« Le monde énergétique n’échappe pas à la révolution digitale » 

Publié le 21/02/2018

9 min

Publié le 21/02/2018

Temps de lecture : 9 min 9 min

Yves Le Gélard, directeur des systèmes d’information d’Engie, évoque pour nous la nouvelle place du digital et les enjeux liés à la collecte des données dans le domaine énergétique.

Propos recueillis par Laura Icart

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Chez Engie, le digital se divise en trois domaines. Pouvez-vous nous en dire plus sur chacun d’entre eux ?

La transformation digitale du groupe prend appui sur trois ruptures technologiques majeures : la mobilité, c’est-à-dire la capacité à proposer des services mobiles à nos clients et à nos collaborateurs, le big data ou la capacité à exploiter des grands volumes de données et l’internet des objets avec la capacité à connecter des objets. Ces ruptures ont donné naissance à trois domaines majeurs pour l’application du digital chez Engie : la « customer experience » ou comment enrichir l’expérience client sur tous les segments, la « digital operations » ou développer l’excellence opérationnelle et diminuer les coûts d’exploitation des actifs industriels et l’« entreprise 4.0 » pour aider à la transformation du groupe et améliorer les modes de fonctionnement interne. Grâce à cela, le groupe va transformer la façon de produire l’énergie, la distribuer et accompagner ses clients dans son utilisation.

Quelles sont pour vous les étapes clés de cette révolution digitale qui s’opère chez Engie mais aussi dans le monde énergétique en général ?

On entend beaucoup parler d’objets connectés, de solutions de mobilité, de renouvelable, d’« ubérisation » de l’énergie, de home energy management, de data centric ou encore de smart grid. Aujourd’hui, une chose est certaine : le monde énergétique n’échappe pas à cette révolution digitale et toute la chaîne de nos activités, tant côté clients que collaborateurs, est impactée. Mais il faut voir cette révolution comme une opportunité. Elle nous a permis de repenser nos modes de fonctionnement en profondeur, qu’il s’agisse de l’expérience client, du développement d’outils technologiques ou de la transformation RH du groupe. Ainsi, dès 2016, grâce à une méthodologie design-thinking conduite auprès de toutes nos business units, les parcours client Engie et les difficultés rencontrées ont pu être redéfinis. Cette approche nous a également permis d’identifier de nouveaux services potentiels : prévision de la consommation, flexibilité énergétique, comparateurs de coûts, omnicanalité, assistance virtuelle via des « chatbots »… La création d’Engie Digital, également en 2016, a permis de générer des plateformes technologiques pour construire ou développer des services liés aux cas d’usages identifiés. Nous travaillons à construire un écosystème conséquent grâce à des partenariats mondiaux réputés. En deux ans, nous avons réussi à insuffler une culture digitale dans chaque entité du groupe : chaque collaborateur prend peu à peu la mesure de la transformation qui est en cours et des changements que cela implique, quel que soit le pays dans lequel il travaille. Mais l’enjeu majeur réside au niveau de la transformation RH, managériale et culturelle du groupe. Ce mouvement s’inscrit dans la durée et Engie s’y est engagé avec détermination. Nous venons de finir le déploiement d’Office 365 dans le groupe. Pourquoi ? Les services cloud favorisent la collaboration, la transversalité, la rapidité et nous permettent d’être plus performants en tant que « one group ». C’est à la fois une histoire d’outils, de mise en place des infrastructures et organisations nécessaires au bon déroulement de ce déploiement, mais aussi d’état d’esprit interne face au changement. C’est aussi ça, la révolution digitale.

Pourquoi, selon vous, les notions d’efficacité énergétique et de big data sont-elles étroitement liées ?

Vous le savez, l’efficacité énergétique vise à réduire les dépenses énergétiques et limiter le dérèglement climatique, c’est pourquoi mesurer, réguler et gérer les consommations devient clé. Ces leviers ne peuvent être actionnés à grande échelle sans l’aide du big data. Il faut en effet savoir allier la richesse et la variété des données pour agir dans la gestion de la consommation. L’exemple des bâtiments est incontournable, quand on connaît leur niveau de consommation d’énergie. Aujourd’hui, la mesure précise de leurs consommations devient possible grâce à l’installation de compteurs communicants et de capteurs. L’analyse des données recueillies et la mesure d’éléments externes permettent ainsi de prendre les bonnes décisions pour réaliser des économies et gérer l’énergie du bâtiment grâce à des systèmes intelligents autonomes. L’intégration du big data dans nos activités est donc un enjeu clé de l’optimisation énergétique.

Pouvez-vous donner des exemples concrets mis en place par Engie (et/ou ses filiales) pour, à partir des données collectées, construire des parcours plus adaptés aux besoins de ses clients ?

Grâce à notre partenaire C3 IoT qui analyse des données issues des compteurs communicants et la plateforme d’Engie Digital, notre application Mastermind propose depuis début 2017 une expérience plus riche au client : une meilleure compréhension de sa facture, pourquoi elle évolue et comment ; une visibilité sur les factures à venir et la possibilité d’ajuster les mensualités ; des conseils sur les actions d’efficacité énergétique à réaliser ; ou encore une mesure d’impact de son comportement ou de travaux réalisés sur sa consommation d’énergie. Pour le B2B, nous avons lancé Clara Domus en Italie. Clara Domus est une solution de pilotage de la consommation d’énergie des immeubles de bureaux et donne une vue complète de la consommation d’énergie par bâtiment et pour tout type d’énergie et usage.

Revenons à la collecte de données : va-t-elle uniquement reposer sur le compteur ?

Pas uniquement. Il existe d’autres sources de données comme l’IoT et les capteurs par exemple. Pour optimiser la performance opérationnelle, maximiser la production et réduire les coûts, l’entité « énergies renouvelables » a mis en place la plateforme Darwin. Elle recueille, analyse et interprète en temps réel les informations communiquées par l’ensemble des capteurs des installations connectées (vitesse du vent, puissance active, température des principaux composants, vibrations, etc.), ainsi que des données externes comme les prévisions météorologiques, ou les informations sur le marché de l’électricité. Toutes ces données, stockées sur le cloud, sont analysées, comparées et restituées. Les fonctions développées sur l’outil permettent, à partir de ces données, d’inter-comparer les machines entre elles, de détecter des sous-performances ou anomalies, de rendre possible une maintenance prédictive des parcs et d’aider les exploitants dans leur pilotage et prise de décision. Un autre sujet sur la collecte des données dont le marché parle beaucoup actuellement concerne l’open data. Engie, dont l’ambition est de devenir une « data-driven company » d’ici 2020, se saisit progressivement du sujet. Nous croyons intimement que pour se développer et créer des opportunités de croissance, nous devons ouvrir et partager nos données – en interne dans un premier temps. Les données dans le groupe étant aujourd’hui cloisonnées et silotées, un travail est en cours pour faire de nos données un véritable bien commun.

Avec toutes ces données disponibles, la question de la cybersécurité est primordiale et sensible. Comment le groupe Engie répond-il à cet enjeu ?

La protection des données est effectivement une priorité pour Engie. De nombreuses solutions ont été déployées ou sont en cours d’étude pour améliorer en permanence la sécurité de cette valeur fondamentale pour le groupe : tout d’abord la sécurité de notre plateforme digitale, à travers l’intégration de jalons dans le processus projet, et la sécurisation des infrastructures, notamment notre plateforme big data ; ensuite en développant également la supervision sur l’ensemble de nos infrastructures, qu’elles soient internes ou dans le cloud, en mettant en place un centre de supervision opérationnelle des attaques cyber (« SOC global »). Nous étudions aussi la possibilité d’améliorer la sécurité de nos données en favorisant la culture de la classification au sein du groupe et en déployant les outils adaptés à ces niveaux de classifications (droits d’accès aux données, chiffrement…). Nous avons également inclus la protection des données personnelles dans nos actions de cybersécurité, en prenant en compte les spécificités dictées par les différentes règlementations internationales et notamment le règlement européen (RGPD1).

L’Union européenne a préconisé une meilleure communication des cyberattaques et incidents de cybersécurité entre les pays membres. Travaillez-vous déjà avec vos homologues sur cette question de la sécurisation des données ?

Engie travaille, comme tous ses homologues, à répondre au mieux aux nouvelles réglementations cybersécurité en cours de généralisation au sein de l’Union européenne (directive « NIS » en Europe, loi de programmation militaire en France, RGPD). Ces réglementations prévoient effectivement une communication des cyberattaques aux autorités compétentes. À ce titre, Engie a mis en place un programme de cybersécurité qui prend en charge ces contraintes, en particulier à travers la mise en place du « SOC global ». Nous travaillons pour cela avec l’aide de partenaires externes ou de nos propres centres de compétences cyber (Engie Lab, Engie Ineo, Engie IT) et nous échangeons régulièrement sur ces sujets avec les autorités ou d’autres sociétés confrontées aux mêmes problématiques.

1 Règlement général sur la protection des données.