déclaré le commissaire européen chargé de l’action pour le climat et de l’énergie, Miguel Arias Cañete, lors de la ratification de l’accord le 22 avril 2016 à New York. Et c’est bien sur cette question, celle du même engagement de tous les États membres à travailler sur les mêmes objectifs d’efficacité énergétique et des technologies à faible intensité carbonique que l’UE pourra jouer son rôle de précurseur dans la lutte contre le changement climatique.

Le système des quotas

Directement lié à la réussite des accords de Paris, un autre débat sera également au centre des discussions ces prochains mois : celui de la réforme du système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre (ETS), principal outil de l’UE dans la lutte contre le changement climatique. La méthodologie utilisée notamment pour l’identification des secteurs à risque et celle pour déterminer l’allocation gratuite de quotas feront l’objet de toutes les attentions. La France a déjà annoncé qu’elle soutiendra les initiatives de la Commission européenne en vue d’améliorer la régulation du marché européen d’échange de quotas de carbone. La France défend par ailleurs la mise en place d’un corridor du prix du carbone au niveau européen. Cette position est étayée par les travaux de la mission de messieurs Canfin, Grandjean et Mestrallet, qui a dévoilé son rapport intermédiaire le 8 juin 20161.Le corridor-prix proposé aurait pour objectif de corriger le signal prix de l’ETS à moyen terme en encadrant l’évolution du prix de marché entre un minimum et un maximum afin d’apporter un signal stable qui inciterait les investissements bas carbone. Ce dispositif serait complété d’un instrument de régulation.

Le marché intérieur de l’énergie

Également très attendue : la reprise des discussions sur l’achèvement du marché intérieur de l’énergie, en cours depuis des années. Dans le cadre de l’Union de l’énergie, la Commission européenne publiera sa proposition sur une nouvelle conception du marché de l’énergie à la fin de l’année. Cette proposition vise à rendre le système énergétique plus flexible. Ces mesures doivent permettre de garantir des prix décents aux consommateurs européens, de lancer la construction d’infrastructures manquantes, de lutter contre la distorsion des régimes de soutien et d’envoyer des signaux positifs en termes d’investissements sur le marché. Les technologies de l’information, tels que les compteurs communiquants et les réseaux intelligents seront autant d’outils dont le consommateur européen pourra se servir pour maîtriser ses dépenses énergétiques.

Le paquet sur la sécurité énergétique 

Le 10 février 2016, le premier paquet sur la sécurité énergétique, texte d’envergure qui cherche à favoriser les mécanismes de solidarité énergétique au niveau européen et pose les base de l’Union de l’énergie, a été publié (trois devraient être proposés d’ici la fin de l’année). Il met l’accent sur les initiatives visant à sécuriser l’approvisionnement en gaz, en vue de renforcer le marché pour qu’il soit sûr, résilient et concurrentiel. Plusieurs points importants sont à retenir.

Une régionalisation accrue et une interdépendance plus forte

La nouvelle architecture de l’Union serait décomposée en neuf régions regroupant les États membres en fonction des similitudes de leurs mix énergétiques (complémentarité des ressources et capacité de mobilisation). Cette approche régionale a pour objectif de créer de la solidarité intra-européenne en cas de rupture d’approvisionnement majeure ou de pic de demande exceptionnelle. Afin de mettre en place une grille d’analyse cohérente, la Commission européenne veillerait à la mise en place de normes communes pour l’évaluation régionales des risques. Par ailleurs, elle contrôlerait les plans d’action préventifs des États membres. Le projet de texte prévoit également des mesures complémentaires pour assurer la transparence des contrats d’approvisionnement.

À terme, l’objectif de la Commission semble aller vers une tarification commune de l’énergie et l’amélioration de la coopération entre les États membres dans le cas de perturbations de l’approvisionnement. Les États ainsi que les autorités compétentes devront élaborer des plans d’urgence régionaux pour assurer une réponse rapide et efficace face aux éventuelles ruptures d’approvisionnement. Le réseau européen des gestionnaires de réseaux de transport de gaz (Entsog) et l’Agence de coopération des régulateurs de l’énergie (Acer) verront leurs missions de surveillance et leur autorité renforcées. Ce projet de texte est actuellement en discussion au Parlement européen. Le rapporteur, le député polonais Jerzy Buzek, a présenté son rapport le 14 juin, qui fait l’objet de 125 amendements. Par ailleurs, certains États membres dont la France ont émis des réticences sur ce texte.

Une nouvelle stratégie pour le GNL et le stockage

Le GNL apparaît comme un outil clé pour la sécurisation des approvisionnements. D’autant que les études prospectives annoncent une abondance de GNL sur le marché dans les années à venir, notamment avec la mise en production des usines australiennes. La Commission souhaite ainsi inciter les pays membres à recourir au GNL en veillant notamment à ce qu’ils disposent des infrastructures nécessaires pour bénéficier de cette surcapacité, en citant notamment l’exemple de l’unité FSRU de Klaipeda en Lituanie. La Commission souhaite également renforcer la coopération internationale avec des pays tiers. Cette stratégie comprend également un volet relatif aux stockages souterrains dont le rôle est considéré comme décisif pour optimiser les infrastructures gazières et pour équilibrer le système. Cette stratégie implique une meilleure interconnexion des marchés régionaux.

Une stratégie pour la chaleur et le froid

Un autre volet de l’Union de l’énergie propose une stratégie en matière de chaleur et de froid en Europe. Chaleur et froid consomment la moitié de l’énergie consommée en Europe, souvent de façon inefficace. L’idée est donc de construire un cadre d’action pour intégrer l’efficacité énergétique dans les politiques européennes afin notamment d’améliorer l’efficacité énergétique des industries et d’éviter les fuites énergétiques.

Le renforcement du pouvoir de la Commission

Avec l’Union de l’énergie, le rôle et l’autorité de la Commission se voient renforcés. Le 6 juin 2016, le Conseil de l’Union a décidé que les accords intergouvernementaux entre les États membres et les pays tiers devraient être approuvés en amont par la Commission européenne, avec la possibilité de valider les accords intergouvernementaux traitant des questions énergétiques et de juger de la conformité des contrats commerciaux passés entre un État membre et un État tiers. Encore un point qui sera difficile à accepter pour les États.

En outre, le deuxième paquet consacré à l’efficacité énergétique devrait être publié au mois de septembre, au même moment que l’examen de la directive sur l’efficacité énergétique et de celle sur la performance énergétique des bâtiments. Pour répondre aux objectifs fixés pour 2020, la Commission devra concentrer ses efforts sur les secteurs de la construction et des transports particulièrement.

Enfin, au dernier trimestre 2016, un troisième paquet consacré aux énergies renouvelables sera publié. Il devrait proposer des obligations pour les États en matière d’intégration d’objectifs chiffrés dans leurs plans nationaux, ainsi que la création d’une politique plus incitative pour sensibiliser les consommateurs à utiliser l’énergie renouvelable et à décarboner le secteur du chauffage et du refroidissement, tout en donnant davantage de place aux énergies renouvelables dans le secteur des transports. Par ailleurs, d’autres dossiers sensibles font l’objet de nombreuses discussions à Bruxelles, notamment au Parlement européen. Ainsi, ce dernier s’est dit réticent à l’égard du projet Nord Stream 2 qui vise à doubler la capacité d’importation de l’actuel gazoduc qui va de la Russie vers l’Allemagne. Ces mesures sont ambitieuses. L’Union européenne, confrontée à de nouveaux défis, semble avoir pris la mesure du vaste chantier qui l’attend pour harmoniser sa politique énergétique et prétendre un jour parler d’une seule voix.

 

1 La ministre de l’environnement Ségolène Royal a présidé le 8 juin un forum de haut niveau sur le prix du carbone à Paris.