Demain quelles évolutions, quel rôle du gaz ?

Publié le 08/10/2017

11 min

Publié le 08/10/2017

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Costanza Jacazio a intégré l’Agence internationale de l’énergie (AIE) en novembre 2014, au poste de Senior Gas Expert dans la division gaz, charbon et électricité. Elle était auparavant chargée de l’analyse économique et de la prospective énergétique chez Fortum et elle est l’auteure du rapport « Medium-Term Gas Market 2016 » publié en juin par l’AIE, qui dresse un état des lieux des évolutions et du rôle du gaz à l’échelle internationale et dans les années à venir.

Par Laura Icart

On assiste à un ralentissement de la demande globale de gaz. Quelles en sont les raisons ?

Costanza Jacazio : Dans les années à venir, la demande de gaz va augmenter plus lentement que par le passé : nous prévoyons une augmentation de 1,5 % par an en moyenne (soit environ 340 giga mètres cubes) entre 2015 et 2021. Par comparaison, la croissance était de 2,5 % entre 2009 et 2015, et de 2,2 % sur les dix dernières années. Deux nouveaux éléments expliquent ce ralentissement. Tout d’abord, la croissance de la demande mondiale en énergie primaire ralentit. Cela touche toutes les énergies, pas uniquement le gaz. La transition énergétique en Chine, combinée au ralentissement de la croissance des économies à forte intensité énergétique, telles que la Russie et le Moyen-Orient, et une amélioration progressive du rendement énergétique affaiblissent la demande énergétique d’une manière générale. Cela signifie que, malgré les perspectives moins favorables, le gaz augmente encore légèrement sa part du bouquet énergétique. Ensuite, dans le secteur de l’électricité, des facteurs spécifiques restreignent la croissance de la demande de gaz, principalement le charbon à bas coût et le bon déploiement des énergies renouvelables.

« Le transport est un secteur ayant un potentiel à long terme significatif, particulièrement pour les camions et le secteur maritime. »

Quelle est la situation en Europe ?

La demande de gaz en Europe devrait atteindre le point le plus bas et se stabiliser à un niveau légèrement plus élevé qu’aujourd’hui. Pour l’UE, la demande est tombée de près de 100 Gmᶟ entre 2010 et 2015. Nous prévoyons qu’elle récupère environ un dixième de cette perte. D’ici 2021, la demande de gaz dans l’UE devrait toujours être inférieure de 13 % à son niveau de 2007. Le principal responsable de cette légère augmentation est le secteur électrique. Une quantité importante de capacité de production liée au charbon sera mise hors service, dans le cadre de politiques environnementales strictes. La capacité nucléaire diminuera également, bien que la majorité des mises hors-service soient prévues pour 2021. Au cours des cinq prochaines années, une grande partie de l’augmentation de la production électrique par le gaz devrait provenir du Royaume-Uni, où un prix plancher du charbon a été fixé et où le gaz est redevenu compétitif par rapport au charbon. D’autre part, ajustée à la température, la tendance de la demande en chauffage des bâtiments en Europe est à présent négative, grâce à l’amélioration du rendement énergétique. Le transport est un secteur ayant un potentiel à long terme significatif, particulièrement pour les camions et le secteur maritime. Cependant, l’augmentation attendue au cours des cinq prochaines années ne changera pas la tendance de la demande globale.

De nombreux investissements ont été réalisés ces dernières années. Quels peuvent être leurs débouchés dans le contexte économique actuel ?

Les cinq premières années connaîtront une évolution importante de la dynamique de production. La croissance de la production de certains des principaux exportateurs mondiaux, tels que le Qatar, la Russie et les pays de l’Anase (Association des nations de l’Asie du Sud-Est), s’affaiblit de manière notable. Ils représentent près de 30 % de la totalité de la production différentielle entre 2009 et 2015. Leur part dans la production mondiale tombe à 5 % entre 2015 et 2021. D’autre part, d’autres régions émergent et renforcent leurs positions de producteurs et exportateurs majeurs. Les États-Unis et l’Australie représentent la moitié de la croissance de production différentielle projetée entre 2015 et 2021. Environ 80 % de cette augmentation alimentera une expansion des exportations de GNL. La majeure partie de l’augmentation projetée de la capacité en GNL provient de décisions d’investissements déjà prises. Des capitaux importants ont déjà été attribués à ces projets, dont beaucoup sont à un stade avancé de développement et sont confirmés par des contrats à long terme. Les prix bas actuels ont donc peu d’impact sur l’exécution de ces projets.

« L’offre excédentaire de GNL dans les marchés mondiaux entraînera une plus grande concurrence. »

Les capacités d’exportations de GNL des États-Unis et d’Australie augmentent. Est-ce une opportunité pour le marché européen ?

Nous prévoyons effectivement que l’environnement du marché évolue fortement en Europe : l’offre mondiale de GNL sera excédentaire et entraînera une plus grande concurrence. Les quantités de GNL « non souhaitées » chercheront preneur dans la région, en raison de la souplesse de son système de gaz et des marchés spot. Par conséquent, une concurrence intense se développera parmi les producteurs, pour conserver ou toucher les clients européens.

Vers quels autres pays le GNL australien et américain peuvent-ils être exportés ?

Bien que l’on s’attende en Europe à des importations de GNL en forte augmentation, la capacité de la région à importer des volumes plus importants est limitée par une croissance lente de la demande, par le charbon à bas coût et par la concurrence avec les volumes russes. Pendant ce temps, les importations combinées des deux principaux importateurs de GNL (Japon et Corée) devraient diminuer. L’Amérique du Nord et le Moyen-Orient représentent des poches de croissance, mais aucune de ces régions n’est un marché naturel pour les importations de GNL. Cela signifie que la Chine, l’Inde et les pays d’Asie en voie de développement seront les destinations principales de la production accrue de GNL. La région pourrait connaître une forte croissance de la demande. Concrétiser ce potentiel nécessitera une amélioration continue des réglementations du marché et environnementales, ainsi que la construction d’une infrastructure d’importation nécessaire. Une période de faible prix pourrait faciliter cette tâche.

Le renforcement des interconnexions entre les bassins de consommation peut-il perdurer ?

La capacité d’exportation mondiale de GNL devrait augmenter d’environ 45 % entre 2015 et 2021. Cette expansion massive et cette diversification substantielle des ressources d’approvisionnement entraîneront une mondialisation accrue du marché du gaz et une plus grande connectivité entre les régions. À travers ces réseaux associés au GNL, les développements fondamentaux d’une région auront souvent des répercussions sur d’autres régions. Du point de vue du prix, l’apparition d’une offre excédentaire de GNL flexible venue des États-Unis devrait maintenir un lien étroit entre les prix nord-américains et les prix du marché spot dans les autres régions. En Asie, les prix du gaz resteront influencés par les prix du pétrole. Pourtant, une période d’offre excédentaire associée à des marchés du GNL de plus en plus flexibles devrait diminuer progressivement ces liens interrégionaux.

Est-ce également un moyen de renforcer la sécurité d’approvisionnement du marché gazier ?

Cette expansion du commerce mondial du gaz et la diversification des sources d’approvisionnement auront des avantages majeurs en matière de sécurité de l’approvisionnement pour les consommateurs. Elles seront donc les bienvenues. Ceci étant dit, il est important de noter que l’offre excédentaire actuelle est née de décisions d’investissements historiques prises en s’appuyant sur des prix et des prévisions de demandes plus élevés. Bien que ces investissements constituent des stocks tampons, grâce aux offres excédentaires temporaires, ils sont sources de retours décevants pour les actionnaires et par ailleurs ne sont pas le résultat des politiques de sécurité d’approvisionnement en gaz. Les risques à court et long terme perdurent pour la sécurité de l’approvisionnement en gaz. Près de 15 % de la capacité en GNL dans le monde est aujourd’hui considérée comme non disponible, en raison de creux, de problèmes de sécurité ou de manque de gaz d’alimentation. Ces problèmes risquent de s’aggraver avec le ralentissement des prix du pétrole et du gaz, alors que les producteurs réduisent considérablement les investissements pour se recentrer sur les réductions de coûts et les coupes budgétaires. Cela pourrait générer des marchés plus tendus dans les dix prochaines années.

Quel rôle peut jouer l’industrie gazière dans la décarbonisation de l’économie ?

Le gaz a ses propres difficultés environnementales, mais sa combustion est relativement propre et son empreinte carbone inférieure à celle du charbon en fait un carburant de transition adapté. Bien que le gaz reste plus cher que le charbon, la différence est plus réduite qu’il y a quelques années, ce qui permettrait aux législateurs d’introduire ou de renforcer les politiques relatives à la tarification du carbone : cela réduirait les émissions de carbone, augmenterait la demande de gaz et permettrait de toucher de nouveaux marchés. La transition du charbon au gaz dans le secteur électrique aux États-Unis (le deuxième plus gros émetteur de CO₂ au monde) a en effet joué un rôle essentiel dans la réduction importante des émissions par rapport à leur pic du milieu de la décennie. Ceci étant dit, le gaz seul ne permettra pas au monde de prendre la direction énergétique exigée par les accords de Paris. Ces accords peuvent uniquement être mis en œuvre avec des investissements à grande échelle dans le rendement énergétique et les sources faibles en carbone, le gaz jouant un rôle secondaire, mais respectable. En outre, pour que le secteur du gaz se considère comme un allié dans le processus visant à obtenir un système d’énergie plus respectueux de l’environnement, il doit également respecter les normes environnementales les plus strictes, particulièrement en matière de fuites de méthane.

« Des politiques environnementales fortes peuvent participer au renforcement de la position du gaz, mais la disponibilité de stocks conséquents et peu onéreux est de loin le meilleur moyen d’assurer à ce carburant un avenir prometteur. »

Quels grands défis l’industrie gazière aura-t-elle à relever dans les prochaines années ?

Le principal défi de l’industrie du gaz pour les années à venir sera de faire en sorte que le gaz contribue réellement à la transition énergétique. Des politiques environnementales fortes peuvent participer au renforcement de la position du gaz, mais la disponibilité de stocks conséquents et peu onéreux est de loin le meilleur moyen d’assurer à ce carburant un avenir prometteur. La confiance dans le gaz comme option stratégique attractive doit augmenter pour que ce carburant fasse une percée durable dans le bouquet énergétique, particulièrement dans les pays d’Asie en voie de développement, où le charbon domine toujours. Les politiques environnementales ne suffiront pas. Le secteur du gaz doit prouver qu’il peut livrer de nouveaux stocks de gaz à des tarifs sensiblement inférieurs à ceux qui avaient cours par le passé. Du GNL à un prix compétitif et économique pourrait contribuer fortement à conférer au gaz un rôle essentiel dans la transition.