La Russie défendra ses exportations de gaz vers l’Europe

Howard Rogers

Publié le 17/06/2017

10 min

Publié le 17/06/2017

Temps de lecture : 10 min 10 min

Howard Rogers (Oxford Institute)

Howard Rogers a publié des articles de recherche et a rédigé des chapitres sur l’arbitrage des prix du GNL entre les marchés régionaux d’Asie, d’Europe et d’Amérique du Nord, le gaz de schiste aux États-Unis et au Royaume-Uni. Plus récemment, Howard et Jonathan Stern ont rédigé conjointement des articles sur la transition vers une tarification axée sur les hubs en Europe et sur l’évolution des rôles et des risques des principaux acteurs ainsi que sur les défis de la tarification JCC sur les marchés asiatiques de GNL.

L’augmentation imminente de l’approvisionnement mondial en GNL

Depuis 2015, analystes et chercheurs anticipent l’arrivée imminente de volumes importants de GNL sur le marché européen du gaz, alors que des projets d’approvisionnement principalement situés en Australie et aux États-Unis voient le jour et que l’offre de GNL dépasse les besoins propres aux marchés asiatiques. À ce jour cependant, cela n’a pas eu lieu.

Si on se réfère à la précédente hausse de l’offre de GNL apparue dans la seconde moitié des années 2000, les facteurs qui ont expliqué la différence entre les prévisions initiales (invariablement optimistes) et les résultats éventuels en matière de production de GNL sont les suivants.

• Le dépassement des calendriers de construction des projets (souvent liés à une augmentation des coûts supérieure au budget). À noter , le temps que prennent les décisions finales d’investissement : il est généralement de cinq ans, avant tout glissement imprévu.

• Les problèmes de mise en service – un processus de mise en service en douceur pourrait permettre à l’usine de liquéfaction de GNL d’atteindre 90 % de sa capacité nominale dans les neuf mois suivant l’achèvement du projet (parfois plus rapide). Souvent, cependant, l’usine subit des arrêts non programmés et peut rester hors ligne pendant des semaines pendant lesquelles des modifications sont effectuées avant que la mise en service soit de nouveau effective.

• Les problèmes liés au gaz d’alimentation peuvent limiter l’approvisionnement en dessous de la capacité nominale jusqu’à ce que les problèmes en amont soient résolus. Cela peut être un problème temporaire ou de long terme.

• Les projets qui ne parviennent pas à obtenir le FID et qui tombent ainsi à l’arrière-plan des projections.

Si l’on fait une petite rétrospective de l’année 2016, l’offre mondiale de GNL a en fait augmenté de 6 %, mais celle-ci a été consommée par les marchés asiatiques (+ 17 Gm3) et ceux du Moyen-Orient (+ 10 Gm3), avant d’atteindre l’Europe. La demande sud-américaine a baissé quant à elle de 5 Gm3. 50 Gm3 étaient donc disponibles pour l’Europe en 2016. En résumé, 2016 a bien enregistré un début de hausse du marché du GNL mais cette hausse de l’offre a principalement profité aux marchés asiatiques.

Dans l’avenir, toute tentative d’estimation de la croissance de l’offre mondiale à l’horizon 2020 devra d’abord faire face aux incertitudes de la production des installations existantes d’exportation de GNL. Premièrement, il existe une variation saisonnière de la température qui influe sur l’efficacité du procédé de liquéfaction. Cela peut être prédit en fonction des performances passées – mais les contraintes liées au gaz d’alimentation et les questions géopolitiques et de sécurité ont tendance à être imprévisibles dans leur occurrence et leur ampleur. Certaines usines de liquéfaction plus anciennes souffrent également d’une baisse à long terme de la disponibilité des gaz d’alimentation à mesure que la prospective régionale diminue.

Les problèmes liés au démarrage de nouvelles installations, décrits plus tôt, sont difficiles à prévoir. Tout ce que nous pouvons dire, c’est que les entreprises qui ont déjà dépensé des dizaines de milliards de dollars sur de nouveaux projets de liquéfaction ne renonceront pas et partiront avec ces installations à moitié terminées. Ainsi, d’ici 2021, l’offre mondiale de GNL devrait passer de 350 Gm3 (en 2016) à 500 Gm3 à mesure que les problèmes sur les installations existantes sont résolus.

Perspectives mondiales sur le GNL jusqu’en 2021

Alors que la production de GNL est censée augmenter d’ici 2021, la question est maintenant de savoir dans quelle mesure cette nouvelle offre sera absorbée par la demande accrue du marché asiatique régional et, par conséquent, combien de volumes seront envoyés en Europe. Au cours de la période hivernale 2016-2017, le marché a été de façon inattendue particulièrement tendu, en Europe ainsi que dans certaines parties de l’Asie dans la mesure où l’augmentation de l’offre de GNL était incapable de s’améliorer. En 2017, la question brûlante est donc de savoir si l’augmentation de la demande de GNL en Chine cet hiver est liée au phénomène météorologique ou au début d’une tendance à la hausse de la demande de GNL. L’absence de données chinoises sur la demande de gaz, rapides et transparentes, renforce l’incertitude sur cette question. Les demandes d’importations de GNL asiatiques sont saisonnières, exacerbées par le manque de capacité de stockage souterrain et par la tendance à l’achat de cargaisons de GNL d’hiver en supplément des stocks dans les terminaux de regazéification.

Demande mensuelle de GNL asiatique 2015-2021

Le rôle du gaz naturel et du GNL en Asie et le développement de la demande au cours des prochaines années seront essentiels pour comprendre l’impact sur le marché européen des volumes de GNL surabondants laissés par le marché asiatique.

Le rôle du gaz naturel et du GNL en Asie et le développement de la demande au cours des prochaines années seront essentiels pour comprendre l’impact sur le marché européen des volumes de GNL surabondants laissés par le marché asiatique. La position de l’Europe en tant que « marché de dernier recours » est liée à la question de la concurrence entre le gazoduc russe et le GNL en Europe.
Un scénario « faible » de demande de GNL asiatique laisserait des volumes importants de GNL provenant des installations d’exportation existantes et nouvellement achevées en concurrence avec le gaz russe transporté par gazoduc en Europe. Il est à supposer que la Russie défendra ses exportations vers l’Europe à hauteur de 150 milliards d’euros minimum, soit 85 % de ses quantités contractuelles annuelles.
Dans ce scénario, la faible demande de GNL en Asie conduirait dans un premier temps à un excédent de fourniture pour la période 2018 à 2021. Le marché évoluerait au travers de trois mécanismes secondaires, alors que les prix sur le hub européen (et les prix asiatiques spot du GNL) chuteraient en réponse au surplus d’approvisionnement. Les trois mécanismes qui feraient évoluer le marché sont :

• la conversion du charbon vers le au gaz en Europe (selon le niveau des prix du charbon et du CO2) ;

• la demande de GNL induite à bas prix en Asie par les clients industriels qui peuvent accéder aux cargaisons de GNL aux prix spot ;

• la réduction des exportations de GNL des États-Unis – dans la mesure où l’écart des prix entre Henry Hub et les hub européens (et les prix asiatiques spot du GNL) est inférieur au coût variable du transport et de la regazéification pour les acteurs payant le plus cher.

Dans ce scénario, on s’attendrait à ce que les arbitrages maintiennent une forte corrélation entre les prix sur les hub européens et les prix spot asiatiques ainsi qu’un écart resserré entre ces marchés et le Henry Hub pour la période 2018-2021. Si au contraire l’Asie suit un scénario de forte demande de GNL, la perspective d’une surabondance de GNL est considérablement diminuée. Dans ce cas, une croissance plus rapide de la demande de GNL en Asie absorbe les approvisionnements croissants de GNL, ce qui permet aux exportations russes via gazoduc vers l’Europe de rester au-dessus de 150 Gm3 jusqu’en 2019 et 2020. Dans ce cas, les principaux moteurs de croissance de la demande par rapport au scénario « faible demande » sont les suivants :

• les politiques de soutien en faveur du transfert vers le gaz (contre le charbon) en Chine et en Inde pour la production d’électricité pour des raisons d’amélioration de la qualité de l’air et, éventuellement, de réduction du CO2 ;

• un ralentissement du rythme de redémarrage nucléaire et de la mise en œuvre des énergies renouvelables au Japon ;

• l’augmentation de la demande de puissance et l‘engagement à éliminer le nucléaire à Taiwan ;

le taux de déclin plus rapide de la production de gaz domestique, nécessitant des importations accélérées de GNL au Pakistan, en Thaïlande, au Bangladesh, en Malaisie, en Indonésie et au Vietnam.

Dans ce scénario de forte demande asiatique de GNL, une « mini-bulle » apparaîtrait en 2019 et 2020, qui se traduirait par une baisse des prix sur les hub européens et asiatiques plus courte, avec un marché dégagé en 2019 et 2020 probablement sans la nécessité de limiter les exportations GNL américain.

Pour conclure, l’impact sur l’Europe, marché de dernier recours pour le GNL, sera certainement déterminé par le rythme de mise en service des projets de production de GNL mais également par le rythme de croissance de la demande asiatique de GNL. Ce rythme est incertain. La forte demande de GNL en Asie au cours de l’hiver 2016-2017 s’explique, au moins en partie, par des conditions climatiques plus froides que la normale et les pannes nucléaires en Corée du Sud. À l’été 2017, les niveaux de demandes asiatiques seront un meilleur indicateur de la fin du spectre de demande de GNL asiatique élevé par rapport au bas du spectre de demande de GNL. Cela déterminera à son tour l’ampleur et la durée de la bulle GNL d’ici à 2021, ce qui aura des répercussions importantes sur les prix européens et sur le prix spot du GNL ainsi que sur les exportations de gaz russe vers l’Europe.

 

CV EXPRESS / HOWARD ROGERS
Howard Rogers rejoint l’Oxford Institute for Energy Studies en janvier 2009 et a succédé à Jonathan Stern en tant que directeur du programme de gaz naturel en octobre 2011. Il a été nommé président et chercheur principal du programme en octobre 2016. Avant de rejoindre l’Institut, Howard Rogers a travaillé chez BP pendant vingt-neuf ans. Il y était chargé de la stratégie, de la planification, des fusions et des acquisitions et des négociations dans le secteur pétrolier et gazier. En 1999, il a rejoint la division gaz et électricité de BP et en 2003, il est head of Global Gas Fundamental Analysis.