Pourquoi le small scale LNG pourrait être la prochaine révolution

Publié le 21/09/2017

8 min

Publié le 21/09/2017

Temps de lecture : 8 min 8 min

Gaz d’aujourd’hui a demandé à PwC, cabinet d’audit et de conseil international avec une forte expertise sectorielle dans l’énergie, développant des points de vue sur le marché du gaz et GNL, son analyse sur le marché du small scale LNG. Un marché de niche qui semble pourtant promis à un développement rapide.

Par Pascale Jean, associée, Cyrille Georget, directeur de PwC et Rafael Schmill, directeur stratégie

Dans le secteur du gaz naturel, les discussions tournent autour des grandes tendances : la surproduction, la croissance du trading spot de GNL, les perspectives des méga projets tels que le projet Gorgon à 54 milliards de dollars américains en Australie, etc. Àl’exception d’une poignée d’acteurs, la question du small scale LNG (ssLNG) reste en dehors des radars de l’industrie. À tort.

 

Les nouveaux usages du GNL

Le terme de ssLNG fait référence à l’utilisation directe de gaz naturel liquéfié dans sa forme liquide, par opposition au schéma classique de regazéification et d’injection dans le réseau de transport de gaz. Les unités de liquéfaction dites « small scale » sont habituellement développées pour des marchés spécifiques et leur capacité de production est inférieure à 500 000 tonnes par an (contre une capacité d’export d’environ 16 millions t/an pour Gorgon). Ces unités de production fournissent des clients finaux situés dans des endroits inaccessibles aux infrastructures traditionnelles, ou qui utilisent du gaz liquide. Il y a trois utilisations principales du ssLNG : le carburant pour bateaux (bunkering), le carburant pour les poids lourds et enfin la production autonome d’électricité dans les zones non raccordées.

Le marché est relativement immature mais plusieurs grands énergéticiens s’y investissent déjà, comme Shell, Engie et Gazprom. La taille du marché devrait atteindre 100 millions t/an en 2030.

Compte tenu de la dynamique d’ensemble du marché mondial du gaz naturel – baisse des prix des commodités, surproduction, volonté de réduire les coûts – on pourrait s’attendre à ce qu’aucun segment de ce marché ne parvienne à attirer les investisseurs, mais plusieurs facteurs de poids favorisent la croissance du ssLNG. D’abord, les projets, contrairement aux projets GNL « large scale », donnent aux investisseurs des retours sur investissement plus immédiats et potentiellement attractifs à moyen terme. La technologie associée au ssLNG permet d’offrir une solution « plug and play » qui nécessite moins d’investissements et des délais de mise en service plus courts, réduisant d’autant les risques des projets.

Ensuite, le ssLNG est modulable : les opérateurs peuvent facilement ajouter de la capacité pour répondre à l’augmentation de la demande tout en bénéficiant de synergies sur la chaîne logistique. Cela fait du ssLNG un moyen idéal pour s’adapter aux fluctuations de court terme de la demande. Enfin, grâce à cette flexibilité, le ssLNG peut stimuler la demande dans des segments du marché qui étaient jusqu’à présent peu adaptés au GNL, par exemple la production autonome d’électricité sur les îles et dans des zones isolées.

De grandes ambitions

Aujourd’hui, le ssLNG est encore un marché naissant et de niche, mais il devrait se développer rapidement. En dépit des incertitudes concernant les futures évolutions réglementaires et la perception qui touchent plusieurs applications, et des éventuels problèmes de sécurité (en particulier pour le bunkering), le marché reste attractif au regard de nombreux critères :

  • le ssLNG est globalement une activité profitable, avec des coûts d’investissement relativement plus faibles que dans le secteur traditionnel du GNL ;
  • • la demande de GNL pour le bunkering se concentre sur quelques ports et quelques clients clés. Les besoins d’investissement élevés par rapport aux autres domaines d’application – 30 à 60 millions d’euros pour une unité de stockage d’une capacité de 6 000 à 15 000 mètres cubes et 30 à 40 millions d’euros pour une barge de ravitaillement d’une capacité de 3 000 à 10 000 mètres cubes – crée une barrière naturelle à l’entrée en faveur des premiers entrants qui ont déjà conclu des accords avec les armateurs ;
    • les investissements concernant le transport routier sont modulables et relativement faibles (600 000 euros pour une station–service GNL) ;
    • les investissements pour les installations hors-réseau (200 000 euros en moyenne) sont habituellement garantis par un contrat long terme avec les clients finaux, mais ils requièrent par contre une forte présence sur le marché local ;
    • en ce qui concerne les entreprises qui ont déjà un portefeuille gaz étoffé, le ssLNG constitue un business modulable et suffisamment flexible pour répondre à la demande des segments de marché émergents.

Les prévisions de l’International Gas Union tablent sur une croissance annuelle de la demande mondiale de 30 millions de tonnes en 2020. Engie estime la demande entre 75 et 95 millions de tonnes en 2030, dont 26 % pour la production d’électricité, 32 % pour le bunkering (potentiellement plus importante après 2030) et 42 % pour le transport routier.

Actuellement, la croissance du marché est portée par la Chine où le gouvernement lutte contre la pollution de l’air dans les grandes villes et où la disponibilité du gaz et son avantage prix par rapport au diesel rendent le ssLNG attractif. La Chine compte le plus grand nombre de camions GNL (plus de 200 000) et restera le marché le plus important sur la prochaine décennie. Elle met en place, sous la houlette de China Clean Energy et ENN Energy Holdings, un ambitieux projet d’infrastructures de ravitaillement en GNL qui doit aboutir à la construction d’environ 3 000 stations-service GNC/GNL d’ici 2025. La Chine a également construit 19 pontons d’avitaillement GNL pour bateaux et projette d’en construire 23 autres.

Les États-Unis sont également très actifs, avec une croissance tirée par l’avantage-prix du gaz du fait de l’abondance du gaz de schiste.

Enfin, aux états-Unis et en Europe, la régulation plus stricte des émissions dans le domaine maritime est également à l’origine d’une utilisation plus importante du GNL comme carburant pour bateaux : cette tendance est particulièrement nette dans les zones scandinave et baltique, la Norvège y jouant un rôle moteur.

Dans la durée, la différence de prix entre le GNL et le pétrole constituera l’un des principaux accélérateurs du marché. Selon nos analyses, la demande potentielle varie significativement en fonction des scénarios de prix considérés. En 2030, si le prix du GNL se situe entre 3 et 4 dollars/MBTU1 avec un prix du baril de pétrole au-dessus de 90 dollars, la demande sera quatre fois supérieure à ce qu’elle serait si le prix du GNL s’établissait à de plus de 9 dollars/MBTU avec un prix du baril de pétrole entre 50 et 60 dollars.

Les stratégies gagnantes pour demain

Si l’industrie du ssLNG veut réaliser son potentiel de croissance, elle devra relever plusieurs défis et régler en priorité le dilemme de « l’œuf et de la poule ». Des investissements dans les infrastructures, notamment le stockage côtier, sont nécessaires pour stimuler la demande, mais le secteur est réticent à investir avant que la demande ne se matérialise pour de bon. Or, le ssLNG est confronté à la concurrence de carburants alternatifs plus matures qui disposent d’infrastructures développées sur plusieurs décennies.

Pour réussir durablement dans ce marché, nous pensons que l’intégration de l’ensemble de la chaîne de valeur et la mise en place de partenariats stratégiques sont fondamentaux.

La taille est encore un facteur important de succès dans le ssLNG : pour gagner, les acteurs devront être actifs sur tous les segments de la chaîne de valeur, de la fourniture de gaz au transport et à la distribution, jusqu’à la relation commerciale directe avec les clients finaux (d’une certaine taille). Pour cela, les acteurs devront se concentrer sur leurs activités cœur de métier, en délégant les activités à faible valeur ajoutée qui demandent une présence locale et la connaissance fine des réglementations nationales, comme le bunkering, le transport sur le « dernier kilomètre », la recherche des petits clients. De même, les acteurs devront capitaliser sur leurs compétences en matière de gestion de portefeuille et de couverture afin de réduire les risques de volatilité des prix pour les clients finaux au début du développement du marché.

L’autre élément clé est la capacité des acteurs à nouer des partenariats : construire des modèles de partenariats collaboratifs sera essentiel pour gérer les risques commerciaux, aligner les intérêts stratégiques et faire avancer en parallèle les projets amont de chaîne l’approvisionnement GNL et les projets aval en réponse à la demande.

1 Million British Thermal Units.