Et Paris fut lumière !

Publié le 17/05/2016

9 min

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L’histoire du gaz est profondément liée à celle de l’éclairage public à Paris. Les découvertes et les travaux initiés à la fin du XVIIIᵉ siècle ont permis de lancer la grande aventure du gaz à Paris. Au début du XIXᵉ siècle, Paris s’éveille doucement  à la modernité.

Par Laura Icart

Il y a plus de deux siècles que l’énergie gaz s’est installée à Paris. Devenu très vite un outil de « bien-être » dans la vie des Parisiens, son ascension participa à l’essor et au développement de Paris et a fait souffler un vent de progrès sur la capitale.

Le temps des pionniers

C’est en 1801 que le génie de Lebon éclate à la face du monde lorsqu’il réalise l’éclairage de l’hôtel de Seignelay en installant sa thermolampe (l’ancêtre de l’usine à gaz). S’il fut l’inventeur du gaz d’éclairage, c’est bien Frederick Winsor qui lance l’aventure industrielle du gaz d’éclairage à Paris en illuminant le passage des Panoramas en 1816 et la construction d’une petite usine à gaz près des jardins du Luxembourg chargée d’éclairer les galeries du Palais-Royal et de l’Odéon. Dans la lignée de Winsor, d’autres initiatives voient le jour, comme celle du préfet de la Seine, le comte de Chabrol, qui se servit du gaz pour alimenter l’hôpital Saint-Louis et ses dépendances, couvrant même un tiers des besoins en chaleur pour le chauffage de l’eau des bains. Cette installation a subsisté telle quelle jusqu’en 1860.

En 1818, Louis XVIII fonde de grands espoirs dans cette énergie et contribue à lancer son aventure parisienne, six ans après son avènement à Londres, en créant la Compagnie royale d’éclairage par le gaz. Si Henri IV avait en son temps dit que Paris valait bien une messe, Louis XVIII a choisi de marquer son règne en l’illuminant. Le premier éclairage public eut lieu place du Carrousel en 1818 suivi, en janvier 1819, par celui de la rue de Rivoli. C’est à cette occasion qu’apparaissent les premiers candélabres (réverbères sur pied).

En 1821, Paris compte quatre usines à gaz qui assurent une exploitation régulière dans leurs zones respectives. En 1824, les premiers essais des lanternes à gaz sont faits dans l’ancienne galerie de Fer, boulevard des Italiens, qui rejoignait la rue de Choiseul.

La naissance d’une industrie : de l’éclairage…

L’arrête préfectoral de 1822 et l’ordonnance royale de 1824 sont les premières bases réglementaires solides qui permettent à la jeune industrie gazière parisienne de se structurer. En 1836, six compagnies se partagent Paris. Si l’éclairage public est le produit « phare » avec les becs de gaz, l’éclairage privé se développe lui aussi, d’abord dans les rez-de-chaussées puis, avec la construction des conduites montantes, dans les étages permettant une plus large diffusion du gaz. En 1855, toutes les compagnies parisiennes se regroupent pour constituer la Compagnie parisienne d’éclairage et de chauffage par le gaz, sous la houlette du baron Haussmann. Elle sera d’ailleurs le concessionnaire unique de la ville jusqu’en 1905. Avec ce traité, Paris obtient notamment un intéressement sur le prix du gaz et la pleine propriété des canalisations, un défi majeur pour la capitale qui compte à cette même époque plus de 500 kilomètres de réseau et plus de 20 000 becs d’éclairage publics.

En 1889, si le gaz reste le maître de l’éclairage à Paris avec 1 800 000 becs de gaz privés et 55 470 becs d’éclairage publics, il doit faire face à un concurrent qui s’annonce : l’électricité. Le déclin arrive vers les années 1910 dans le secteur privé, avec des installations nouvelles qui adoptent majoritairement l’électricité. L’éclairage public continue d’illuminer Paris et 90 % de ses appareils sont encore au gaz en 1923. Il faudra attendre le début des années soixante pour voir disparaître le recours à ce type d’éclairage place de la Concorde.

… au confort gaz

En 1905, 5 027 immeubles modernes affichent sur des plaques métalliques bleu l’emblème de la nouveauté et du luxe : « Gaz à tous les étages ».

Pendant plusieurs décennies, de nombreuses innovations techniques intégrées dans les matériels (cuisinière, réchaud, four-rôtissoire, chauffe-bain), ce que l’on appelle plus communément le « confort gaz » (cuisine, eau chaude, chauffage), s’installeront dans les foyers parisiens, d’abord ceux des plus aisés, et s’étendront ensuite à une clientèle plus modeste. Les expositions universelles seront d’ailleurs autant d’occasions pour l’industrie gazière de présenter ses inventions et ses appareils au grand public.

La distribution du gaz : un maillage complexe

Au XIXᵉ siècle, la distribution du gaz à Paris participe aux actions entreprises d’aménagement de la ville. Elle représente à la fois pour les producteurs de gaz et pour ceux qui le consomment un élément essentiel de la modernité urbaine.

La Compagnie parisienne d’éclairage et de chauffage par le gaz se trouve dans une situation de monopole pour la distribution du gaz à partir de sa création et jusqu’à la fin du siècle. Elle s’attelle donc à développer et à faire étendre les réseaux déjà existants au sein des quartiers parisiens. L’expansion gazière est rendue possible dans la capitale grâce notamment aux progrès technologiques et aux outils réglementaires mis en place.

Vue aérienne de l’usine du Landy

De 1856 à 1889, de grandes usines à gaz sont construites dans la ville et sa périphérie. Celle de la Villette, celle de Clichy et celle, beaucoup plus importante, du Landy à Saint-Denis, marquent pendant plusieurs décennies le visage du nord de Paris et concourent chacune, à leur niveau de production, à l’éclairage de la ville. Le gaz fabriqué dans ces usines est recueilli dans les gazomètres puis dirigé sur Paris par de grandes conduites maîtresses qui convergent vers les centres de consommations.

Vue aérienne de l’usine du Landy.

Le plan de canalisation évolue bien sûr au fur et à mesure des augmentations de la consommation de gaz et constitue un maillage souterrain très dense que l’on appellera plus tard un réseau. Le débit régulier de gaz est ainsi assuré par l’existence d’une trame aux liaisons multiples et par la connexion des usines entre elles, en cas de défection de l’une d’elles.

Une consommation toujours plus importante

De 1860 à 1959, la consommation de gaz passe à Paris de 62 à 716 millions de mètres cubes. En 1893, les 11 usines de la compagnie produisent 150 millions de mètres cubes de gaz par an et 1 million de tonnes de coke. En 1907, la Société du gaz de Paris (SGP) se substitue à la Compagnie parisienne (CP), à l’initiative de la Ville de Paris. Elle est chargée de l’exploitation du gaz pour une durée de vingt ans.

L’accroissement des ventes incite à la construction d’une nouvelle usine. Ce sera le Cornillon à Saint-Denis. Elle entre en service en 1929 et peut produire jusqu’à 1 million de mètres cubes de gaz par jour, devançant largement celle du Landy avec sa production quotidienne de 700 000 mètres cubes. La consommation de Paris atteint 537 millions de mètres cubes dès 1931.

D’une époque révolue…

En 1937, la compagnie du Gaz de Paris succède à la SGP. Elle est chargée de la production, de la distribution et de la vente du gaz et des sous-produits, la ville mettant à sa disposition ses usines et son réseau de distribution (de 2 625 km). Cette nouvelle compagnie subsistera jusqu’en 1946 et la loi de nationalisation qui donne à la toute jeune Gaz de France la production, le transport et la distribution du gaz à Paris. La période heureuse des Trente Glorieuses qui s’ouvre oblige Gaz de France à chercher de nouvelles sources de gaz et conduit à la mise en service en 1954 de la plus puissante cokerie gazière d’Europe à Alfortville, permettant de rééquilibrer la production, concentrée jusque-là uniquement dans le nord.

… à l’avènement du gaz naturel

La découverte du gisement de Lacq en 1951 provoque une profonde mutation de l’outil industriel gazier parisien. Les usines à gaz s’éteignent progressivement : en 1956, celle de La Villette, Clichy en 1960, Gennevilliers en 1961 et, en 1977, l’usine Nord (le Landy et le Cornillon) cessent définitivement toute activité.

En 1967, le gaz naturel, en provenance de Lacq, de Russie et d’Algérie, approvisionne quelques 850 000 foyers parisiens. Le 4 octobre 1971 débute la « conversion du réseau » : pour cette opération Paris est divisé en 261 périmètres d’environ 4 000 abonnés. La première eut lieu dans le quartier Monceau. Les Parisiens vivent cette révolution comme une vraie réjouissance et un gage de modernité. Le 21 mars 1979, la dernière torchère de gaz manufacturé s’éteint. Le gaz naturel est désormais le seul maître de Paris.

Après avoir bénéficié d’un monopole certain pour couvrir les besoins d’éclairage et de chauffage notamment, l’industrie du gaz parisienne doit désormais faire face à la concurrence des autres énergies, une nouveauté en ce début de XXIᵉ siècles. Une nouveauté en forme de défi pour le gaz dont la complémentarité, l’adaptabilité et la flexibilité restent des atouts pour imaginer le Paris énergétique de demain.

 

À Paris en 1906
• 11 usines de production
• 2 610 km de réseau
• 56 027 conduites montantes
• 527 000 abonnés
• 11 000 agents