Notre taille de terminal permet d’offrir de la flexibilité à nos clients

Marc Girard, président de Dunkerque LNG

Publié le 14/04/2017

13 min

Publié le 14/04/2017

Temps de lecture : 13 min 13 min

Hausse de la demande gazière européenne, baisse des importations provenant de la Mer du Nord, éloignement progressif des zones de production… Les échanges gaziers à l’échelle mondiale se développent de plus en plus vite. Pour accompagner cette croissance des flux internationaux que le projet Dunkerque LNG a vu le jour. En effet le transport de gaz naturel liquéfié (GNL) par navire connaît une rapide montée en puissance.

Par Laura Icart

 

La mise en service de Dunkerque LNG ouvre une nouvelle porte d’entrée pour le Gaz naturel liquéfié (GNL) en France. Expliquez-nous pourquoi ?

Marc Girard : Historiquement, nous avions en France deux ports importateurs de GNL : l’un à Marseille, sur la Méditerranée, avec les livraisons historiques de GNL algérien sur Fos-Tonkin sur plusieurs décennies et l’autre à Montoir, sur la façade Atlantique. Aujourd’hui, Dunkerque vient s’ajouter au Nord de la France, sur la façade mer du Nord. C’est une nouveauté pour le port de Dunkerque qui n’avait jamais été concerné par le GNL par le passé. C’est en réalité le quatrième terminal méthanier en France puisqu’il y en a déjà deux à Fos : Fos-Tonkin et le plus récent Fos-Cavaou (1). Nouveau point d’entrée en France mais aussi en Europe, le terminal de Dunkerque représente un enjeu géostratégique puisque, de fait, il augmente la sécurité d’approvisionnement en Europe. Mais le terminal est avant tout un instrument commercial qui va permettre de développer le marché du GNL et augmenter la concurrence gaz-gaz, gaz-pétrole et gaz-charbon.

Quels sont les spécificités du terminal méthanier de Dunkerque par rapport aux autres terminaux méthaniers européens ?

Les spécificités du terminal de Dunkerque sont nombreuses. En premier lieu, sa situation géographique : il a été construit dans un port jusqu’alors sans activité GNL et sur une nouvelle façade maritime. En termes de marchés aval, nous nous positionnons sur le marché du Nord de la France qui est, selon moi, le marché le plus dynamique d’un point de vue gazier car il donne un accès direct aux marchés français et belge et au-delà même à l’Allemagne et aux Pays-Bas. Nous avons également un intérêt pour le GNL russe issue de la péninsule de Yamal en Sibérie pour des opérations de transbordement, notamment, dans lequel nous avons une carte à jouer mais également pour le marché de la distribution de détail ou « small scale » qui est un marché régional en forte dynamique de croissance. Une autre spécificité du terminal, c’est sa capacité : c’est l’un des plus grands en Europe, juste derrière le terminal espagnol de Barcelone et le terminal anglais de Isle of Grain LNG, situé sur l’estuaire de la Tamise.

Notre taille de terminal permet d’offrir de la flexibilité à nos clients

Notre terminal couvre un territoire de près de 56 hectares, avec trois réservoirs pouvant contenir chacun 200 000 mètres cubes de gaz. La taille d’un terminal est tout sauf anodine, elle permet notamment d’offrir de la flexibilité en termes de flotte et de volume à nos clients. Une autre spécificité, liée à la précédente, c’est sa flexibilité. À l’amont, nous pouvons recevoir des bateaux de toutes origines et de multiples tailles entre 70 000 m3 et 267 000 m3. À l’aval, nous fonctionnons sur un mode d’émission très bas. Nous pouvons d’ailleurs passer d’une émission très, très basse à une émission très importante. Nous offrons un panel très large de services à nos clients, ce qui a une valeur pour eux.Le raccordement direct à la France et à la Belgique déjà évoqué et unique pour un terminal en Europe illustre également très bien cette flexibilité. Ce double raccordement offre un accès à deux services et deux tarifs à nos clients.Enfin, plusieurs spécificités techniques sont également à relever. Le tunnel de 5 kilomètres de long qui raccorde la centrale nucléaire de Gravelines à notre terminal est le fruit d’une synergie industrielle assez rare, puisqu’en prélevant 5 % des eaux de refroidissement de la centrale nucléaire, nous pouvons réchauffer le GNL et ainsi lui rendre sa forme gazeuse avant d’émettre sur le réseau. Une opération réalisée entièrement grâce au phénomène de gravité via des siphons. Il s’écoule environ une dizaine d’heures entre le prélèvement de l’eau dans la mer au niveau du centre nucléaire de production d’électricité (CNPE), son acheminement après qu’elle a été réchauffée de 10 °C vers le terminal, son utilisation au niveau des regazéifieurs qui font chuter sa température et son rejet. Cette innovation industrielle permet d’éviter des émissions de CO2 et ainsi d’économiser l’équivalent de la consommation annuelle de gaz de l’agglomération dunkerquoise. Notre installation est classée pour la protection de l’environnement (ICPE) et est, à ce titre, soumise au respect d’un ensemble de normes. Au moment des études de faisabilité, nous étions également le premier site Seveso post-AZF à s’implanter en région Hauts-de-France et avons, à ce titre, travaillé une nouvelle méthodologie de scénarios de risques.

Nous avons déjà vendu 8 milliards de mètres cubes à EDF et 2 milliards à Total

Enfin, notre dernière spécificité est commerciale et réside dans le fait que nous sommes exemptés [à l’accès régulé des tiers, NDLR], du moins en partie. Les autorités européennes et françaises compétentes nous ont octroyé leur accord pour que nous fixions librement nos tarifs afin de rendre l’investissement viable. Aujourd’hui et pour vingt ans, Dunkerque LNG est libre de vendre ses capacités sur les marchés. Nous avons déjà vendu 8 milliards de mètres cubes à EDF et 2 milliards à Total. 3 milliards de mètres cubes restent à commercialiser mais ils devraient trouver preneurs suite à la récente mise en service. Je le répète souvent : nous sommes exemptés certes, mais nous restons encadrés par le régulateur qui s’assure régulièrement que la capacité invendue à ce jour soit bien mise sur le marché et qu’il n’y ait pas de rétention.

L’approvisionnement vers la Belgique est il effectif ?

D’un point de vue contractuel, les flux commerciaux entre la France et la Belgique ont débuté en février. L’un de nos clients émet d’ailleurs de manière régulière vers la Belgique. Ce qu’il faut comprendre c’est que les marchés français et belge présentent des différences en termes de liquidité et de fonctionnement. En France par exemple, le programme d’émission se fait à la journée. Autrement dit, il faut assurer l’équilibre entre une quantité d’énergie livrée du terminal sur le réseau du transporteur GRTgaz et l’énergie consommée, sur 24h. En Belgique, l’équilibrage se fait de façon horaire et les nominations d’émissions sont donc à un pas de temps horaire. Si nous avions, au début, étudié la possibilité de construire physiquement deux sorties, nous avons finalement opté pour un point de sortie unique déjà existant qui se trouve à la station de compression de Pitgam, soit 17 km au nord du terminal. Le gaz acheminé sera ensuite envoyé soit vers le sud, par le biais du réseau français, soit vers une nouvelle canalisation menant à Hondschoote (Nord), à la frontière belge, point à partir duquel l’opérateur Fluxys a construit 70 km de canalisation lui permettant de rejoindre un site à proximité du terminal de Zeebrugge. De là, le gaz naturel peut être envoyé vers le réseau belge ou sur le terminal Zeebrugge où, grâce à l’inter-connecteur, il pourra poursuivre sa route vers l’Angleterre ou encore traverser la Belgique afin d’atteindre l’Allemagne. Tout l’intérêt pour nos clients est de pouvoir accéder à ce point de marché physique en Belgique qui leur offre un véritable hub gazier. D’une manière générale nos clients vont pouvoir, grâce à la flexibilité offerte par notre terminal, gérer leur stock de GNL en fonction des fluctuations du marché et ainsi choisir de privilégier le marché sud-américain, le marché asiatique voire des marchés assez opportunistes comme les marchés égyptiens ou européens. Dans tous les cas, ils seront amenés à faire des choix de ce type. Leurs choix suivront deux étapes. Dans un premier temps, ils choisiront des localisations d’importation. Puis, une fois le GNL importé, ils auront la possibilité d’attendre ou de le remettre sur les marchés français ou belge.

Le terminal en fonction depuis le 1er janvier est il totalement opérationnel ?

Absolument. Le premier méthanier est arrivé le 8 juillet, le deuxième en septembre et le troisième fin novembre. Toutes les installations du site ont été testées. Nous avions l’objectif de démarrer commercialement au mois d’octobre mais un incident en phase de test nous a retardé. Concrètement nous avions réceptionné les installations début décembre, mais nous avons volontairement choisi le 1er janvier pour lancer notre démarrage commercial. Nous avons reçu notre première cargaison commerciale le 22 janvier. Aujourd’hui nous avons du GNL en stock et nous répondons aux demandes d’émissions sur le réseau de nos clients. Nous sommes satisfaits du démarrage commercial d’autant plus que peu d‘ajustements ont été nécessaires par rapport à nos prévisions initiales.

Quelles sont les synergies entre votre terminal et le port ?

Le port est notre partenaire clé depuis la phase de projet. Cette relation forte va se poursuivre pour les cinquante années à venir voire s’amplifier avec les nouveaux projets de développement. Le GNL est un marché récent, innovant et changeant, contrairement aux actifs énergétiques qui évoluent peu, sauf en termes d’efficacité ou pour une raison liée à un changement de normes. Cette particularité fait du terminal méthanier un actif évolutif. Nous avons d’ailleurs d’ores et déjà pu constater des évolutions entre le projet de départ et le terminal aujourd’hui. À titre d’exemple, le raccordement France-Belgique n’était initialement pas prévu. Nos équipes ont donc travaillé pour rendre cela possible afin de répondre à un besoin de flexibilité des clients. Autre particularité, nos clients peuvent conserver leur stock de GNL très longtemps sur le terminal. En théorie, le maintenir en froid pourrait nécessiter seulement un ou deux bateaux par an, ce qui est vraiment peu. Le port est bien évidemment intéressé par le fait d’avoir une installation industrielle générant un trafic important mais pas seulement. L’idée d’un service additionnel d’alimentation de GNL carburant pour les bateaux est un sujet qui intéresse le port.

Sur le territoire, nous avons d’autres partenaires importants : les entreprises sous-traitantes de maintenance locales en font partie. Au niveau de la région Hauts de France, nous prenons des contacts avec les acteurs économiques (dans le transport routier, dans le transport fluvial, maritime), avec les autorités publiques (la région elle-même) pour favoriser le développement du GNL carburant, pour lequel la région présente de forts atouts.Pour nous, le GNL est un véritable sujet de coopération et de développement économique. C’est aussi un sujet local puisque le transport se regarde à l’échelle d’un territoire.

La construction, sur le site du terminal méthanier, d’une station d’avitaillement pour les camions et les navires est-elle toujours d’actualité ?

Oui. Je viens d’ailleurs d’avoir l’aval de mon conseil d’administration (2) pour finaliser ce projet qui devrait débuter d’ici l’été. Au préalable il faudra s’assurer d’avoir un acteur commercial de premier plan. Nous menons actuellement une étude commune pour un partenariat avec Total et Brittany Ferry en vue de mettre en place une chaîne logistique innovante pour alimenter en GNL depuis Ouistreham le futur ferry de la compagnie grâce à des iso-containers chargés à Dunkerque. Sous conditions de finalisation des accords entre les différents partenaires, la construction devrait débuter à partir du deuxième semestre 2017. Les premières opérations commerciales sont attendues pour le mois de mars 2018. Le port s’engage également à nos côtés au travers de la mobilisation d’une partie de la subvention reçue du ministère de l’Environnement, de l’énergie et de la mer.

Vous êtes membre fondateur de la nouvelle plateforme nationale sur le GNL carburant maritime et fluvial. Quels objectifs souhaitez-vous atteindre grâce à elle ?

C’est avant tout une instance de lobbying, portée par l’Association française du gaz, et créée pour défendre l’industrie du GNL. Nous avons la volonté d’être acteur dans le débat en France et en Europe sur la transition énergétique. Une fois n’est pas coutume, la France n’est pas en avance sur les questions de GNL en matière de transport (routier, fluvial et maritime) par rapport à nos voisins européens qui eux ont déjà intégré depuis plusieurs années le GNL carburant dans leur schéma de transport. Le ministère de l’Environnement, de l’énergie et de la mer a d’ailleurs tout à fait conscience de notre retard dans ce domaine. Avec cette plateforme, notre volonté est de promouvoir le GNL et de faire comprendre, aux pouvoirs publics notamment, qu’il a pleinement sa place dans la transition énergétique. Notre deuxième objectif est plus pragmatique dirais-je : nous allons accompagner les porteurs de projets et les aider à préparer leurs projets, qui s’avèrent souvent compliqués à monter et bien sûr nous voudrions « capter » des subventions européennes, comme c’est déjà le cas dans de nombreux pays qui bénéficient d’avantages financiers conséquents alors que le niveau atteint par la France est faible. Ces objectifs nous permettrons de préparer au mieux les acteurs français au développement de ce nouveau marché.

1 Fos-Tonkin pour les petites installations en provenance d’Algérie et Fos-Cavaou (Engie et Total) à vocation plus large.

2 L’interview a été réalisée en mars 2017.