Faire rimer compétitivité et économie d’énergie

Publié le 07/04/2019

8 min

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Temps de lecture : 8 min 8 min

En France, le secteur industriel est un grand consommateur d’énergie, générant d’importantes émissions de gaz à effet de serre (GES). Mais il est aussi l’un de ceux qui, ces dernières années, a le plus contribué à l’amélioration de l’efficacité énergétique. Explications.

Par Laura Icart

La consommation finale à usage énergétique française, corrigée des variations climatiques, a connu un pic en 2001, à 150 millions de tonnes équivalent pétrole (MTEP). Elle baisse lentement depuis lors, s’élevant à 141 MTEP en 2017. Le secteur industriel consomme un peu moins d’un quart de l’énergie française (19 %) et un tiers de son électricité, derrière le résidentiel-tertiaire (47 %) et le transport (31 %). Depuis le début des années 90, l’industrie a diminué de 5 % sa consommation énergétique contrairement aux autres secteurs qui l’augmentent. Cela s’explique par une baisse de l’activité industrielle sur notre territoire (délocalisation) mais aussi par une amélioration de la performance énergétique.

Un secteur très hétérogène

L’industrie n’est pas un bloc homogène, ce qui rend les enjeux liés à l’efficacité énergétique complexes à appréhender. En France, six filières (chimie, agroalimentaire, aluminium, ciment, papier et cartons, verre) concentrent 90 % de la consommation énergétique du secteur, qui s’appuie en grande majorité sur le gaz et l’électricité.

Une mutation nécessaire

Le développement de l’efficacité énergétique dans l’industrie, qui correspond à une diminution de la consommation d’énergie pour un niveau de production donné, répond à des enjeux environnementaux et économiques. Il doit en effet permettre une réduction des émissions de gaz à effet de serre et une diminution des coûts énergétiques pour les entreprises, contribuant ainsi à leur compétitivité. Si les industriels manifestent leur intérêt, ils ont aussi du mal à se lancer dans des investissements souvent conséquents, loin de leur cœur de métier. Pourtant, leurs besoins de réduction des coûts de consommation d’énergie demeurent bien réels. « Il est difficile de rentabiliser les investissements en termes d’efficacité énergétique. On réduit les fuites au maximum. On installe les équipements les plus optimums et on peut travailler sur les procédés », souligne Sylvain Le Net, responsable énergie à France Chimie.

Des prérogatives à respecter

Les industries sont pourtant incitées par les pouvoirs publics à faire des économies d’énergie. Les grandes entreprises du secteur (plus de 500 salariés) ont l’obligation de réaliser un audit énergétique tous les quatre ans, qui doit être transmis à l’Ademe. Même temporalité pour la réalisation du bilan de leurs GES, rendu obligatoire en 2010 par la loi engagement national pour l’environnement (ENE). En 2011, la norme internationale ISO 50 001 certifie « une gestion efficace de l’énergie en accompagnant les organismes à réaliser des économies, à réduire leur consommation d’énergie et à faire face au réchauffement climatique ». Elle a permis pour les entreprises certifiées la création d’un référent énergie au sein des entreprises et la mise en place d’une stratégie dédiée à la maitrise de l’énergie.

Dernière contrainte à respecter et pas des moindres : les fameux quota carbone, mesure phare de la lutte contre le changement climatique au niveau européen. Un grand nombre de sites industriels sont soumis au système d’échange de quotas d’émissions : une installation qui émet plus que son allocation doit se procurer les quotas manquants. C’est le principe pollueur-payeur.

Des aides pour les accompagner

Les acteurs qui les accompagnent sont nombreux en France (Ademe, régions, acteurs privés) et en Europe (BEI, UE). L’Ademe est la principale interlocutrice des entreprises sur ce sujet. Elle mène des études sur le potentiel d’économie d’énergie dans ce secteur qui constitue « un levier de compétitivité pour l’industrie française ». Dans son étude « Vision 2030-2050 », elle estime que le potentiel d’économie d’énergie correspond à 20 % de la consommation d’énergie de l’industrie. L’agence propose aussi des dispositifs de soutien (audit, étude, recommandations) pour l’amélioration de l’efficacité énergétique industrielle. Elle peut également financer des projets de récupération de la chaleur industrielle via le fonds chaleur. Autre aide possible : les certificats d’économies d’énergie (CEE) dédiés au secteur industriel. Une quarantaine d’opérations standardisées, ciblant majoritairement les utilités, donnent droit à des aides financières. Au cours de la troisième période, 90 % des CEE ont été réalisés avec des opérations standardisées. Dernière nouveauté : avec l’adoption de la loi Pacte en avril les CEE sont désormais ouverts aux installations industrielles soumises au système européen d’échange de quotas de CO2.

De nombreuses entreprises ont pris des mesures d’efficacité énergétique sur notre territoire, multinationales mondialement connues comme ArcelorMittal ou coopératives agricoles comme l’Union des producteurs de Beaufort qui a installé une usine de méthanisation pour fabriquer du biogaz avec les résidus de sa production de fromage.

ArcelorMittal, le géant de l’acier qui distribue sa chaleur

ArcelorMittal est le numéro un mondial de l’exploitation sidérurgique et minière, la branche de l’industrie la plus énergivore au monde. En France, il compte 40 sites de production et plus de 15 000 salariés. Deux entités (Atlantique et Lorraine, et Méditerranée) gèrent l’essentiel des 9 grands usines hexagonales. Certifiées ISO-50001 depuis juin 2017, elles affichent un objectif ambitieux : réduire leur consommation énergétique de 4,1 % d’ici à fin 2020 comparée à celle de 2014. Des actions concentrées sur ses trois principaux sites : Dunkerque, Florange et Saint-Chély-d’Apcher.

En juin 2017, ArcelorMittal a lancé avec Schneider Electric et Kyotherm (investisseur spécialisé dans le financement et la gestion de projets de production de chaleur renouvelable ou d’économie d’énergie) un nouveau programme de récupération et de valorisation de la chaleur industrielle issue des fours du site sidérurgique de Saint-Chély-d’Apcher, en partenariat avec la commune lozérienne. Un projet à 5,6 millions d’euros (dont 1,8 issus du fonds chaleur et de la région Occitanie) qui permet à la chaleur dégagée par les fours de recuit d’être récupérée via des échangeurs de chaleur et un réseau de chauffage. Ainsi près de 17 GWh par an de chaleur sont valorisés. Les trois-quarts de cette énergie sont utilisés pour couvrir les besoins énergétiques du site industriel (production et chauffage), le quart restant pour couvrir ceux de Saint-Chély. Les chaudières à fioul lourd ont été également remplacées par une chaufferie gaz naturel de 4 MW à haut rendement. Au total, le projet permet de diminuer les émissions de CO2 de plus de 4 000 tonnes par an.

Lors des dernières Assises européennes de la transition énergétique en janvier 2019, ArcelorMittal a annoncé la création d’un nouveau réseau de chaleur de 15 km à l’automne 2020, celui de Grande-Synthe, avec Engie Cofely. Il permettra de chauffer l’équivalent de 3 000 logements de la communauté urbaine de Dunkerque et sera réalisé dans le cadre du doublement du réseau existant qui permet déjà d’alimenter en chaleur plus de 16 000 logements dunkerquois via un système combinant les 3 chaufferies à cogénération du territoire avec le système de récupération installé à ArcelorMittal. C’est le plus gros projet de récupération de chaleur du groupe ; c’est d’ailleurs à Dunkerque qu’il concentre le plus gros de ses économies d’énergie. Autre mesure phare pour éviter le gaspillage transformant ses déchets en ressource : la méthanisation.

Du biogaz à l’arrière-goût de beaufort

L’usine de méthanisation Savoie Lactée a été mise en service en juillet 2015. Elle est le fruit de l’association entre l’Union des producteurs de beaufort qui regroupe 9 coopératives savoyardes et un cheptel de presque 18 000 vaches et de Valbio, une société d’ingénierie spécialisée dans la production de biogaz à partir de produits laitiers. Cette nouvelle usine « qui produit plus d’énergie qu’elle n’en consomme » permet de fabriquer du biogaz avec l’un des sous-produits provenant de la transformation laitière : le lactosérum, plus connu sou le nom de « petit lait ». Autrefois envoyé par camion pour servir à la fabrication de compléments alimentaires, il est désormais valorisé dans la vallée, grâce à l’unité, ce qui permet l’évitement de près de 1 000 tonnes de rejet de CO2 dans les vallées de la Tarentaise, du Beaufortain, du val d’Arly et de la combe de Savoie chaque année. Ce méthaniseur produit 1 500 000 mètres cubes de biogaz permettant la production annuelle de 3 000 000 kWh par an, soit l’équivalent de la consommation électrique de 1 500 habitants. La totalité du biogaz est transformée en électricité revendue par EDF au réseau. Pour refroidir le cogénérateur, ce dernier produit de l’eau chaude utile pour le process des ateliers. La technologie brevetée de méthanisation de Valbio permet à Savoie Lactée d’épurer 99 % de ses résidus. Une partie est rendue au milieu naturel sous forme d’eau épurée et de boues biologiques utilisées pour fertiliser les pâturages. Un procédé industriel innovant, permettant au site Savoie Lactée d’être autonome en énergie et un bel exemple d’économie circulaire.