Les défis énergétiques de la France

Publié le 14/03/2017
9 min
L’Agence internationale de l’énergie (AIE) a remis le 17 janvier son rapport 1 sur la politique énergétique de la France. Si l’agence reconnait volontiers les efforts faits pour décarboner notre secteur énergétique, elle pointe aussi notre lenteur dans le déploiement des énergies renouvelables. Analyse
Par Laura Icart
Sept ans après leur dernière étude (janvier 2010), l’AIE publie un nouveau rapport sur notre système énergétique. Une analyse qualitative qui identifie les progrès et les défis à venir en matière de politique énergétique française et émet une série de recommandations pour améliorer les politiques menées. L’occasion de mettre en avant les progrès réalisés par la France pour sécuriser son approvisionnement énergétique et les nombreuses réformes mise en place pour aller vers une économie plus décarbonée et une croissante verte. L’occasion aussi de pointer l’insuffisance d’ouverture du marché hexagonal de l’énergie aux opérateurs privés. « Un manquement important » selon l’AIE qui préconise « une libéralisation du secteur et la fin du monopole d’EDF ». Le rapport relève également les nombreux défis qui attendent notre pays, notamment dans le secteur des énergies renouvelables dont la vitesse de déploiement n’est pas jugée satisfaisante.
Des progrès notables
L’AIE félicite la France pour la mise en place de réformes qu’elle considère comme déterminantes en faveur d’un modèle énergétique durable et d’une économie plus sobre et souligne que l’intensité carbone de l’économie française, déjà inférieure de moitié à la moyenne des pays membres de l’AIE, a baissé de près de 30 % par rapport à son taux de 2004 (contre une baisse moyenne de 20 % pour les autres pays membres sur la même période). Les émissions de CO2 issues de la combustion d’énergie ont connu un rapide déclin, exception faite du secteur des transports. Elément important souligne le rapport : la fermeture de nombreuses centrales à charbon depuis 2012, représentant une capacité de 3,3 gigawatts (GW) et la volonté de l’État français de poursuivre sur cette voie avec la fermeture de toutes les centrales au fuel encore en fonctionnement.
Des défis à relever
Depuis l’organisation de la 21e Conférence des parties (COP21) des Nations unies en décembre 2015 et la signature de l’accord de Paris, la France est devenue selon l’AIE « un précurseur mondial dans la lutte contre le changement climatique » en se dotant d’un nouveau cadre de gouvernance pour intégrer et organiser la transition énergétique à l’horizon 2030. Si notre pays possède un mix énergétique sobre en carbone (47 % de notre énergie est issue des combustibles fossiles), qui s’explique par le rôle important de l’énergie nucléaire (46 % du mix énergétique), l’AIE salue l’adoption au mois d’août 2015 de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) qui a engagé la France dans la transformation de son système énergétique. Avec elle, la France s’est fixée des objectifs contraignants aux horizons 2030 et 2050 et s’est dotée d’une stratégie nationale bas carbone (SNBC) qui permettront dans un futur proche la mise en œuvre de nouvelles politiques et de nouveaux outils comme la mise en place de budgets carbone sur cinq ans et une PPE renforcée. La LTCEV, avec un objectif de 40 % de réduction de GES à l’horizon 2030, a permi également l’accélération de mesures dans le secteur de l’industrie, des transports et du bâtiment. Autre point positif : la trajectoire de la composante carbone permettra « d’encourager l’amélioration de l’efficacité énergétique » ainsi que « les solutions technologiques sobres en carbone. » Si l’AIE sort volontiers de sa réserve pour qualifier la LTCEV de « réalisation remarquable » en incitant les pays partenaires de l’AIE à « s’en inspirer », elle émet en revanche des doutes sur la capacité de l’État français à tenir ses objectifs en matière d’énergie renouvelable. En 2016, la part de l’énergie renouvelable dans notre mix énergétique était de l’ordre de 16,5 % et si cette part augmente depuis plusieurs années, l’AIE est sceptique sur la l’objectif affiché d’arriver à couvrir d’ici à 2023 23 % de la consommation d’énergie grâce aux renouvelables. Des retards significatifs sont enregistrés pour l’énergie hydraulique, éolienne et thermique. Également pointé du doigt le manque de visibilité à long terme sur le financement des mesures annoncées. Pour tenir ses objectifs ambitieux, notre pays devra « mobiliser des investissements significatifs afin d’augmenter la part des énergies renouvelables, d’améliorer l’efficacité énergétique, de fermer ou de prolonger la durée de vie de ses centrales nucléaires » et c’est un « défi qui reste à relever ».
Sécurité énergétique et ouverture des marchés
La transformation de notre système énergétique doit permettre, selon l’AIE, de renforcer la sécurité énergétique, d’encourager une croissance verte et de rendre l’électricité plus accessible sur le long terme. Mais elle a également des implications sur le maintien de la sécurité énergétique durant la phase de transition, en particulier dans un contexte de vieillissement du parc nucléaire.
L’importance de l’énergie nucléaire dans notre pays marque profondément notre secteur énergétique puisqu’elle représentait en 2015 46 % de l’approvisionnement énergétique primaire total et 78 % du mix de production d’électricité. Avec un parc âgé en moyenne de trente ans, la France se prépare à une phase de transition. Mais l’objectif français de réduire à 50 % la part du nucléaire dans le mix électrique à l’horizon 2025, impliquant la fermeture de nombreuses centrales, semble déjà presque inatteignable pour l’AIE, si une stratégie claire sur le long terme n’est pas mise en place, pour éviter une hausse du prix final de l’électricité mais aussi la fiabilité de l’approvisionnement en France. En revanche l’agence salue les efforts engagés par la France pour développer la participation des effacements de consommation sur tous les marchés (énergie, capacité, équilibrage), dans la mise en place de programmes d’aides ciblés à destination des ménages les plus modestes comme le chèque énergie mais aussi pour le lancement en 2017 d’un mécanisme de capacité afin de garantir l’aptitude du système énergétique à répondre aux pics de demande et à intégrer une part croissante d’énergies renouvelables intermittentes. La suppression des tarifs réglementés pour les utilisateurs de gaz et d’électricité non résidentiels depuis le 1er janvier 2016 a été également un pas positif vers la fixation de prix par des mécanismes de marché dans les secteurs du gaz et de l’électricité. De fait, le rapport recommande l’élimination des tarifs réglementés de vente de l’électricité et du gaz pour les particuliers. Si sur le marché de gros du gaz, le niveau de compétition et les volumes échangés sur les hubs français ainsi que l’intégration des marchés entre le nord et le sud sont des points positifs, l’AIE est beaucoup plus réservée sur l’ouverture du marché de l’électricité qu’elle juge « à la traîne » et « toujours en situation de monopole ». Elle préconise une ouverture à la concurrence plus équitable.
Télécharger le rapport de l’AIE
• Garantir la visibilité à long terme du financement de la transition énergétique, en s’appuyant sur la programmation pluriannuelle de l’énergie et sur la trajectoire de prix du carbone, et évaluer les progrès obtenus.
• Tout en atteignant son objectif de 50 % de nucléaire dans le mix de production d’électricité en 2025, assurer sur la durée la sécurité d’approvisionnement électrique et maintenir une faible empreinte carbone en effectuant une analyse prospective des évolutions de l’offre et de la demande. Tenir compte des aspects économiques et relatifs à la sûreté dans le processus de décision sur l’exploitation à long terme des centrales françaises de générations II et III.
• Poursuivre l’élargissement de l’assiette fiscale pour le financement du soutien aux énergies renouvelables en répartissant les coûts entre tous les groupes de consommateurs d’énergie. Raccourcir davantage les délais d’obtention des autorisations nécessaires, préparer l’implantation de parcs éoliens terrestres et offshore ainsi que leur raccordement au réseau électrique.
• Dans la programmation pluriannuelle de l’énergie et le programme national d’amélioration de l’efficacité énergétique, clarifier les actions nécessaires pour atteindre les objectifs ambitieux concernant le chauffage et la rénovation des bâtiments, et pour réduire la précarité énergétique comme proposé par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte. Faire de l’efficacité énergétique dans les petites et moyennes entreprises une priorité politique et mettre à profit le rôle des entreprises dans la transition énergétique pour une croissance verte.
• Continuer à œuvrer pour l’ouverture du marché, la concurrence et pour rendre les consommateurs acteurs sur les marchés du gaz et de l’électricité. Renforcer les ressources des autorités chargées des questions de régulation et de protection des consommateurs et envisager l’élimination progressive des tarifs réglementés de vente pour les consommateurs domestiques.
1 Energy Policies of IEA Countries, France 2016.