Nouvelle stratégie globale d’action pour le climat, nouveau rôle pour le gaz ?

Publié le 31/10/2015

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Publié le 31/10/2015

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Par Carole Mathieu (IFRI)

 

Ne dérogeant pas à la tradition, la grande conférence de Paris sur le climat – la COP 21 – devrait faire durer le suspens jusqu’à sa clôture. Les discussions sur le futur accord climatique mondial avancent, mais à bien faible allure, et il faudra probablement attendre que l’urgence se fasse pleinement sentir pour que les 196 parties consentent à dévoiler toutes leurs cartes. À quelques semaines de l’ouverture de la COP, le jeu des négociations reste donc largement ouvert mais l’on peut tout de même faire un pari, celui d’une issue favorable qui se situerait quelque part entre le bilan en demi-teinte et le succès flamboyant. La confiance est de mise parce que l’approche de cet enjeu global qu’est le réchauffement climatique a été profondément repensée ces dernières années. Tirant les leçons des expériences passées, les négociateurs de l’accord de Paris entendent articuler deux leviers d’action pour passer outre leurs divisions historiques. Le premier consiste à affirmer l’ambition collective de long terme et le second à laisser une plus grande liberté aux différentes parties pour définir ce que sera leur contribution de moyen terme. Plus qu’une nouvelle technique de négociation, il faut y voir l’esquisse du modèle de coopération international post-COP 21. Ses contours exacts peuvent encore varier mais sa philosophie générale influence déjà la conception des dispositifs d’action et plus largement la façon d’envisager le rôle des différentes sources d’énergie dans la transition vers l’économie bas carbone. Étant donné son statut ambivalent de combustible fossile le moins émetteur, le gaz est peut-être le plus concerné par cette remise à plat conceptuelle.

Respecter l’objectif des 2° C

Commençons par la prééminence de la cible de long terme. Longtemps, l’enjeu de la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) est resté lointain et impalpable. La convention de Rio de 1992 s’est bien donné comme objectif d’empêcher toute « perturbation anthropique dangereuse du système climatique » mais sans préciser la mesure des efforts qu’il faudrait mettre en correspondance. C’est l’avancée des connaissances scientifiques qui a permis au Groupe intergouvernemental d’études sur le climat, le Giec, de se prononcer en 2007 sur un seuil de + 2 °C de hausse des températures moyennes par rapport aux niveaux préindustriels, au-delà duquel les conséquences du changement climatique seraient majeures. Les limites de l’acceptable ayant été précisées scientifiquement, l’objectif des 2 °C a été officiellement introduit dans les accords de Cancun en 2010 et sera repris lors de toutes les COP. Cette référence, a priori sans conséquence puisqu’elle n’est qu’une simple clarification, va en fait ouvrir la voie à une analyse détaillée des marges de manœuvre dont dispose l’économie mondiale pour se conformer au scénario des 2 °C. Les travaux académiques commencent par populariser le concept de « budget carbone », en tenant compte du stock d’émissions passées, la part « consommée », pour définir le volume de CO2 qu’il faut se contenter d’émettre d’ici 2050 pour conserver une chance raisonnable de ne pas dépasser les + 2 °C. Par comparaison avec ce budget carbone, d’autres mettront en évidence le caractère inexploitable d’une large partie des ressources fossiles, dans le sens où la protection du climat exigerait qu’elle reste sous terre, en l’absence d’un déploiement à grande échelle des technologies de captage et stockage du CO2. Ces démonstrations trouvant un large écho dans la sphère financière, auprès des investisseurs institutionnels en particulier, c’est toute l’industrie des énergies fossiles qui est mise au défi de démontrer la viabilité de ses investissements dans une hypothèse de respect de l’objectif des 2 °C.

Définir des seuils d’émission de GES concrets.

Même si le débat prend de l’ampleur, c’est surtout la confusion qui domine à ce stade parce que les conférences sur le climat ont tendance à se suivre et à se ressembler. Les intentions sont là mais elles débouchent trop rarement sur des engagements solides alors que les émissions poursuivent leur hausse. Cette incohérence pèse sur les choix d’investissement, notamment dans le secteur de l’énergie qui s’appuie sur des infrastructures lourdes dont l’amortissement s’effectue sur plusieurs décennies. Le grand enjeu de la COP 21 est précisément d’envoyer des signaux clairs, en réduisant l’écart entre les mots et les actes et, finalement, en confortant la crédibilité du scénario des 2 °C. Cela devrait se traduire par un engagement de l’ensemble des parties à revoir tous les cinq ans leurs objectifs individuels de lutte contre le réchauffement climatique mais aussi, vraisemblablement, par la définition d’objectifs collectifs de réduction des émissions. L’Union européenne propose ainsi une trajectoire qui ferait culminer les émissions globales d’ici 2020, permettrait une réduction d’au moins 50 % d’ici 2050 par rapport aux niveaux de 1990 et viserait des émissions nulles ou négatives à l’horizon 2100. Si cette proposition est retenue dans l’accord de Paris, elle aurait une portée majeure parce qu’elle viendrait donner une définition opérationnelle des 2 °C, en précisant les efforts à entreprendre et le calendrier à tenir. Plus la cible devient concrète et plus les exercices de planification sont légitimés, à l’échelle de chaque bloc régional, pays ou territoire mais aussi à l’échelle de chaque secteur d’activité.

Moins de charbon… plus de gaz.

Sur ces fondements, la priorité qui s’affirme pour le secteur énergétique est celle d’éviter le verrouillage, qui consisterait à déployer aujourd’hui des infrastructures émettrices qui retarderont la transition ou viendront en accroitre le coût global. Tous les investissements sont regardés de près mais c’est l’industrie charbonnière qui est la première visée. Pour ne prendre qu’un seul exemple, la France, pays hôte de la COP 21, s’est résolue en septembre 2015 à mettre fin aux crédits à l’export pour tous les nouveaux projets de centrales à charbon non dotées d’un dispositif CCS (capture et stockage du CO2). Le lancement de la guerre contre le charbon mérite que les autres industries s’y attardent, et notamment l’industrie gazière. À première vue, cette distinction entre énergies fossiles est une bonne nouvelle pour le gaz car elle signale une prise en compte des différences de facteurs d’émission de GES. Partageant le même « budget carbone », le recul du charbon libère mécaniquement de l’espace pour le gaz, en premier lieu dans le secteur électrique. Pour autant, il serait hasardeux de conclure que le gaz est entièrement à l’abri des assauts qui ciblent aujourd’hui le charbon. Même si l’expérience américaine suggère que le gaz peut jouer un rôle clé dans la réduction des émissions de GES, on entend aussi des craintes sur le risque de concurrence, à terme, avec les technologies non-émettrices. Dans ce monde post-COP 21, le défi pour le gaz n’est plus seulement de montrer qu’il crée un avantage immédiat en chassant le charbon, mais aussi que, avec les garde-fous appropriés, il ne met pas en péril l’objectif final de (quasi)-neutralité carbone du secteur électrique.

Le gaz des atouts technologiques et environnementaux

Outre la nécessité de penser le très long terme, l’autre innovation de la COP 21 est de mettre toutes les forces en mouvement. L’accord va se construire sur un registre de contributions nationales, rédigées par chacune des parties, mais il va aussi tenter de donner un cadre aux projets de réduction des émissions portés par le secteur privé, les collectivités territoriales et la société civile en général. Il n’est plus seulement question de répartir le fardeau climatique mais aussi de laisser libre court aux initiatives à plus petite échelle. Sur ce terrain-là, la contribution de l’industrie gazière est évidente. La production de biométhane, le développement des nouveaux usages du gaz, notamment en tant que carburant, ou encore les travaux sur la technologie power to gas sont autant de pistes prometteuses pour faire du local une partie de la réponse au défi climatique. Ce potentiel d’innovation est très marqué dans le cas de l’industrie gazière, notamment au travers de ses réseaux de transport et de distribution. En jouant cette carte des solutions bottum up, le gaz peut indéniablement conforter sa place dans le nouvel agenda climatique mondial.

En somme, tout porte à croire que la COP 21 ne pourra pas, sur la seule base des contributions nationales, résoudre le défi climatique mais qu’elle va néanmoins construire une nouvelle dynamique autour de cette articulation entre cible collective de long terme et mise en mouvement des forces individuelles sur le court terme. Un nouveau contexte narratif est en train d’émerger avec la COP 21 et chaque source d’énergie devra tenir compte de cette évolution pour affirmer son propre rôle. Cet exercice revêt très certainement une importance particulière pour le gaz, qui possède des atouts environnementaux évidents, mais reste une énergie fossile et n’apparaît pas jusqu’ici, tout au moins en Europe, comme une solution de premier choix. À l’industrie gazière d’investir pleinement le débat.

Chercheuse au centre énergie de l’Institut français des relations internationales, les principaux axes de recherche de Carole Mathieu concernent les politiques de lutte contre le changement climatique et la transformation des systèmes énergétiques, la politique européenne de l’énergie et la sécurité d’approvisionnement énergétique.