L’ETS est l’instrument principal de l’UE pour réaliser une décarbonisation à moindre coût !

OLIVIER IMBAULT

Publié le 10/09/2017

8 min

Publié le 10/09/2017

Temps de lecture : 8 min 8 min

Olivier Imbault, président du groupe de travail énergie et changement climatique de BusinessEurope, membre du bureau « énergie, compétitivité, climat » au Medef et directeur énergie et affaires industrielles Europe d’Air liquide revient pour Gaz d’aujourd’hui sur le concept européen de marché du carbone et les différents enjeux qui lui sont associés.

Propos recueillis par  L.I.

En préambule, pouvez-vous dire nous quelques mots sur le marché du carbone ?

Le système communautaire d’échange de quotas d’émissions (SCEQE), plus communément appelé système ETS (emission trading scheme) est un mécanisme de droits d’émissions de CO2, mis en œuvre au sein de l’Union européenne pour diminuer les émissions des grands sites industriels – environ 40 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) en Europe. S’il est surtout connu d’un public averti, il n’en reste pas moins le seul outil fondé sur des mécanismes de marché au sein de l’UE, destiné à mettre en place une limitation des émissions de GES et un marché du carbone, permettant à chaque entreprise d’acheter ou de vendre ses « droits à émettre ». Ces quotas sont attribués gratuitement ou aux enchères par chaque État. Lors de son lancement, en 2005, l’ETS constituait le plus grand système d’échange de crédits carbone au monde. Sa mise en œuvre a été prévue en plusieurs phases. Nous sommes aujourd’hui en phase 3 et l’UE prépare activement l’entrée dans la phase 4, prévue en 2021.

Pourquoi la réforme du marché européen du carbone était-elle nécessaire ?

Cette réforme était prévue dans les textes. La Commissions européenne a publié en 2015 un projet de réforme du marché du carbone pour l’après 2020, qui durcit les conditions d’octroi des quotas d’émissions, pour répondre à la nouvelle ambition affichée par l’UE, à savoir une réduction des émissions d’au moins 40 % [par rapport à 1990, NDLR] d’ici à 2030. En l’espace de dix ans, l’UE espère doubler ses efforts de réduction. C’est un coup d’accélérateur sans précédent pour lequel une révision des règles s’imposait. Cette révision était aussi nécessaire pour pallier à un certain nombre de dysfonctionnements qui empêchent le système des ETS de fonctionner en l’état. Les différentes réglementations mises en place depuis 2008 [marché carbone et simultanément objectifs contraignants sur la part des énergies renouvelables et l’amélioration de l’efficacité énergétique, NDLR] ont mis à mal l’ETS, car elles ont créé une accumulation d’instruments politiques qui se sont chevauchés, entraînant une baisse de la demande et un excédent d’offre, précipitant de facto un écroulement du prix. La révision était nécessaire aussi parce que les mécanismes de l’ETS actuel sont trop rigides. Depuis 2009 et la crise, le mécanisme d’attribution des quotas gratuits fondé sur les productions historiques n’est plus représentatif. Un nombre important de secteurs industriels, en phase 2, se sont retrouvés en excédent. Fin 2012, le surplus était évalué à 2 milliards de quotas (plus d’une année d’émissions). Tous ces crédits sur le marché ont créé un énorme déséquilibre. En 2015, l’UE a décidé d’amender les mécanismes de la phase 3, avec la mise en place d’un nouveau dispositif (MSR) qui doit « mettre en réserve » le surplus. Aujourd’hui, l’excédent est évalué à 1,8 million d’euros.

Quels sont les enjeux de la renégociation du système européen d’échange de quotas de CO2 ?

Il s’agit tout d’abord de faire fonctionner l’ETS et de permettre ainsi de décarboner l’industrie européenne au moindre coût en assurant la mise en place d’un mécanisme qui permette au secteur de l’énergie de pouvoir investir. Cependant, s’il faut que le marché donne un signal prix aux énergéticiens, il doit dans le même temps s’assurer que le mécanisme protège de la compétition internationale les industriels « vertueux », ceux qui acceptent de mettre en place de meilleurs pratiques de production pour diminuer leurs émissions.

Quels sont les points de concordance et de divergence entre les vingt-huit pays de l’UE ?

Les pays s’expriment au sein du Conseil et ont adopté une position commune le 28 février dernier (dite « general approach »). Cette position est amenée à évoluer dans cadre de la négociation entre le Conseil, le Parlement et la Commission (trilogue). Chaque pays, en fonction de son industrie et de la nature de ses ressources énergétiques, défend ses propres intérêts.

« Un signal prix permettant aux cogénérations de réintégrer le marché. »

Quelles sont les préconisations de BusinessEurope en la matière ?

Notre première préconisation et la plus importante concerne le fonctionnement du marché. L’ETS est l’instrument principal de l’Union européenne, le seul fondé sur un mécanisme de marché, qui amène à une décarbonisation au moindre coût. Il faut tout d’abord restaurer l’équilibre offre-demande des crédits carbone afin de retrouver un signal prix permettant d’investir dans les technologies bas carbone sans recourir systématiquement aux subventions publiques. Nous soutenons la position du Conseil et du Parlement qui proposent d’accélérer les mécanismes de MSR à travers le taux qui passerait de 12 % à 24 % dès 2019. BusinessEurope a d’ailleurs publié une étude du cabinet de consulting FTI, le 6 juillet dernier, qui évalue l’impact de cette accélération, à savoir un prix entre 33 et 36 euros la tonne d’ici à 2030. Cette étude montre aussi que les cogénérations pourraient devenir de nouveau compétitives si les préconisations de BusinessEurope étaient suivies par les parties prenantes. Il faut ensuite protéger nos secteurs industriels manufacturiers, car si le prix augmente, il doit y avoir une garantie donnée aux industriels « vertueux », les « best performers » investissant dans les technologies bas carbone les plus avancées, de ne pas avoir un coût règlementaire additionnel. Pour cela, BusinessEurope préconise une augmentation, si besoin est, de 5 % des quotas gratuits pour éviter tout surcoût pour les meilleurs performeurs. Pour réussir également, il faut éviter les risques de distorsion à l’intérieur du marché européen : tout d’abord en allant plus loin que la simple catégorisation des secteurs en évaluant aussi les sous-secteurs à risque (carbon leakage) et ensuite en limitant les différences de compensation des surcoûts de l’électricité pratiquées par les pays (coûts indirects). Enfin, il faut renforcer les fonds d’innovation. Les crédits achetés sont une recette pour les États, elle doit être allouée vers l’innovation et les technologies de décarbonation.

PHASE 1 (2005-2007)
– Phase pilote : établir un prix du carbone + les quotas nationaux.
PHASE 2 (2008-2012)
– Allocation gratuite des quotas aux installations. Si elles dépassent leurs quotas, les entreprises peuvent adapter leurs outils ou acheter, au prix du marché, des quotas supplémentaires.
PHASE 3 (2013-2020)
– Renforcement du système dans l’optique d’obtenir une baisse de 20% des émissions de GES en 2020 (par rapport à 1990). Les producteurs d’énergie achètent les quotas et les secteurs manufacturiers reçoivent une partie des quotas gratuits calculés sur les meilleures pratiques (benchmarks) de production, le reste étant acheté sur le marché.
PHASE 4 (2021-2030)
– Baisse des émissions de GES de 40 % (par rapport à 1990) d’ici 2030 (diminution annuelle du cap de 2,1 % par rapport à 1,74 % en phase 3). La Commission propose de figer à 43 % du cap le montant des quotas gratuits.

« Le temps du marché n’est pas celui de la politique ! »

Est-ce que l’avenir des ETS semble assuré avec cette réforme ? Ou est ce qu’il peut être remis en question avec par exemple la mise en place des « emissions performances standard » (EPS) ?

Il peut l’être si l’on arrive à prendre en compte le système dans sa globalité alliant énergéticiens et industriels, en évitant les superpositions de règlementations et en donnant du temps au marché pour fonctionner. Mais nous savons tous que le temps du marché n’est pas celui de la politique ! C’est pourtant le seul outil viable et soutenable, c’est le seul marché harmonisé réellement européen qui inclut tous les États. Il ne faut oublier que le marché du carbone est un outil qui a permis de rendre totalement transparent toutes les émissions en Europe. Si ce système est soutenu, il n’y a aucun intérêt à appliquer celui des EPS. Le marché carbone est un formidable outil, mais il est très mal utilisé en Europe. Sans amélioration du marché carbone européen il est probable que la Chine, qui prévoit d’intégrer cette année ses sept projets pilotes dans le marché national, parvienne avant les européens à établir un marché carbone performant.