Vers le zéro émission nette : la perspective d’un monde prospère

jeremy bentham

Publié le 09/12/2016

9 min

Publié le 09/12/2016

Temps de lecture : 9 min 9 min

Jeremy Bentham (Shell)

Jeremy Bentham est vice-président environnement économique mondial et responsable du service des scénarios chez Shell. Membre de l’équipe dirigeante de la stratégie, il a plus de trente ans d’expérience au sein de Shell. Il a fait ses études à Oxford, à l’Institut de technologie de Californie et au MIT.

Qu’est-ce qu’un scénario prospectif selon Shell ?

Shell utilise les scénarios depuis le début des années soixante-dix pour permettre aux leaders de prendre de meilleures décisions pour l’entreprise. Ils les aident à mieux comprendre comment le monde pourrait évoluer, en posant la question « que se passerait-il si ? » afin d’explorer diverses perspectives d’avenir et créer des scénarios plausibles autour d’elles. Ils envisagent les tendances à long terme de l’économie, de l’offre et de la demande énergétique, des changements géopolitiques ainsi que les facteurs de motivation qui encouragent le changement. Ces scénarios ne constituent pas des prédictions d’événements ou de résultats probables, et les investisseurs ne doivent pas s’en remettre à eux lorsqu’ils décident d’investir dans des actions de Royal Dutch Shell PLC. Parvenir à un monde avec zéro émission nette de carbone dans lequel 10 milliards de gens prospèrent dans le courant du siècle à venir est faisable, mais ce ne sera pas chose facile. Jeter un coup d’œil sur ce que sera l’avenir vers la fin du siècle peut nous aider à choisir le chemin à emprunter.

Planter le décor

Il est clair que notre système énergétique entre dans une période de transition majeure. Il y a déjà eu des transitions par le passé. Au cours des XIXe et XXe siècles, nous avons connu une utilisation croissante du charbon, puis du pétrole et du gaz. La prospérité a augmenté et s’est répandue. Mais depuis les années soixante-dix, la répartition des combustibles est restée relativement statique. Récemment en revanche, avec des préoccupations supplémentaires relatives aux émissions locales et dans l’atmosphère, nous avons aussi constaté des rythmes de croissance impressionnants des nouvelles technologies telles que l’éolien et le solaire. Nous voyons ainsi émerger une nouvelle ère de transition.

La demande énergétique future

Pour commencer, quantifions l’ampleur de la demande énergétique à venir. Nous savons qu’au fur et à mesure que les revenus augmentent, la consommation énergétique augmente proportionnellement au PIB jusqu’au niveau d’environ 20 000 dollars par habitant par an, à mesure que se développent les infrastructures de base, les industries, les logements et les équipements qui donnent une qualité de vie décente. Au-delà de ce point, la saturation commence à s’installer. En Amérique du Nord, le niveau de saturation de l’usage d’énergie primaire est d’environ 300 gigajoules par habitant et par an, tandis qu’en Europe et au Japon, où le rendement énergétique est plus élevé, ce niveau est d’environ 150 gigajoules par habitant par an. À l’avenir, si les pays en voie de développement utilisent de meilleures technologies et créent une efficacité structurelle grâce à des villes compactes intégrées qui possèdent de bons réseaux de transports en commun, il pourrait être possible d’obtenir une qualité de vie décente avec une consommation énergétique primaire d’environ 100 gigajoules par habitant. Si l’on considère une population future d’environ 10 milliards d’habitants d’ici la fin du siècle et que l’on multiplie ce chiffre par 100 gigajoules par habitant, on obtient environ 1 000 exajoules, ce qui représente environ deux fois le système énergétique actuel.

le développement des revenus et de la consommation énergétique de 1960 à nos jours par ensemble régional, avec une projection jusqu’en 2100 selon le scénario « Océans » de Shell (voir les scénarios « nouvelle optique » sure www.shell.com/scenarios), indiquant une convergence de la consommation énergétique entre 75 et 150 gigajoules par habitant – un écart réduit par rapport à la situation actuelle qui va de 25 à 300.

 

Les hydrocarbures et les énergies renouvelables (EnR) côte à côte

Pour stopper la dangereuse accumulation de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, nous devrons in fine ramener les émissions mondiales à zéro net. Mais divers degrés de décarbonation et de rendement énergétique seront atteints à des rythmes, en des endroits et dans des secteurs de l’économie différents. Les EnR ont un rôle indispensable à jouer, mais elles ne sont pas à elles seules une panacée en raison de leur faible densité énergétique ainsi que de leur disponibilité et leur intermittence variables. De plus, elles produisent surtout de l’électricité, or celle-ci est actuellement le vecteur de moins d’un cinquième de l’utilisation totale d’énergie primaire. Même si nous repoussons les limites de la technologie, la production de produits chimiques et de matières plastiques continuera à reposer sur les hydrocarbures, de même que les processus industriels à températures élevées (sidérurgie, cimenterie), le stockage d’énergie à haute densité ou encore le transport aérien. Les biocarburants ne peuvent satisfaire qu’une petite part de ce besoin. Il y aura donc une coévolution des hydrocarbures et des énergies renouvelables dans le système énergétique et il est inévitable qu’un certain niveau d’émissions subsiste au sein de certains secteurs et régions dans un proche avenir.

Zéro émission nette

Il importe de reconnaître toutefois qu’un monde  « net zéro » n’est pas forcément un monde sans aucune émission, mais dans lequel les émissions qui restent sont compensées ailleurs dans le système. Ceci veut dire que le monde aura besoin d’émissions « négatives » dans certains secteurs. Par exemple avec les pratiques agricoles augmentant la teneur du sol en carbone, le reboisement, la gazéification durable de la biomasse alliée au captage et stockage du carbone (CSC) pour la production d’électricité. Et pour compenser les émissions restantes et créer des opportunités d’émissions négatives ailleurs, nous aurons besoin de déployer le CSC à large échelle.

Des vecteurs énergétiques sans carbone

Pour approcher du zéro net, nous avons besoin de faire appel à un ensemble de vecteurs sans carbone et en premier lieu l’électricité – car les technologies renouvelables vont être de plus en plus rentables. On devra assister à une croissance de l’électricité, qui fournit actuellement un cinquième de l’énergie consommée, pour que cette part représente au moins la moitié. Ceci sera notable pour les ménages et le secteur des services, mais devra englober aussi d’autres secteurs tels que l’industrie alimentaire et légère, ou encore les transports via les véhicules électriques. Enfin, le monde utilisera sans doute beaucoup plus d’hydrogène : comme carburant pour les véhicules électriques, pour stocker et transporter l’énergie et comme combustible thermique pour les fours.

exemples de mix énergétique réalisable fournissant 1 000 exajoules par an d’énergie primaire, en accord avec zéro émission nette.

Exemples de mix énergétique réalisable fournissant 1 000 exajoules par an d’énergie primaire, en accord avec zéro émission nette.

 

La promesse du rendement

Limiter la demande énergétique mondiale à 100 gigajoules par personne et par an, tout en lui permettant une qualité de vie décente, ne sera possible qu’avec des efforts considérables en matière de rendement énergétique : véhicules plus légers, moteurs à plus haut rendement, pompes à chaleur, LED, processus industriels améliorés. Nous devrons améliorer le rendement énergétique des infrastructures urbaines, via des réseaux de transports en commun efficaces et des services publics intégrés.

Des nouvelles pratiques

Parvenir rapidement à un monde à zéro émission nette nécessitera d’importants développements en matière de technologie, de pratiques industrielles, agricoles et d’urbanisme, de comportement du consommateur et d’orientations politiques qui forment, favorisent ou obligent à ces transitions. Pour avancer dans ce sens, il faudra des niveaux de collaboration élevés entre les décideurs politiques, les entreprises et la collectivité au sens large. Les gouvernements doivent concentrer les incitations financières sur le carbone en général, en mettant en place des systèmes qui accordent de la valeur au fait d’éviter les émissions et en supprimant les subventions énergétiques qui faussent la donne là où elles existent encore.

Des mesures sensées pour progresser vers un monde à zéro émission nette

• Une tarification du carbone ou des mesures incitatives équivalentes, pour motiver les investissements dans la réduction des émissions et le rendement énergétique. Ceci encouragera aussi le déploiement des énergies renouvelables, le CSC, le nucléaire et les efforts pour diminuer le recours au charbon.
• Des aides financières pour la R&D et le déploiement précoce des technologies prometteuses.
• Des mesures incitatives pour passer de la biomasse classique à des sources d’énergie commerciales.
• Des pratiques plus intelligentes et des réglementations plus strictes pour un développement urbain compact, des infrastructures intégrées et des immeubles à rendement énergétique élevé.
• Des règlements ou des mesures incitatives pour investir dans les transports à faibles émissions.
La suppression des subventions énergétiques là où elles existent encore et des mesures fiscales visant à maintenir des prix suffisamment élevés de l’énergie pour le consommateur final pour encourager le rendement énergétique et l’investissement dans le développement de technologies, sans étouffer l’activité économique.
Des normes de rendement énergétique exigeantes, pour une vaste gamme d’applications au niveau de l’usager final.
Des programmes d’occupation des sols, de reboisement et de régénération des sols.
Des mesures pour empêcher les fuites de carbone à travers les frontières par des échanges commerciaux entre les diverses juridictions.

Les points de vue exprimés dans cette publication sont ceux de l’auteur et ne représentent pas nécessairement celui de Royal Dutch Shell PLC, ni d’aucune de ses filiales (Shell).