Le gaz a un rôle important à jouer dans la transition énergétique

Thierry TROUVE - Directeur General GRT Gaz // Thierry TROUVE - GRT Gaz, French gaz company Chief Executive Officer

Publié le 17/07/2017

9 min

Publié le 17/07/2017

Temps de lecture : 9 min 9 min

Le directeur général de GRTgaz évoque les projets de son entreprise. Il rappelle les ambitions fortes en matière de transition énergétique et les enjeux à venir pour le gaz à l’échelle internationale.

Propos recueillis par Laura Icart

 

Vous avez été reconduit à la tête de GRTgaz pour un mandat de quatre ans. Vous avez notamment placé votre nouvelle mandature sous le signe de la transition énergétique. Pouvez-vous nous dire quels sont les grands projets et les nouveaux défis qui attendent GRTgaz ces prochaines années ?

Thierry Trouvé : Après une décennie d’investissements, nous nous concentrons désormais sur GRTgaz 2020, notre nouveau projet d’entreprise structuré autour de deux ambitions stratégiques : être un acteur résolument engagé dans la transition énergétique et s’affirmer toujours plus comme un leader des infrastructures gazières en Europe. À GRTgaz, nous avons la conviction que le gaz a un rôle important à jouer dans la transition énergétique, ce que beaucoup de gens ignorent. Le grand public et la classe politique méconnaissent souvent la richesse des solutions apportées par le gaz. En France, le potentiel de production des projets de biométhane actuellement connus s’élève à 6 térawattheures par an (TWh/an), ce qui représente une vraie opportunité pour la transition énergétique. De même, le recours au gaz carburant pour les véhicules de plus de 3,5 tonnes, pour le transport de marchandises et de personnes, est la seule alternative crédible au diesel pour répondre aux problèmes de santé publique. Nous nous engageons donc dans un véritable travail de pédagogie. La Commission de régulation de l’énergie (CRE) nous a octroyé des moyens supplémentaires dans le cadre du tarif 2017-2021 pour mener des actions majeures en ce sens : une grande campagne de communication pour promouvoir le gaz à l’automne, l’ouverture d’un bureau à Bruxelles ou encore le renforcement de notre présence territoriale et de notre effort de R&D. Par ailleurs, aujourd’hui, nous faisons plusieurs constats. D’une part, les sources d’approvisionnement évoluent avec à la fois une production de biométhane très localisée et la recherche de nouvelles routes pour le transport du gaz. D’autre part, la production gazière est en baisse aux Pays-Bas et elle le sera probablement à terme en mer du Nord. Tout ceci dans un contexte de baisse modérée de la consommation liée en partie à l’efficacité énergétique. La création d’une zone de marché unique fin 2018 et la poursuite de la convergence européenne représentent également des enjeux forts pour GRTgaz afin de répondre à ces évolutions du marché gazier.

Le réseau de gaz vit une révolution numérique. GRTgaz mise sur plusieurs pratiques innovantes. Qu’en est-il notamment des installations de rebours ?

C’est un sujet nouveau. Les installations de rebours doivent permettre d’inverser le flux d’énergie du réseau de distribution vers le réseau de transport. Nous estimons qu’une trentaine d’installations de rebours, représentant un investissement de 100 millions d’euros, seront nécessaires en France à l’horizon 2025 et ce en considérant que six cents installations de biométhane seraient alors en activité. Ces installations industrielles devront être intelligentes, c’est-à-dire capables de fonctionner selon l’état de la production et de la consommation sur la distribution publique, mais aussi de la situation sur le réseau de transport. Il nous reste donc toute une intelligence à mettre en place pour piloter ces installations afin notamment de pouvoir adapter leur fonctionnement aux besoins des réseaux en amont et en aval. En juin dernier, GRTgaz a lancé deux pilotes dont la mise en service est prévue en 2019 : l’un à Pontivy en Bretagne et l’autre à Pouzauges en Pays de la Loire. Nous devons également travailler avec le régulateur afin de définir qui supportera la charge des futures installations de rebours au-delà de la phase pilote.

Et pour votre projet de smart grid ? Quels sont les nouveaux outils utilisés par GRTgaz pour rendre le réseau de transport plus intelligent ?

Notre réseau est déjà très intelligent ! Il ne vit pas un saut aussi important que les réseaux de distribution avec l’arrivée des compteurs intelligents. Mais nous avons l’ambition de développer des outils toujours plus performants dans le traitement de la donnée, à l’intention de nos clients traditionnels et de nouveaux clients comme les producteurs de biométhane. Améliorer l’efficacité du système gaz est aussi l’une de nos priorités, facilitée par les nouvelles technologies comme le big data, qui devraient nous permettre de progresser dans la gestion de notre outil industriel. Réseau plus intelligent signifie enfin couplage des systèmes énergétiques existants. Historiquement, les systèmes électriques et gaziers ont eu des vies séparées. Ils se sont rapprochés ces dernières années avec la cogénération, puis les centrales à cycle combiné gaz. Demain, nous travaillerons même dans l’autre sens en stockant l’électricité avec le power to gas. Tout ceci illustre la synergie et la complémentarité qui existent entre nos deux énergies. Nous avons besoin du système électrique pour fonctionner, tout comme RTE a besoin du système gaz, notamment en période froide. Le système gaz sait déjà répondre aux deux problématiques majeures des électriciens grâce à sa très grande flexibilité et sa capacité à stocker beaucoup d’énergie sur de longues périodes. Il faut donc aller plus loin, vers une véritable hybridation des systèmes énergétiques, y compris à des niveaux plus décentralisés, en misant sur la micro-cogénération à domicile ou encore les pompes à chaleur couplées avec des chaudières à gaz. Ceci permettra à la collectivité de trouver le meilleur optimum, toutes énergies confondues.

« Nous avons l’ambition de développer des outils toujours plus performants dans le traitement de la donnée. »

Vous avez présenté avec TIGF votre Winter Outlook 2017-2018 fin mai et les risques qui pèsent sur l’hiver à venir. En se projetant plus loin dans le temps, quels sont les risques qui pèsent à long terme sur le système gazier ?

Aujourd’hui, il y a un consensus général autour des règles applicables aux stockages. C’est un système à bout de souffle ! Il est urgentissime de le réformer ! Deux points me semblent essentiels : les stockages situés sur le territoire français sont indispensables à la sécurité d’approvisionnement et les coûts correspondants doivent être payés. Il faut donc réguler cette activité pour que le coût soit acceptable pour les acteurs et revisiter le système d’obligations de stockage. La réglementation actuelle est décriée et incomplète. Si l’obligation de stockage existe déjà, un certain flou subsiste quant à son application et quant aux risques encourus en cas de manquement. Le corpus réglementaire a besoin d’être clarifié et, ce, malgré la publication début août de l’arrêté précisant certaines modalités concernant d’autres moyens de modulation. Au-delà du sujet du stockage, il y a une autre question qui se profile, liée à la sous-utilisation des terminaux méthaniers ces dernières années. Avec la fin prochaine d’un certain nombre de contrats long terme, une réflexion s’impose pour s’assurer que le GNL puisse continuer à arriver en France, permettant ainsi un fonctionnement optimum des infrastructures françaises et la sécurité d’approvisionnement de l’ensemble des consommateurs de gaz.

Le tarif ATRT6, entré en vigueur en avril dernier, est marqué par des évolutions importantes de l’offre « aval » concernant le réseau régional et les conditions de raccordement. Avez-vous constaté, à ce stade, des retours particuliers en lien avec ces deux nouvelles mesures ?

Le plafonnement du niveau de tarif régional (NTR) et la création d’une  « remise développement » ont déjà des effets positifs que l’on commence à mesurer. Un premier client a signé un contrat de raccordement à la suite de ces nouvelles mesures et plusieurs contacts avancés pourraient aboutir avec des industriels et des gestionnaires de réseaux de distribution. Plus de dix de clients ont augmenté leurs capacités d’acheminement de l’ordre de plusieurs gigawattheures par jour.

Comment GRTgaz appréhende l’échelon européen ? Selon vous, les propositions faites par la Commission européenne dans le cadre de la directive gouvernance vont-elles dans le bon sens ?

Les questions européennes sont essentielles pour GRTgaz. Un grand nombre de décisions sont prises à Bruxelles. Au-delà de nos actions au travers du groupement d’intérêt économique (GIE) et de l’Entsog [association des opérateurs de transport de gaz européen, NDLR], il était très important pour nous d’être présents physiquement à Bruxelles. Nous allons donc ouvrir un bureau dès septembre. Nous avons des intérêts spécifiques à défendre et parfois nous devons porter des messages qui nous sont propres et qui ne peuvent pas être relayés de manière consensuelle. Pour ce qui est de la directive gouvernance, nous sommes en désaccord avec le projet d’évolution des règles de gouvernance de l’Agence de coopération des régulateurs de l’énergie (Acer). C’est une réelle inquiétude pour nous, partagée par beaucoup de régulateurs nationaux, mais aussi par les opérateurs des grands pays gaziers européens, qui s’inquiètent de voir une centralisation excessive des décisions en matière d’énergie. Ce genre d’orientation éloigne les institutions européennes des réalités de terrain et, à mon sens, contribue à la montée de sentiments anti-européens dans la population observée un peu partout actuellement.