L’impact des mutations énergétiques mondiales sur l’économie algérienne

Publié le 10/10/2015

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L’année 2016 sera encore plus difficile pour l’Algérie que l’année 2015 et les cours  des hydrocarbures, du fait des mutations énergétiques mondiales,  seront encore bas. L’objet de cette contribution pour Gaz d’aujourd’hui est d’analyser les impacts de ces mutations sur l’économie algérienne, l’ensemble des statistiques reprenant les données du gouvernement algérien.

L’impact de la chute des cours sur les recettes de Sonatrach et la balance des paiements

Une baisse en moyenne annuelle d’un dollar du cours du pétrole (le prix de cession du gaz étant indexé sur celui du pétrole) occasionne pour l’Algérie un manque à gagner d’environ 600 millions de dollars par an. Les réserves de pétrole selon le dernier conseil des ministres algérien est d’environ 10 milliards de barils et celles du gaz conventionnel de 2 700 milliards de mètres cubes gazeux est loin des données souvent reprises par la presse nationale de plus de 12 milliards de barils de pétrole et de 4 500 milliards de mètres cubes gazeux (données de BP de 1999 jamais réactualisées). Les exportations de gaz (par canalisation et GNL),  qui représentent plus  34 % des recettes de Sonatrach  durant 2010-2014, n’ont jamais pu dépasser la barre des 55 milliards de mètres cubes gazeux.

Les recettes de Sonatrach ont été de 73 milliards de dollars entre 2010 et 2011, de 63 milliards de dollars en 2013 et de 59 milliards de dollars en 2014. Selon la loi de finances complémentaire (LFC) 2015, à un cours de 60 dollars en moyenne annuelle il était prévu une recette de Sonatrach de 34 milliards de dollars, montant auquel il faudra soustraire 20 % de coût de Sonatrach, restant  27 milliards de dollars. Au cours de 50 dollars moyenne annuelle, la recette de Sonatrach serait de 28 milliards de dollars et le profit net  de 22 à 23 milliards de dollars. Au cours de 40 dollars, la recette serait de 18 milliards de dollars et le profit net de Sonatrach serait  d’environ 14 à 15 milliards de dollars. Comment dès lors mobiliser les 100 milliards de dollars prévus comme investissement entre 2015 et 2020 par le ministère de l’Énergie ? Sans compter plus de 20 milliards de dollars pour Sonelgaz, d’autant plus que la loi des hydrocarbures votée en février 2013, outre la règle des 49-51 % généralisable tant à l’amont pour tous les gisements  qu’à l’aval et aux canalisations, prévoit une taxe sur les profits au-delà d’un certain seuil, décourageant avec l’actuel prix tout investisseur étranger. Il s’ensuit des tensions au niveau de la balance des  paiements. Selon la Banque d’Algérie, en 2014 la sortie de devises sans les transferts légaux de capitaux a été de 71,3 milliards de dollars (dont 11,5 de services), non compris les transferts légaux de capitaux. La balance commerciale a accusé un déficit durant les dix mois de l’année 2015 de 10,82 milliards de dollars, contre un excédent de 4,82 milliards de dollars durant la même période 2014. Les exportations d’hydrocarbures ont été estimées à   30,25 milliards de dollars contre 51,22 milliards de dollars en 2014 et les exportations hors hydrocarbures marginales (diminution de 18,18 %) ont été de 1,76 milliard de dollars, constituées de 1,44 milliard de dollars de semi-produits, soit 82 % du total. Les importations,  bien qu’en petite baisse (12,35 %), restent élevées, car bon nombre de produits importés le sont de façon incompressible. Les importations de biens durant les dix premiers mois ont été de 42,94 milliards de dollars et, si elles se poursuivent au même rythme, devraient être de 52 milliards de dollars à la fin de l’année. Si l’on ajoute environ  11 milliards de  dollars de services  et 4 à 5 milliards de dollars de transferts légaux de capitaux  nous aurons une sortie de devises fin 2015 de 67 à 68 milliards de dollars pour une entrée de devises inférieure à 34 milliards de dollars, le cours du Brent étant inférieur à 45 dollars durant le dernier trimestre. Le niveau des réserves de change, qui était supérieur à 192 milliards de dollars en janvier, serait de 151 milliards de dollars en 2015 et de 121 milliards à la fin 2016 selon le ministre des Finances,  un niveau qui représente vingt-trois mois d’importations mais tablant sur un cours de 60 dollars le baril. Or le montant risque d’être  inférieur  tant fin 2015 que fin 2016. Ainsi les réserves de change sont passées de 192 milliards de dollars début janvier 2014, les 173 tonnes d’or équivalent seulement à environ 7 milliards de dollars, à un montant inférieur à 140-145 milliards de dollars fin 2015.  La valeur d’une monnaie dépend fondamentalement de la production et de la productivité  globale. En Algérie, 70 % de la  valeur du dinar est corrélée aux réserves de change qui proviennent  presque intégralement de la rente des hydrocarbures. Au rythme de l’actuelle dépense publique, les réserves de change risquent de s’épuiser à l’horizon 2018-2019, avec un retour inéluctable au FMI. C’est pour cela que l’endettement extérieur – et le taux d’intérêt très faible au niveau mondial -,  bien ciblé et destiné à l’investissement productif et sur une période longue afin de ne pas réduire  les réserves de change, pourrait être  une opportunité. Car si les réserves de change étaient inférieures à 10 milliards de dollars,  un  dollar se coterait à plus de 200 dinars, avec une incidence sur le pouvoir d’achat. Mais parallèlement il faudra dynamiser le tissu productif industriel, loin de la vision mécanique des années 1970, l’agriculture, les services, le tourisme et les nouvelles technologies  dans le cadre des valeurs internationales. Cela suppose un assouplissement  de la règle 49-51% pour les segments non stratégiques pouvant imaginer une minorité de blocage, cela dû au fait que toutes les chancelleries des États-Unis, de l’Europe et de l’Asie viennent de déclarer à l’unanimité  durant  ce dernier trimestre 2015 combien les PMI et PME, vectrices de croissance et de création d’emplois  dans le monde, ne viendraient pas en Algérie avec cette règle en vigueur. Pourquoi cette obstination à garder une règle généralisée qui accroît l’endettement extérieur ? À moins que l’Algérie supporte tous les  surcoûts avec des rentes, mais cela est rendu  impossible  actuellement du fait de la baisse drastique des recettes en devises.

La stratégie de l’Algérie face à la transition énergétique  

Il y a urgence à définir une stratégie pour la transition énergétique. L’objectif stratégique est le remplacement à terme des énergies de stock (pétrole, charbon, gaz, uranium) par les énergies de flux (éolien, solaire, biomasse) Le développement actuel de l’extraction d’énergies fossiles dites « non conventionnelles », telles que les gaz de schistes ou le pétrole offshore profond, peuvent  repousser  le pic, sans pour autant modifier le caractère épuisable de ces ressources. Car, même en progression, les investissements dans les énergies renouvelables dans le  monde sont relativement faibles, estimés à  310 milliards de dollars en 2014, dont le solaire à hauteur de 150 milliards de dollars, et prévues à hauteur d’environ 600 milliards de dollars à l’horizon 2020. Comment inverser la courbe, renvoyant à des questions stratégiques : quel niveau pour l’efficacité énergétique, quel niveau de la taxe sur le carbone et comment développer les industries écologiques ? Chaque année dans le monde, 5 300 milliards de dollars (10 millions de dollars par minute) sont dépensés par les États pour soutenir les énergies fossiles, selon les estimations du Fonds monétaire international (FMI, rapport pour la COP 21). Or, il semble bien que la majorité des dirigeants du monde ont pris conscience de l’urgence d’aller vers une transition énergétique. Dans le cas d’une mutation du modèle de consommation énergétique au niveau mondial, une taxe du carbone à l’échelle mondiale influencera à terme le niveau des prix des énergies fossiles vers le bas et permettra des énergies de substitution.  Si l’humanité généralisait  le mode de consommation énergétique  des pays riches,  il nous faudrait les ressources de quatre ou cinq planètes, d’où l’urgence d’une adaptation pour un nouveau modèle de consommation. Dès lors  la transition énergétique suppose un consensus social,  car la question fondamentale est la suivante : cette transition énergétique, combien coûte-t-elle, combien rapporte-t-elle  et qui en seront les bénéficiaires ? Les choix techniques d’aujourd’hui  engagent la société sur le long terme. Il ne faut pas être pessimiste et nous devons faire confiance au génie humain. Le passage de l’ère du charbon à l’ère des hydrocarbures ne s’est pas opéré parce qu’il n’y avait plus de charbon – et demain, d’autres énergies ; la transition doit aux nouveaux procédés technologiques qui produisent à grande échelle et ont permis de réduire les coûts – ce que les  économistes appellent les économies d’échelle -, influant d’ailleurs sur la recomposition du pouvoir économique mondial  et   sur  les gouvernances  locales. Pour l’Algérie, le  constat  est  que  96 % de l’électricité est produite  en Algérie à partir du gaz naturel, 3 % à partir du diesel (pour les régions isolées du sud), 1 % à partir de l’eau et que, face aux contraintes, il y a une prise de conscience qui fait que le gouvernement axe sa stratégie vers une transition énergétique maîtrisable autour de cinq axes privilégiant un bouquet énergétique.

Améliorer l’efficacité énergétique

La volonté du pays est d’améliorer son efficacité énergétique. En effet, comment peut-on programmer 2 millions de logements selon les anciennes normes de construction exigeant de fortes consommations d’énergie alors que les  techniques modernes  économisent  40 à 50 % de la consommation ? Par ailleurs s’impose une nouvelle politique des prix, le prix de cession du gaz sur le marché intérieur étant environ un dixième du prix international, occasionnant un gaspillage des ressources qui sont gelées transitoirement pour des raisons sociales. À cet effet,  une réflexion doit être  engagée par le gouvernement algérien  pour la création d’une chambre nationale de compensation, afin que toute subvention ait l’aval du Parlement pour plus de transparence. Cette chambre  devra réaliser un système de péréquation segmentant les activités afin d’encourager les secteurs structurants et en tenant compte du revenu par couches sociales, impliquant une nouvelle politique salariale. Le second axe repose sur la décision de l’Algérie d’investir massivement à l’amont pour de nouvelles découvertes. L’Algérie sera le troisième plus gros investisseur dans le secteur de l’énergie de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (Mena) au cours des cinq prochaines années, avec un montant de 100 milliards de dollars, selon la déclaration du PDG de Sonatrach en date du 25 octobre 2013, montant étalé sur dix à quinze ans. 

Développer les énergies renouvelables

L’Algérie souhaite développer le secteur des énergies renouvelables.  Le pays a réceptionné mi-juillet 2011 la centrale électrique hybride à Hassi R’mel, d’une capacité globale de 150 mégawatts (MW), dont 30 MW proviennent de la combinaison du gaz et du solaire. Cette expérience est intéressante. La combinaison de 20 % de gaz conventionnel et 80 % de solaire me semble être un axe essentiel pour réduire les coûts et maîtriser la technologie. À cet effet, le Creg (l’agence de régulation) a annoncé le 28 mai 2013 que deux projets de décrets destinés à accompagner la mise en œuvre du programme algérien de développement des énergies renouvelables, qui sont en cours de finalisation, seront prochainement promulgués. Des mesures incitatives sont prévues par une politique volontariste à travers l’octroi de subventions pour couvrir les surcoûts que la programme induit sur le système électrique national et la mise en place d’un fonds national de maîtrise de l’énergie (FNME) pour assurer le financement de ces projets et octroyer des prêts non rémunérés et des garanties pour les emprunts effectués auprès des banques et des établissements financiers. Le programme algérien consiste à installer une puissance d’origine renouvelable de près de 22 000 MW entre 2011 et 2030, dont 12 000 MW seront dédiés à couvrir la demande nationale de l’électricité et 10 000 MW à l’exportation. D’ici 2030, environ 40 % de la production d’électricité destinée à la consommation nationale sera d’origine renouvelable.  L’objectif de l’Algérie est de produire dans les vingt ans à venir 30 à 40 % de ses besoins en électricité à partir des énergies renouvelables. Le montant de l’investissement public consacré par l’Algérie à la réalisation de son programme de développement des énergies renouvelables à l’échéance 2030, qui était au départ fixé à 60 milliards de dollars s’élèvera, selon le ministère de l’Énergie, à 100 milliards de dollars, soit environ 70 milliards d’euros. L’Algérie aura-t-elle les capacités d’absorption, la maîtrise technologique pour éviter les surcoûts, la maîtrise du marché mondial ? Et ne serait-t-il pas préférable de réaliser  ce projet grandiose dans le cadre de l’intégration du Maghreb, pont entre l’Europe et l’Afrique, qui, à l’horizon 2030, tirera la croissance de l’économie mondiale ?

L’Algérie compte construire sa première centrale nucléaire en 2025 pour faire face à une demande d’électricité galopante, a affirmé le 19 mai 2013  le ministre de l’Énergie et des Mines, l’Institut de génie nucléaire, créé récemment, devant former les ingénieurs et les techniciens qui seront chargés de faire fonctionner cette centrale. Les réserves prouvées de l’Algérie en uranium avoisinent les 29 000 tonnes, de quoi faire fonctionner seulement deux centrales nucléaires d’une capacité de 1 000 MW chacune pour une durée de soixante ans, selon les données du ministère de l’Énergie. La ressource humaine étant la clé, comme dans la production de toutes les formes d’énergie, et afin d’éviter cet exode de cerveaux massif que connaît l’Algérie, il convient  de résoudre le problème récurrent des chercheurs qui depuis des années demandent l’éclaircissement de leur statut, la revalorisation de leur rémunération et surtout un environnement propice au travail par la levée des obstacles bureaucratiques qui freinent  la recherche. Le poste « services », avec la sortie de devises, étant passé de 2 milliards de dollars en 2002 à plus de 12 milliards  fin 2012, dont une grande partie destinée au secteur hydrocarbures, Sonatrach se vide de sa substance.

L’exploitation du gaz de schiste ?

L’option du gaz de schiste est introduite dans la nouvelle loi des hydrocarbures de 2013. En Algérie, afin d’éviter des positions tranchées « pour » ou « contre », un large débat national s’impose. Car on ne saurait minimiser les risques de pollution des nappes phréatiques au sud du pays. L’Algérie étant un pays semi-aride, le problème de l’eau étant un enjeu stratégique au niveau méditerranéen et africain, un arbitrage pour la consommation d’eau  douce doit être opéré. Les nouvelles techniques peu consommatrices d’eau n’étant pas encore mises au point, malgré le recyclage, quel sera le coût ? Un milliard de mètres cubes gazeux nécessite 1 million de mètres cubes d’eau douce, ajoutons à cela l’achat des brevets et plusieurs centaines de puits moyens forés pour un milliard de mètres cubes gazeux, sans compter la durée courte de la vie de ces gisements  et  la nécessaire entente avec des pays riverains se partageant ces nappes non renouvelables dont le Maroc, la Libye et la Tunisie

Vers une réforme globale

En résumé, la sécurité énergétique en Algérie pose la problématique de la réforme globale. Il faut entrevoir  d’autres perspectives et éviter cette  mentalité rentière de vouloir faire reposer tout l’avenir d’un pays sur une rente éphémère. La Banque d’Algérie a mis en garde contre l’apparition d’un déséquilibre budgétaire lié à la chute du prix du baril de pétrole. L’Algérie peut-elle continuer à fonctionner à un cours variant entre 115 et 120 dollars ? L’Algérie ne risque-t-elle  pas, en continuant dans cette voie suicidaire de dépenser sans compter, d’éponger le fonds de régulation des recettes  et ses réserves de change, en cas d’un cours  tournant autour de 70 dollars à prix constants ? La  situation serait intenable avec d’inévitables remous sociaux et politiques comme l’a montrée l’expérience des impacts de la chute des cours des hydrocarbures en 1986, avec des ondes de chocs entre 1989 et 2000. En bref, l’Algérie a besoin d’institutions durables et modernes et de s’insérer au sein de grands espaces. Au Maghreb, ne serait-ce que dans le domaine de l’eau et de l’énergie, il y a la place pour des chantiers fantastiques. Mais chacun des pays concernés doit cesser de se considérer uniquement comme un fournisseur ou un consommateur d’énergie. Le co-développement  et le co-partenariat avec  des partenaires  étrangers peuvent  être le champ de mise en œuvre de toutes les idées innovantes, l’avenir étant au sein des espaces euro-méditerranéens africains.

L’Afrique, continent d’avenir à enjeux multiples,  avec 25 % de la population mondiale, des ressources  tant matérielles qu’humaines  considérables, sous réserve de sous-régionalisations homogènes, de la valorisation de l’économie de la connaissance évitant cet exode massif de cerveaux et d’une meilleure gouvernance, sera  la locomotive de l’économie mondiale à l’horizon 2030-2040.