Cogénération: une nouvelle dynamique

Patrick Canal, délégué général de l’Association technique énergie environnement (ATEE)

Publié le 20/02/2017

13 min

Publié le 20/02/2017

Temps de lecture : 13 min 13 min

La cogénération participe à l’équilibre du mix énergétique en France. Gaz d’aujourd’hui a demandé à Patrick canal, délégué général du Club Cogénération de l’ATEE de s’exprimer sur la place de la cogénération dans notre pays. Tour d’horizon.

Propos recueillis par L.I

 

En quoi la synergie entre gaz et électricité, contribue à l’équilibre du système énergétique français ?

La cogénération représente une excellente réponse pour accompagner la thermo-sensibilité du mix de production électrique national. On sait difficilement stocker l’électricité même si, contrairement à une idée reçue, c’est possible avec certaines technologies, mais en quantités généralement limitées ou déjà exploitées, comme les stations de transfert d’énergie par pompage [5 gigawatts environ, NDLR] ! La thermo-sensibilité du parc français est évaluée à 2,4 GW électriques, soit environ deux tranches nucléaires, pour une baisse de 1 °C de la température ambiante. Concrètement, cela signifie que si la France passe d’une moyenne globale de 6 degrés à 5 degrés en température ambiante, on aura un besoin de 2,4 GW de plus en électricité destinée principalement à l’usage du chauffage électrique. De fait, la cogénération à usage climatique présente l’avantage de la concomitance de sa production d’électricité avec les besoins de chaleur à satisfaire aux pointes de températures basses.

Pourquoi ?

Tout simplement parce que la production sous cogénération intervient dès lors que l’on a une demande forte. La cogénération est thermosensible comme le mix électrique français sauf que ce n’est pas l’électricité qu’il faut fournir en cogénération, c’est de la chaleur. Plus de la moitié du parc français fonctionne exclusivement en mode climatique [environ 3 GW sur les 4,5 GW de capacités en place, NDLR]. Certains industriels, les serristes notamment, ont un besoin accru de chaleur. Ils sont très demandeurs. C’est là un excellent exemple de synergie entre ces deux énergies. Deuxième élément de réponse : la cogénération est programmable, on peut démarrer et mobiliser un parc de cogénération en quelques minutes dès lors que la demande l’exige. RTE a d’ailleurs fait appel aux cogénérations industrielles dans le cadre du marché d’ajustement. Et c’était également l’objet du contrat transitoire de capacité qui a été mis en place en 2015 [qui a pris fin en décembre 2016, NDLR] et qui a mobilisé 1,4 GW de capacité industrielle des cogénérations de plus de 12 GW. Des cogénérations industrielles capables de plus de garantir leur capacité dans d’excellentes conditions, ce qui a été confirmé par RTE qui a évalué à plus de 95 % la disponibilité du parc de cogénérations concernées. Une disponibilité même supérieure à celle du nucléaire et comparable aux centrales à cycles combinés gaz (CCCG) et aux turbines à gaz.

Quels sont les atouts de la filière cogénération en France ?

Trois mots pour qualifier cette filière : efficacité, flexibilité et fiabilité. En France, nous en avons eu l’exemple cet hiver, nous avons dû compenser l’insuffisance de la production de pointe par des tranches programmables, dont la cogénération. C’est le meilleur vecteur fossile aujourd’hui en relais des centrales thermiques y compris des CCCG. Ce sont des actifs de production d’électricité performants, rapides, qui allient la performance, la sécurité et la souplesse. Les cogénérations récentes peuvent atteindre des rendements globaux supérieurs à 90 % et garantir entre 15 et 30 % d’économies d’énergie primaire. La cogénération permet donc de faire des économies d’énergie, d’augmenter l’indépendance énergétique vis-à-vis des fossiles en garantissant des rendements de productions importants par rapport aux meilleures techniques de productions électrique et thermique séparées, tout en réduisant les émissions globales de CO2 par rapport aux tranches thermiques. Cela représente a minima une demie-tonne de CO2 par MWh d’électricité produite, voire plus pour les micro et mini cogénérations. C’est loin d’être neutre. Un autre paramètre qui valorise de fait les cogénérations est le verdissement du réseau gazier avec l’injection progressive, à terme, du biométhane ou du gaz de synthèse (P2G). Le biométhane, méthane de synthèse, tout comme l’hydrogène peuvent en effet alimenter une cogénération. Dans le cas d’une micro-cogénération, il n’y a d’ailleurs quasiment aucune perte de production électrique (P2GP) avec un raccordement en basse tension et la mise en œuvre de récupérateurs à condensation. Aujourd’hui, avec un système de power to gas, nous avons un gain global de transfert d’énergie depuis la source qui est l’électricité renouvelable en excédent. Autrement dit, nous allons pouvoir tirer profit des surcapacités des productions d’énergies renouvelables (EnR) pour faire du gaz et le convertir ultérieurement sans quasiment de perte de rendement, en électricité et en chaleur. Or la part de gaz verts dans les réseaux devrait augmenter de manière significative dans les prochaines années, avec un objectif dans la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) de 10 % de biométhane injecté à l’horizon 2030

Est-elle créatrice d’emplois ?

Elle l’est. La filière cogénération au même titre que n’importe quelle production délocalisée est source d’emplois. Elle englobe l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeurs, des d’énergie aux transporteurs/distributeurs, en passant par les bureaux d’études, installateurs, équipementiers, sociétés d’exploitation et de maintenance jusqu’aux entreprises de recyclage. Aujourd’hui, une micro-cogénération génère même plus de revenus et de gisement d’emplois qu’une chaudière. Notre industrie produit une énergie programmable, tout en ne déplaçant pas une énergie intermittente, mais en la complétant. Notre filière représenterait environ 30 000 emplois en France, surtout pour l’instant dans l’industrie, alors que les segments résidentiels et tertiaires ne sont pour l’instant pas équipés de micro et petites cogénérations, alors que leur gisement est relativement important (supérieur à 1 GW électrique). Ce chiffre est donc appelé à augmenter dans les années à venir. À ce sujet nous venons de lancer une étude, portée par dix-sept membres du Club, qui doit permettre d’évaluer les externalités énergétiques, environnementales, réseaux, emplois, etc., par une modélisation fine de l’ensemble du parc de cogénérations exploitées sur le territoire national en évaluant les bénéfices pour la collectivité, liés aux externalités précitées, d’une croissance de ce parc dans certains segments d’activité. Les résultats sont attendus d’ici fin 2017 et devraient alimenter la réflexion des pouvoirs publics sur la prochaine PPE qui démarre en 2019.

L’usage de la cogénération en Europe semble plus répandu que dans notre pays. Quels sont les pays les plus avancés ?

Les pays gaziers du nord et de l’est de l’Europe sont caractérisés par une importance élevée des cogénérations dans leur mix de production d’électricité et dans certains secteurs d’activités, comme les serristes au Danemark et en Hollande notamment ou les réseaux de chaleur en Allemagne. Au Danemark, 50 % du parc est alimenté par des cogénérations électriques. Les allemands, qui exploitent un parc de cogénérations plus de trois fois supérieur au parc français visent même en 2030 une capacité globale de 30 GW, soit sept fois celui de la France. L’Allemagne a en effet un grand besoin de trouver de nouvelles sources d’énergie moins carbonées, en remplacement de ses vieilles centrales thermiques au charbon. Parmi les tranches thermiques à flamme [gaz, NDLR], les plus performantes sont les cogénérations qui arrivent en tête de liste. Bien sûr il ne s’agit pas d’opposer les cogénérations à la production intermittente. Les allemands ont par ailleurs souhaité développer massivement le parc éolien en relais de leur parc nucléaire et pour eux la production programmable que garantit la cogénération vient déplacer efficacement les centrales thermiques les plus émissives, avec un gain de 600 tonnes de C02 par GWh électrique produit et ce sans émissions de particule fines (PM10).

Actuellement et même si les choses évoluent, le contexte français semble peu propice au développement de la cogénération. Quelles seraient vos préconisations en la matière ?

Le contexte est devenu peu propice en effet pour les cogénérations de plus de 1 MW électrique, mais la France a quand même mis en place des mécanismes de soutien pour les cogénérations de moins de 1 MW, dans le respect des lignes directrices européennes de juin 2014. Si nous avons aujourd’hui dans notre pays un outil performant, il y a une vraie nécessité à donner de la visibilité aux acteurs industriels qui ont massivement investi dans les outils de cogénération depuis les années 2000. Il serait regrettable qu’au motif de ne vouloir déployer que des énergies renouvelables (EnR), qui souffrent de leur absence de programmabilité lorsqu’elles ne sont pas couplées à des capacités de stockage (et c’est rarement le cas), on abandonne des actifs de production performants et programmables. Dans la politique énergétique nationale, la baisse d’intensité des fossiles peut passer par le recours accru à la cogénération, accompagnant le déploiement massif des EnR. Ce nous souhaitons dire aux pouvoirs publics c’est que la cogénération est le meilleur outil de production programmable par voie thermique à flamme du mix électrique. La biomasse est certes moins émettrice globalement mais elle est aussi moins performante. Aujourd’hui, il n’existe aucune filière centralisée ou décentralisée qui puisse de développer sans mécanismes de soutien. Pour pérenniser leur outil de production performant, mature, flexible, disponible et fiable, les cogénérateurs doivent aussi pouvoir bénéficier de ces mécanismes, plus particulièrement Ceux, industriels, qui demain déplaceront leurs cogénérations en France et dans d’autres pays. La cogénération bénéficie à ce titre d’un mécanisme de complément de rémunération comme les filières renouvelables, valorisant ses performances, mais ne fait l’objet pour l’heure d’aucun appel d’offres au-delà de 1 MW électrique dans le cadre de la PPE (à l’exclusion des cogénérations industrielles raccordées à des sites thermo-intensifs comme en a disposé la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte). La France devrait pouvoir déployer un potentiel technique de cogénération [évalué en 2010 à 30 GW, NDLR] au moins à hauteur de 10 GW, soit un tiers du gisement technique français. Cela permettra de doubler la capacité existante. Un potentiel de 10 GW qui pourrait s’exprimer notamment par les cogénérations de moins de 1 MW, c’est-à-dire dans le résidentiel et le tertiaire et les PME/PMI, où les gisements techniques sont les moins exploités puisqu’il n’y a quasiment pas de cogénérations installées [jusqu’à présent, les contrats d’obligation d’achat n’étaient pas dimensionnés pour les petites capacités, NDLR].

Comment intègre-t-on le biogaz aujourd’hui dans un système de cogénération ? Il y a notamment eu des appels d’offres pour les grandes cogénérations. Comment les industriels vont-ils procéder ?

Le premier appel d’offres conversion biomasse-biogaz est sorti en décembre. Avec un parc de seulement 45 MW, il est mineur et semble n’être réservé que pour un seul site, voire deux. Les résultats sont attendus en milieu d’année. Le deuxième appel d’offres nous semble plus intéressant puisqu’il s’agit de convertir un parc de 650 GW électriques de gaz vers du biogaz avec une échéance d’incorporation de 20 % dans les cinq ans. Le biogaz sera incorporé soit physiquement soit sous la forme de garanties d’origine biogaz dans les unités de plus de 12 MW, à savoir des sites capables de consommer 40 % de leur production de chaleur en été [d’avril à octobre, NDLR]. Les cogénérations doivent présenter une efficacité énergétique supérieure à 10 %. Sont exclus de fait de cet appel d’offres ceux dont la demande de chaleur est fluctuante, qui sont peu performantes, ou dont le revenu estimé n’est pas suffisant malgré le complément de rémunération. Pour la profession, cet appel d’offres souffre d’un manque d’ambitions en matière de volume car nous estimons le gisement technique actuel répondant aux critères représente entre 1 200 et 1 300 GW de capacités électriques. En l’état, la moitié des cogénérations vont donc rester sur la touche et dans la même situation que les cogénérations de plus de 12 MW raccordées à des réseaux de chaleur, qui ont perdu tout soutien de l’État depuis le 1er janvier 2016. Une incertitude pèse également sur les conditions d’accès, d’apport ou d’acquisition des garanties d’origine. À l’heure actuelle il semble peu probable que le fournisseur de garantie d’origine vende à des conditions dégradées à un industriel [la garantie d’origine est dépréciée au trois quarts lorsqu’elle est vendue à un industriel, NDLR] alors que dans le même temps, il peut capter 100 % de cette valeur pour une utilisation via du GNV par exemple. En fonction de l’usage, la garantie d‘origine n’a donc pas la même valeur pour le vendeur. Pour nous cette contrainte confère un risque élevé pour le producteur qui a dans le cadre de cet appel d’offres. Dernier point : il y a un manque de visibilité pour les investisseurs. L’appel d’offres n’étant toujours pas publié, il ne se passera rien en 2017 et les actifs de cogénérations restent en stand-by, ce qui représente un coût pour les industriels. Nous estimons qu’il pourrait y avoir 700 MW en risque en 2018.

 

Club Cogénération de l’ATEE

Qui sont les membres ?
Fournisseurs et distributeurs d’énergies (pétrole, gaz, électricité) ; bureaux d’études, exploitants, industriels (producteurs autonomes ou installations externalisées) et organismes professionnels, (Fedene, Uniden, Amorce, Gigrel…), distributeurs et fabricants de matériels de génération électrique (moteurs, turbines, alternateurs) ; centres techniques, centres de recherche ; universités.
Les membres du Club conçoivent, réalisent ou exploitent environ 94 % du parc actuel de cogénérations en France, avec de forts développements à l’étranger.

Réflexions et travaux du Club
Tarifs d’achat de l’électricité cogénérée, contrats de renouvellement des installations, coefficient de plafonnement du prix du gaz, « dispatchabilité » des cogénérations, fonctionnement en été, modulation des cogénérations sous obligation d’achat, conditions de raccordement des installations aux réseaux publics (RPD, RPT), soutien des cogénérations post obligation d’achat, micro-cogénération, études des potentiels régionaux de la cogénération en zones sensibles, marché de capacité, appels à projets de capacité…