« L’impact sanitaire de la pollution de l’air n’est pas contestable ! »

Publié le 01/03/2018

10 min

Publié le 01/03/2018

Temps de lecture : 10 min 10 min

Depuis presque trente ans, France Nature Environnement (FNE) dénonce l’importance et les effets de la pollution de l’air. Présente dans de nombreux groupes de travail et commissions au niveau français et européen, l’association met régulièrement en lumière les conséquences sanitaires de la pollution au travers de ses campagnes coup de poing comme « Irrespirable » ou « Rendez-nous notre air ». Gaz d’aujourd’hui a demandé à Charlotte Lepitre, coordinatrice du réseau santé et environnement au sein de l’association, de dresser un panorama des sources d’émissions les plus importantes sur la pollution de l’air, particulièrement en termes de santé publique mais aussi les solutions et les alternatives existantes pour lutter contre un phénomène qui a coûté la vie à près de 48 000 personnes en 2016 dans notre pays.

Propos recueillis par Laura Icart

Quels sont les principaux secteurs identifiés par FNE considérés comme fortement contributeurs de la pollution de l’air ?

Charlotte Lepitre : Dans l’imaginaire collectif, la pollution de l’air provient essentiellement du trafic routier. Si le transport routier est effectivement un grand pourvoyeur de polluants atmosphériques, l’agriculture, le chauffage au bois, l’industrie ou encore le trafic maritime en sont des sources toutes aussi importantes. Au sein du réseau santé et environnement de FNE, nous avons souhaité nous placer du point de vue de la santé humaine en ayant une approche sanitaire du problème de la pollution de l’air. Si nous sommes une association multi-thématiques et que ce sujet est pour nous transversal, nous avons quand même des domaines de prédilection avec une expertise affirmée dans les secteurs du transport routier, du transport maritime mais aussi de l’agriculture.

Pouvez-vous nous parler plus spécifiquement du transport routier et du transport maritime, régulièrement pointés du doigt ces dernières années lors des pics de pollution ou dans des études à charge sur le nombre de décès prématurés constatés notamment dans les centres urbains et sur les zones côtières ?

Il y a aujourd’hui une véritable volonté politique pour ces deux secteurs. Il est vrai que ces dernières années les effets néfastes de la pollution de l’air ont été beaucoup relayés par les médias, créant de fait une nécessité d’action chez nos dirigeants. Chez FNE, la pollution de l’air liée au transport routier a longtemps été notre cheval de bataille. Nous avons tissé des liens avec les différents acteurs du secteur afin de trouver des solutions constructives et des alternatives au diesel et à l’essence notamment. Pour ce qui est de la pollution générée par le trafic maritime, notre intérêt est récent mais nous sentons sur ce sujet une véritable attrait du ministère de la Transition écologique et solidaire qui a, ces dernières années, et notamment lors de la dernière mandature, mis en place des moyens financiers pour la réalisation d’études. Notamment une étude de faisabilité pour que la Méditerranée devienne une zone de contrôle des émissions comme c’est notamment le cas dans le nord de l’Europe. Cette impulsion politique a donné naissance à huit groupes de travail sur le soufre, les polluants ou encore sur les particules fines mais aussi à un comité d’experts chargé d’assurer le suivi et l’évaluation de cette étude. Nous allons d’ailleurs organiser le 15 mai prochain une réunion sur la pollution de l’air liée au trafic maritime sous l’égide du ministère.

Quelle est la part de responsabilité du transport routier dans la pollution de l’air dans notre pays ? Quelles sont vos préconisations ?

Les pollutions à l’ozone (O3), à l’oxyde d’azote (NOx) et aux particules fines (PM) sont en France principalement émises par le trafic routier [à hauteur de 60 %, NDLR]. Pour nous, il faut clairement changer de mobilité ! Nous avons bien conscience qu’il est impossible d’interdire l’essence et le diesel dans l’immédiat mais les Français doivent comprendre que la mobilité de demain passe par un changement profond de nos habitudes. La plus dommageable est la pollution de l’air de fond, celle liée à la circulation quotidienne. Nous aimerions d’ailleurs que les seuils de dépassement des polluants atmosphériques soient basés sur ceux de l’Organisation mondiale de la santé et non sur les seuils fixés par l’Union européenne, beaucoup trop haut à nos yeux. Il y a urgence à agir, notamment dans les centres-villes ! Il faut mettre en place une politique harmonisée et promouvoir des solutions alternatives ou de transition comme le GNV, l’électricité ou encore l’hydrogène. Ce sont pour nous des solutions intéressantes, bien qu’imparfaites. Nous travaillons avec l’ensemble des acteurs pour les améliorer. Pour ce qui est du transport routier, nous croyons au « report modal ». De nombreuses lignes ferroviaires sous-utilisées pourraient très bien accueillir le transport de marchandises et réduire la pollution atmosphérique liée aux poids lourds.

La pollution liée au trafic maritime est moins visible mais elle reste tout aussi néfaste. Quelles en sont les conséquences immédiates ?

La pollution de l’air liée au transport maritime est responsable de 400 000 morts par an. Le transport maritime est responsable de plus d’un cinquième de la consommation de carburant mondiale. Il serait donc sage de réglementer de manière plus drastique ses émissions ! Un lien sans équivoque entre les gaz d’échappement des navires et plusieurs maladies cardiovasculaires et respiratoires a d’ailleurs été établi par les recherches de l’université de Rostock en Allemagne et le centre de recherche sur l’environnement allemand Helmholz Zentrum Munich. Chaque année en Europe, ces émissions du transport maritime coûtent environ 58 milliards d’euros aux services de santé et pourraient encore augmenter jusqu’à 64 milliards en 2020. Il faut bien comprendre qu’un seul paquebot génère autant de pollution aux particules ultra fines qu’un million de voitures !

En juillet 2016, vous avez décidé avec l’ONG allemande Nabu d’effectuer des mesures à Marseille pour évaluer la pollution du fond de l’air. Quel était l’objectif de ces essais et le message que vous vouliez véhiculer ?

Avec ces mesures nous avons voulu rendre visible une pollution méconnue aux effets pourtant extrêmement néfastes pour la santé et l’environnement. France Nature Environnement, France Nature Environnement Paca et l’ONG allemande Nabu ont décidé d’effectuer des mesures dans la ville de Marseille. Trois appareils de mesure ont été utilisés : un pour les particules fines de 0,3 à 10, un pour les particules ultra fines au dessus de 0,1 et un pour un appareil qui mesure le soufre. Pour évaluer la pollution générée par le transport maritime, nos équipes se sont réunies en 2015 puis en 2016 et 2017 à Marseille et à Nice. Première étape : évaluer la pollution « de fond de l’air ». Dans différents lieux de la ville, nous avons observé une moyenne de 5 000 particules ultra fines par centimètre cube. Puis nous nous sommes rapprochés du port. Dans un quartier résidentiel aux abords, l’air s’est avéré être jusqu’à vingt fois plus pollué avec une moyenne de 60 000 particules ultra fines par centimètre cube. Le pire nous a attendu à bord du navire, où une équipe de l’émission « Thalassa », accompagnant notre expédition en 2016, a vu le compteur s’affoler : l’air respiré par les croisiéristes et le personnel de bord contient jusqu’à 380 000 particules ultra fines par centimètre cube, soit soixante-dix fois plus de pollution.

Quelles sont les solutions préconisées par FNE pour lutter contre la pollution liée au trafic maritime ?

La majeure partie de la pollution de l’air des navires s’explique par la teneur en soufre des carburants. Il faut limiter les émissions de soufre en Europe et contraindre à l’utilisation d’un carburant chargé à 0,1 % de soufre comme c’est le cas dans la Manche, en mer du Nord et en mer Baltique (zone de contrôle des émissions de soufre). La limite en vigueur dans les eaux côtières européennes depuis janvier 2015, à savoir 1 % de soufre maximum dans les carburants [0,5% d’ici à 2020, NDLR] en plus d’être insuffisante ne fait pas l’objet de contrôles strictes. Nous appelons à la création de nouvelles zones de contrôle des émissions de soufre et notamment à l’extension de ces contrôles sur l’ensemble du littoral européen. Il faut aussi arrêter d’utiliser du fuel lourd et tendre vers des solutions alternatives plus écologiques et plus respectueuses de l’environnement. À ce jeu, le GNL carburant nous semble clairement une solution d’avenir. Sa combustion réduit de 100 % les émissions d’oxydes de soufre et des particules fines, de 80 % celles des oxydes d’azote et de 20 % celles du CO2 par rapport au fioul lourd traditionnel. Il intéresse de plus en plus d’armateurs et de croisiéristes. C’est un signe positif ! Nous voudrions aussi que les ports permettent le branchement électrique à quai comme c’est déjà le cas à Marseille et nous souhaiterions encourager la mise en place et l’entretien des filtres et autres technologies de dépollution. Enfin, nous aimerions que les ports eux-même incitent les armateurs à changer de pratiques en appliquant un système de bonus-malus dans les tarifs des droits portuaires. Une mesure initialement prévue par l’Europe dans le cadre de sa stratégie de transport maritime.

Le gouvernement français a publié le 13 février son plan d’actions pour améliorer la qualité de son air, avec une série de mesures visant à réduire rapidement les sources de la pollution atmosphérique, qu’elle provienne des transports, du chauffage ou encore de l’industrie et de l’agriculture. Quel est le positionnement de FNE sur ce document ?

Nous le considérons comme insuffisant pour atteindre les niveaux légaux de pollution de l’air et in fine limiter les impacts sur la santé et ce pour plusieurs raisons. En premier lieu parce que ce plan s’appuie sur la mise en œuvre depuis mai 2017 du plan national de réduction des émissions de polluants atmosphériques (« Prepa ») qui doit permettre d’éliminer les dépassements de valeurs limites en PM10 en 2020 et la réduction du nombre de stations de mesures dépassant les valeurs limites en NO₂ [de 49 en 2010 à 10 en 2020 et 3 en 2030, NDLR]. Si le « Prepa » prévoit bien des mesures pour tous les secteurs contributeurs à la pollution de l’air, nous restons sceptiques sur son efficacité et sa réelle mise en œuvre. Avec des objectifs fixés sur plusieurs dizaines d’années et des mesures qui semblent plus indicatives qu’incitatives, son efficience reste clairement à démontrer. J’ajouterai que ce plan repose aussi sur des mesures annoncées en 2017 qui ne sont toujours pas mises en œuvre aujourd’hui, comme par exemple la généralisation des zones à basses émissions qui ne concerne actuellement que deux villes en France : Paris et Grenoble. Nous avons étudié attentivement le plan d’actions proposé par la France et nous avons décidé de publier notre propre feuille de route sur la mobilité.