GPL : une solution à la carte pour les zones insulaires

Publié le 01/03/2018

8 min

Publié le 01/03/2018

Temps de lecture : 8 min 8 min

À l’heure de la transition énergétique et compte tenu des enjeux de réduction du coût de production et du contenu carbone de l’électricité produite, la question du recours au propane pour la production d’électricité dans les zones non interconnectées (ZNI) françaises a été plusieurs fois évoquée. Face à des contraintes économiques et environnementales bien réelles, le gaz de pétrole liquéfié (GPL) peut il être une alternative compétitive pour répondre aux besoins spécifiques de ces territoires ?

Par Laura Icart

Si la France s’est dotée ces dernières années d’outils législatifs pour lutter contre le réchauffement climatique, préserver l’environnement tout en renforçant son indépendance énergétique, la problématique posée par les zones insulaires conduit les pouvoirs publics et les industriels à imaginer les systèmes électriques de demain avec une production moins carbonée et moins polluante tout en assurant la sécurité énergétique et un service économique pour ses habitants.

Les enjeux du système électrique des ZNI

Très différentes du territoire métropolitain, les ZNI françaises1 présentent des caractéristiques techniques et économiques qui leur sont propres : spécificités climatiques et géographiques, infrastructures limitées, systèmes électriques de petite taille perméables et sensibles aux perturbations. Ces contraintes rendent généralement la production d’électricité plus coûteuse et plus carbonée qu’en métropole. C’est d’ailleurs pour cette raison que la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) a prévu que les ZNI se dotent chacune d’une programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) spécifique. Si la Corse est le premier territoire à avoir adopté sa PPE fin 2015, l’île a été suivie en 2017 par la Guyane, la Réunion, la Guadeloupe et par Mayotte. À l’heure actuelle, seule Mayotte semble avoir évoqué la possibilité de recourir au GPL dans sa production électrique.

Quelle place pour le GPL ?

Selon une étude (2) commanditée par le Comité français du butane et du propane (CFBP) et réalisée par le cabinet d’audit Ernst & Young et associés (décembre 2017) à laquelle Gaz d’aujourd’hui a eu accès, le GPL aurait clairement une carte à jouer dans les ZNI. Les résultats présentent le GPL comme un combustible permettant d’atteindre « des niveaux de coûts attractifs […], favorisant la transition énergétique sur les territoires » et « complémentaire avec le déploiement des EnR ». Un bilan en adéquation avec les prévisions établies par l’Association française du gaz dans son scénario de demande gazière à l’horizon 2030, qui évoquait « la disponibilité des GPL, leur flexibilité et leur facilité d’approvisionnement ». Le GPL pouvant clairement occuper une place de choix dans la production d’électricité en zone insulaire. Le syndicat gazier évaluait même « le taux de pénétration du propane dans la production d’électricité à 15 % à l’horizon 2030 ».

Les principaux enseignements de l’étude

L’objectif de cette étude était de permettre selon les auteurs « d’identifier dans quelles circonstances le recours au GPL était une alternative compétitive ? ». Ils ont analysé les forces et les faiblesses du GPL par rapport au diesel et au GNL. S’il existe plusieurs projets de production d’électricité à partir de GPL dans le monde (130 unités), ayant recours à des technologies moteur ou turbine, le GPL reste une solution marginale souffrant d’un déficit de notoriété. Les résultats obtenus montrent que le GPL présente tout de même « des atouts qui pourraient le rendre attractif en fonction de la puissance à installer et du type de besoin de production d’électricité ».

Quel positionnement stratégique pour le GPL ?

L’étude analyse donc les conditions de compétitivité potentielle du GPL selon quatre zones : petites capacités produisant de manière stable ou variable (zone 1), capacité moyenne (entre 20 MW et 200 MW) fonctionnant en production stable (zone 2), capacités moyennes (entre 20 MW et 200 MW) fonctionnant en production variable (zone 3) et enfin les puissances élevées (supérieures à 200 MW) (zone 4). Le GPL apparait comme potentiellement compétitif dans les deux premières zones et comme solution de transition en zone 4.

Dans la zone 1, la transportabilité du GPL lui permettrait d’alimenter de petits moyens de production diffus (moteur, micro-turbine) localisés par exemple dans les zones non raccordées au réseau principal. De plus, ces moyens réactifs de par leur taille pourraient couvrir localement les pics de consommation ou venir pallier aux intermittences des énergies renouvelables, sans compter qu’ils offrent un bilan environnemental meilleur que celui du diesel. Toutefois, cette solution GPL (en production de base ou de pointe) ne sera envisageable que si le territoire concerné possède déjà des infrastructures et une chaîne logistique dédiées à d’autres usages du GPL, car les auteurs relèvent que « les volumes en jeu ne devraient pas justifier la construction d’infrastructures ».

En zone 2, le GPL pourra être envisagé pour alimenter des systèmes de conversion de type turbine, servant pour une production électrique de base. Bien entendu, les spécificités du territoire devront être étudiées pour déterminer si cette solution est plus compétitive qu’une solution GNL. Elle pourrait a priori l’être, selon les auteurs, car elle permettrait de limiter les Capex (dépenses d’investissement) dans les infrastructures de transport et de stockage, avec un impact environnemental moindre par rapport au diesel.

En zone 3, c’est une limitation technologique qui rend le GPL moins compétitif que le GNL ou le diesel. En effet, à ces niveaux de puissance, la technologie moteur est privilégiée, or selon l’étude les moteurs GPL sont limités à une puissance unitaire de 10 MW, alors qu’elle est de 20 MW environ pour les deux autres.

Enfin, la puissance élevée des projets en zone 4 et les volumes en jeu devraient engendrer des investissements dans des infrastructures de cryogénisation et de regazéification de GNL dédiées et de fait ne devraient pas justifier économiquement l’utilisation du GPL ou du diesel. En revanche, dans certains cas spécifiques, le GPL pourrait être envisagé pour servir de bridge en attendant un futur basculement en alimentation GNL.

Les territoires les plus propices

Les auteurs ont également réalisé plusieurs études de cas complémentaires afin de mesurer le niveau d’attractivité du GPL dans les ZNI. Pour les sélectionner, ils ont établi une liste de dix critères tels que l’évolution de la demande 2015-2030 dans les ZNI en GWh, la visibilité du type d’énergie primaire choisi pour les projets de centrales annoncées ou encore la facilité pour la ZNI d’être desservie en GPL. À la lumière des dix critères, les auteurs ont étudié spécifiquement cinq territoires : la Corse, la Guadeloupe, Mayotte, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, qui ont recueilli un niveau d’attractivité entre « très élevé » et « plutôt élevé ». Ces études de cas ont permi d’établir quantitativement des niveaux de coûts actualisés de l’électricité (LCOE) propre à chaque projet sélectionné et de calculer les émissions de gaz à effet de serre évités annuellement en comparaison d’un projet diesel ou charbon. Aussi les résultats obtenus montrent que les estimations des LCOE des projets varient entre 157 euros/MWh pour la Corse à 193 euros/MWh pour Mayotte. Ils mettent aussi en évidence « les abattements significatifs d’émissions de CO2 ». En Nouvelle-Calédonie par exemple, la mise en place d’un projet de centrale alimentée au GPL d’une capacité de 180 MW permettrait d’éviter annuellement environ 120 000 tonnes de CO2 par rapport au diesel, et 300 000 par rapport au charbon. Même constat en Polynésie française où la substitution d’un projet de 50 MW alimenté au GPL contre celui existant au fuel permettrait d’éviter 34 000 tonnes de CO2.

Les contextes énergétiques de chaque ZNI semblent rendre impossible l’uniformisation d’une seule solution pour produire de l’électricité. Le GPL apparaît comme l’une d’entre elle, qui présente des atouts sur certains territoires et qui à ce titre est une alternative crédible pour contribuer à « décarboner » la production électrique sur les territoires français.

1 Mayotte, Corse, Guadeloupe, Guyane, Martinique, Réunion, Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna, Saint-Martin, Saint-Barthélemy, la Polynésie française, Nouvelle-Calédonie, les îles du Ponant et de Chausey.

2Analyse stratégique du recours au GPL dans la production d’électricité en zones non interconnectées , décembre 2017.