La fée Gaz

Publié le 10/04/2016

12 min

Publié le 10/04/2016

Temps de lecture : 12 min 12 min

L’histoire du gaz manufacturé remonte à une époque pas si lointaine. À l’aube de la révolution industrielle, l’éclairage, puis le chauffage au gaz sont venus améliorer le confort des citadins. Avec le gaz de ville, formidable outil de développement urbain, le visage des communes et le quotidien de milliers de foyers se sont transformés. Un monde nouveau qui voit naître les premiers grands groupes énergétiques. La découverte du gaz naturel bouleverse la donne et entraîne la plus grande mutation qu’ait connue le secteur gazier. Retour sur deux siècles d’innovations et de transformations qui ont structuré l’industrie gazière française et européenne.

 

Par Laura Icart

En cette fin du XVIIIe siècle, nombreux sont les savants qui ont étudié le gaz. Cavendish, Charles, les frères Montgolfier, Murdoch, Winsor ou encore Minckelers ont tous révélé quelque chose de cette énergie mais c’est bien Philipe Lebon qui par cette phrase : « Mes amis, je vous chaufferai et vous éclairerai de Paris à Brachay », prononcée en 1797 devant une poignée de Champenois, s’est révélé au monde comme un précurseur. Aurait-il pu imaginer que près de deux siècles plus tard, le gaz serait la troisième énergie dans le mix énergétique mondial, prête à supplanter le charbon. L’aventure du gaz d’éclairage, débuté quelques années plus tôt à Londres, commence à Paris en 1801. Les recherches sur les gaz manufacturés initiées par Philippe Lebon et William Murdoch permirent par la suite l’essor du gaz d’éclairage dans la capitale.

Des villes qui s’illuminent

Produit à partir de la distillation du gaz de houille dans des usines à gaz, le gaz d’éclairage sonne le démarrage de l’activité gazière à Paris et en province. Des entrepreneurs éclairés constituent des compagnies pour exploiter les usines. En 1821, 4 usines sont installées à Paris. Après celle de Lille en 1825, il s’en construira plus de 60 en province jusqu’en 1850. Ces usines distribuent le gaz par des canalisations en bois, en tôle bitumé puis en fonte pour alimenter des becs de gaz installés dans les rues, puis l’éclairage dans les logements, les boutiques et les ateliers. Une première clientèle de particuliers se forma, d’abord à Paris avec près de 20 000 consommateurs avant les années cinquante mais aussi à Lyon (7 000) et dans une moindre mesure à Strasbourg (4 000).

En 1872, 550 villes sont éclairées au gaz et le taux annuel de progression de la consommation dépasse les 5 % – il est un peu plus élevé à Paris. On dénombre plus de 1 000 usines en 1888 qui alimentent une population équivalente à 13 millions d’habitants. Si l’éclairage reste, de loin, l’utilisation la plus courante, des chercheurs mettent au point de nouveaux dispositifs.

En cette fin de XIXe siècle, la lutte que se livrent gaz et électricité pour la domination du marché de l’éclairage public s’intensifie. Le gaz fera encore parler de lui avec l’éclairage des Expositions universelles de 1889 (80 000 réverbères) et de 1900 qui comporte l’illumination du Champ de Mars.

Le siècle de la maturité

Le début du XXe siècle marque un tournant pour l’industrie gazière. Les gaziers ont pris conscience de la nécessité de s’organiser pour faire face à la redoutable concurrente et décident de promouvoir leur énergie et leur savoir-faire. Ils s’appuient sur les compagnies gazières mais aussi sur des organismes tels que la Société de diffusion de l’industrie gazière (SDIG) pour entamer des démarches commerciales (affiches, publicités, tracts, calendrier…). Les premières démonstrations culinaires et la valorisation d’appareils à gaz avec des conseillères ménagères sont mises en place dans les années dix-neuf cents.

L’industrie gazière se structure au début du siècle et apparaît comme un véritable service public. L’arrêt du Conseil d’État du 30 mars 1916, dit « arrêt de Bordeaux », ouvre la voie à une réglementation permettant aux gaziers d’adapter leurs moyens aux événements. Trois puissantes cokeries gazières sont mises en service entre les deux guerres, celle de Toulouse en 1924, celle de Strasbourg en 1925 et celle de Villeneuve-la-Garenne en 1928.

L’industrie gazière poursuit son développement entre les deux guerres. Les gaziers maintiennent coûte que coûte leur réseau en gaz même si à la libération plus de la moitié des usines ont été détruites.

D’une aventure locale à un destin national

Le 8 avril 1946 marque un tournant indéniable dans l’histoire du gaz : l’Assemble nationale vote la loi de nationalisation défendue par Marcel Paul, ministre de la Production industrielle. Celle-ci réorganise totalement les industries gazières et électriques. Elle établit notamment la nationalisation de la production, du transport, de la distribution et de la fourniture de gaz naturel. Elle crée Gaz de France comme monopole public. La société cherche de nouvelles sources de gaz capables de produire des volumes plus importants. De grandes cokeries seront construites à Rouen, Saint-Denis, l’usine de Strasbourg verra sa capacité doublée et en 1954 la plus puissante cokerie d’Europe sera mise en service à Alfortville, au sud de Paris. Gaz de France réfléchit également à créer un réseau de transport, susceptible à terme d’alimenter tout le pays.

Si dans les premières années post nationalisation l’activité de gaz de France consiste à produire et distribuer du gaz de ville, la découverte en 1951 du gisement Lacq va changer totalement la donne.

LES USINES A GAZ
Elles ont fortement marqué de leur empreinte et de leur odeur le paysage industriel français tout comme les  immenses carcasses métalliques des gazomètres nécessaires au stockage du gaz. On doit le fonctionnement des usines à gaz à l’ingénieur français Lebon qui  utilisait les gaz produits par la distillation en vase clos de la houille. Se trouvait également devant l’usine un réservoir d’eau qui servait à alimenter les tubes réfrigérants et des canalisations permettant d’alimenter les becs de gaz.

 

L’avènement du gaz naturel

En décembre 1951, la Société nationale des pétroles d’Aquitaine (SNPA) découvre un gisement de gaz naturel à Lacq, dans le Béarn. Si le gaz naturel n’est pas inconnu en France (un gisement a été découvert à Saint-Marcet en 1939), il faudra de nombreux tests et études pour que les gaziers réalisent la pépite qu’ils ont sous leur pied. Le pays dispose désormais de 200 milliards de mètres cubes de gaz naturel et repense totalement l’aménagement de son territoire. Ce gaz naturel a de nombreuses qualités et son pouvoir calorifique est le double du gaz de houille (9 000 cal/m3 contre 4 000). De plus, distribué à une pression de 18 millibars au lieu de 9 millibars, il permet d’offrir une importante quantité d’énergie. Il faut désormais adapter les réseaux au gaz naturel dont les caractéristiques sont très différentes de celle du gaz de houille.

Gaz de France construit très rapidement – en moins de quatre ans – une infrastructure nationale de transport du gaz. La construction et la mise en service des premières artères de transport du réseau de Lacq démarrent en 1958. Dès 1960, les régions lyonnaises, parisiennes et nantaises sont desservies. Et en 1962, c’est l’ensemble du pays qui est concerné. Un transport national à grande échelle du gaz est désormais possible. La production, la distribution et la consommation de gaz en France sont désormais arrivées à un tournant de leur histoire.

En 1954 la plus puissante cokerie d’Europe sera mise en service à Alfortville, au sud de Paris

Une nouvelle ère se dessine

Avec l’avènement du gaz naturel, l’industrie gazière française va effectuer une totale mutation. Les usines à gaz s’éteignent progressivement, les gaziers voient évoluer leur métier en même temps que leurs outils de travail (canalisations, gazoducs, bateaux méthaniers et ports méthaniers). Une nouvelle ère s’ouvre et de nouveaux besoins aussi.

La nécessité de trouver de nouvelles sources d’approvisionnement devient rapidement une priorité nationale. Le gisement de Hassi R’Mel découvert en Algérie en 1956 aiguise l’appétit des gaziers français qui cherchent une solution pour le transporter en France. Ce sera sous forme de gaz naturel liquéfie (GNL). Le Jules Verne, premier méthanier français, est mis en service en 1965, il doit relier Arzew (Algérie) et le Havre où ont été construits respectivement un terminal de liquéfaction et de regazéification. Deux chaînes supplémentaires de GNL seront établies en 1973 et 1982 avec la mise en service de Fos-Tonkin et Montoir-de-Bretagne.

Les perspectives qu’offre l’industrie gazière en France paraissent extrêmement prometteuses, le gaz naturel a créé une véritable révolution et la recherche continue de faire des progrès techniques qui portent de nouvelles perspectives malgré la concurrence des autres énergies (particulièrement le charbon et l’électricité). À partir de 1960, afin de tirer partie de toutes les opportunités qui se présentent à eux, les gaziers se fournissent marginalement en gaz de mine (ou grisou), en gaz de pétrole liquéfié (GPL) ou en gaz de raffinerie de pétrole, même si ces disponibilités en gaz restent liées à l’activité des autres industries. À noter que l’utilisation des GPL pour l’alimentation de petites stations, ou en air propané pour préparer le passage au gaz naturel, a débuté dans les années cinquante.

À partir des années soixante-dix, Gaz de France poursuit son maillage de la France, la conversion des réseaux de distribution tend à généraliser l’usage du gaz naturel et permet d’accéder à de nouveaux dispositifs permettant d’améliorer le confort domestique et celui des utilisateurs.

Vers une Europe gazière

Dans la grande majorité des pays européens, le secteur gazier s’organise au lendemain de la guerre, avec la nécessité pour tous de trouver une source d’énergie plus durable. Entre 1950 et 1960, les premières découvertes importantes de gisements de gaz naturel ont eu lieu en Norvège, aux Pays-Bas, en Italie, en Allemagne et en France. Tous commencent à produire du gaz naturel pour leur consommation domestique et, le cas échéant, pour l’exportation. C’est d’abord autour des grandes compagnies nationales publiques, détentrices du monopole sur leur territoire national – Gaz de France, British Gas au Royaume-Uni, Distrigaz en Belgique ou encore Gasunie au Pays-Bas – que se concentre l’activité. En Europe, l’industrie gazière se développe principalement du fait des contrats long terme. Même s’ils sont minoritaires, à partir des années quatre-vingts des contrats d’échange de plus court terme se concluent dans les hubs, situés principalement sur des zones importantes de transit comme celle de Zeebrugge, en Belgique.

LE SAVIEZ-VOUS ?
En 1971, les accords dits de « Bouillot-Alby » signés entre Pierre Alby, directeur général de GDF et André Bouillot, directeur général de la SNPA, octroient à GDF une plus grande liberté de manœuvre et assoit définitivement son autorité. Cet accord majeur stipule que les besoins d’approvisionnement de GDF doivent être pris en compte au même titre que l’achat prioritaire des quantités de gaz extraites par les pétroliers.

 

La libéralisation du marché gazier

Si la concertation entre opérateurs de réseaux existe depuis les années cinquante et qu’une harmonisation des normes et des standards industriels s’amorce au milieu des années quatre-vingts, c’est au tout début des années deux mille que l’Europe entame une profonde réforme de son secteur gazier. Le but fixé est la construction d’un marché unique du gaz avec une plus grande concurrence, favorisant l’interopérabilité des réseaux et le développement des échanges entre les pays de l’UE. Trois directives introduiront une série de règles communes en matière d’organisation du secteur gazier. De nouvelles structures apparaissent à l’intérieur des groupes industriels gaziers. Elles gèrent le stockage, la distribution, le transport… La gestion des infrastructures est confiée aux gestionnaires de réseaux qui doivent garantir notamment aux clients la mise à disposition de leurs réseaux et assurer l’acheminement des fournitures et la continuité du service.

L’essor de l’activité gazière est sans nul doute, avec celle du chemin de fer, l’une des plus grandes aventures industrielles du XIXe siècle. D’une industrie bien visible avec ses usines et ses gazomètres, elle est devenue discrète, desservie par des réseaux souterrains. Elle s’est adaptée sans cesse à la demande croissante d’une population friande d’énergie, en allant notamment chercher du gaz toujours plus loin et en mettant en place des infrastructures dédiées. Elle a aussi exigé une structuration de son marché au niveau national et européen. Mais plus que cela, elle a nécessité une constante réactivité tout au long de deux siècles de révolutions techniques, scientifiques et commerciales, et a su placer son énergie au cœur d’un mix énergétique où elle aura encore toute sa place demain via l’essor des gaz verts et sa complémentarité avec l’hydrogène notamment.