La transition énergétique en Méditerranée doit s’accélérer !

Houda Allal, directrice générale de l’Observatoire

Publié le 19/10/2016

7 min

Publié le 19/10/2016

Temps de lecture : 7 min 7 min

Houda Allal, directrice générale de l’Observatoire méditerranéen de l’énergie (OME), revient pour Gaz d’aujourd’hui sur les très grandes ressources de la Méditerranée orientale et sur ses perspectives de développement dans un futur pas si lointain.

Propos recueillis par Laura Icart

La Méditerranée orientale dispose peut-être du plus grand potentiel gazier offshore découvert ces dernières années. Est-ce une chance pour cette région ?

Les ressources en hydrocarbures sont effectivement très importantes sur cette zone. À l’exception de l’Égypte, productrice de gaz, c’est une région nouvelle, bien qu’on ait toujours su son potentiel. C’est au début des années 2000, avec les découvertes en eaux profondes au large d’Israël et de Gaza, que les explorations se sont accélérées. La découverte de Tamar en 2009 et de Leviathan en 2010, puis d’Aphrodite à Chypre en 2011, ont déclenché une série d’explorations en eaux profondes dans l’est méditerranéen. La découverte de Zohr en août 2015 en Égypte et ses immenses réserves sont la preuve de la richesse extraordinaire de cette région. Si l’on estime le potentiel gazier sur le bassin du levantin à 1 265 milliards de mètres cubes, cette région reste encore sous-explorée. On s’attend à de nouvelles découvertes. Dans ce contexte, le gaz peut être une chance, parce qu’il y a un marché très important, il peut l’être également pour l’Europe pour sécuriser ses approvisionnements. Mais en réalité, deux éléments sont fondamentaux pour parler du gaz comme d’une chance en Méditerranée : convertir les réserves en production et faire bénéficier toutes les parties prenantes de la manne gazière, dans une région où les tensions géopolitiques sont nombreuses.

« Zohr, c’est 850 milliards de mètres cubes de gaz qu’il est possible d’extraire. »

Plateforme en mer gérée par Eni

Zohr est une découverte fantastique pour le groupe Eni et pour l’Égypte qui possède un marché considérable en termes de demande intérieure et qui a le potentiel de redevenir exportateur. Zohr, c’est 850 milliards de mètres cubes de gaz qu’il est possible d’extraire. Pour nous à l’OME, cette découverte n’est pas une surprise. En 2011, nous avions publié une étude approfondie sur l’Égypte et sur son potentiel gazier dans les eaux profondes. Nous pensons que le pays sera exportateur entre 2021 et 2022. Avec cette découverte, la carte énergétique de la région est forcément impactée, en particulier dans la nature de ses échanges avec les pays voisins puisque l’Égypte, client potentiel à court terme d’Israël et de Chypre, deviendra à long terme un compétiteur.

Quels sont les débouchés et le potentiel des gisements gaziers de Tamar et de Leviathan au large des côtes d’Israël ?

Actuellement,Tamar (300 milliards de mètres cubes) produit plus de 12 milliards de mètres cubes de gaz par an et couvre l’ensemble des besoins en ressources gazières internes à Israël. Il existe des plans pour accroître sa capacité. Pour Leviathan (plus de 620 milliards de mètres cubes), c’est plus complexe. Compte tenu de sa taille, son exploitation et production ne peuvent se justifier que s’il y a un marché pour exporter. On s’attend à ce que les décisions d’investissement final soient prises avant la fin de l’année, avec un objectif de produire avant 2020. Mais cette décision dépend des accords qui seront signés pour sécuriser l’écoulement du gaz. Aujourd’hui, seul l’accord1 signé le 26 septembre entre la Jordanie et Israël est officiel, mais il ne représente pas un volume suffisamment élevé pour justifier à lui seul l’exploitation du champ gazier. Israël œuvre pour trouver d’autres débouchés.

L’Union européenne, l’Afrique du Nord et de l’Est méditerranéen ont créé en 2015 une plateforme euro-méditerranéenne sur le gaz, soutenue l’OME. Présentez-nous cet organisme?

L’idée est née en juillet 2014 à Malte, lors d’une conférence euro-med sur le gaz qui s’est conclue avec un appel pour créer une plateforme euro-méditerranéenne sur le gaz avec deux objectifs principaux : la sécurité de l’approvisionnement en gaz et le développement du gaz (perspectives et marché) dans la région. La plateforme a été lancée en novembre 2014 sous la présidence italienne de l’UE et s’inscrit dans le cadre de l’Union pour la Méditerranée. L’OME assure le rôle de secrétariat de la plateforme. L’organisation, au même titre que l’ensemble des membres de la plateforme, travaille à établir un dialogue structuré au niveau régional pour développer un marché progressif du gaz, assurer la sécurité énergétique et créer une véritable coopération énergétique. La semaine dernière a été présenté à Barcelone2 le programme de travail de la plateforme pour ces deux prochaines années. Deux volets sont prévus : une série d’études prioritaires sera effectuée sur les perspectives gazières notamment ainsi que l’organisation d’événements autour de thématiques comme par exemple le gaz dans la région est-Méditerranée et les hubs gaziers. Une réunion ministérielle est également prévue à Rome le 1er décembre 2016 pour valider ce programme. En 2017, nous allons donc entrer dans une phase bien plus active.

« Assurer la sécurité énergétique et préserver l’environnement tout en favorisant le développement pour l’ensemble des pays de la région sont des enjeux cruciaux. »

L’OME met à jour son étude sur les perspectives de l’énergie dans la Méditerranée à l’horizon 2040. Quels sont les premiers résultats obtenus ?

Ce que je peux dire à ce stade c’est qu’il est absolument essentiel d’accélérer la transition énergétique en Méditerranée et cela pour plusieurs raisons : aujourd’hui, les énergies se trouvent majoritairement au sud de la Méditerranée, tant du point de vue de l’offre que de la demande ; les pays producteurs doivent trouver un équilibre entre les besoins de leur marché interne et le souci de nourrir leurs économies. C’est essentiel à leur développement. Assurer la sécurité énergétique et préserver l’environnement, tout en favorisant le développement pour l’ensemble des pays de la région sont des enjeux cruciaux.

1- Il prévoit de fournir dès 2019 plus de 8 millions de mètres cubes de gaz par jour sur une période de quinze ans. Le montant de la transaction s’élève à 10 milliards de dollars.

2- Deuxième réunion de la plateforme gaz de l’Union pour la Méditerranée, qui s’est tenue le 27 septembre 2016 à Barcelone.